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Le fascinant Jean Bourdier

Avant de diriger l'hebdomadaire Minute, Jean Bourdier s'illustra parmi les étudiants bagarreurs du Quartier latin, où il chahutait les vendeurs de L'Humanité aux côtés des camelots du roi...
JEAN BOURDIER est mort il y a un an (le 3 octobre 2010). « Journaliste obstiné, écrivain occasionnel, Berrichon chauvin et maurassien stoïque », il vécut un roman épique : étudiant bagarreur au Quartier latin, passé par l'AF, dirigeant des Jeunes indépendants de Paris, soldat en Tunisie, engagé dans l'OAS, journaliste, directeur de Minute, éditeur... Un roman que le critique littéraire qu'il fut jugeait ainsi : « Quoiqu'il advienne de moi maintenant, j'ai eu la chance malgré les drames traversés en même temps que mon pays, d'avoir eu une existence merveilleuse. Non par mes propres mérites, mais par ceux des hommes et des femmes que le sort m'a fait rencontrer. » Jean-Baptiste Chaumeil a rassemblé dans un recueil les témoignages retraçant les tribulations d'un gentleman à qui fut épargné la « sottise absolue » de désespérer.... de ses amis. Nous reproduisons ci-dessous le témoignage de Pierre Chaumeil, ancien secrétaire de rédaction d'Aspects de la France, autre gentleman devenu "farmer" depuis qu'il s'est retiré sur son pré carré du Cantal.  N.M.
À l'époque (vers 1946-1947), j'écrivais un billet violemment anti-communiste hebdomadaire pour le Journal du Cantal, organe départemental du Parti des Indépendants et Paysans dont l'un des pontifes n'était autre que Camille Laurens, député du Cantal, qui fut ministre de l'Agriculture durant quelques années. Plus tard, étudiant à Paris, je rencontrai Camille Laurens qui me déclara tout de go qu'il m'avait inscrit aux Jeunes Indépendants et Paysans qu'il venait de créer. Quoi qu'il en soit, quelques mois plus tard, je me rendis à une assemblée générale de ces jeunes. Nous étions une vingtaine (pour toute la France !) et il y avait là Jean Bourdier. Moins grand que moi, plus frêle aussi. Nous bavardâmes avec des remarques sans pitié pour le blabla des pontes du parti venus voir ces jeunes.
Jean prônait l'action. Moi aussi, qui n'en manquais pas trop, adhérent de l'Action française, vendeur volontaire d' Aspects de la France à la criée, héritier des fameux Camelots du roi ! Plus encore, j'avais été sélectionné par Gérard Gilles pour entrer au redoutable Groupe Lescure qui rassemblait les cogneurs déterminés de l'AF et qui prêtaient serment. En 1952-1953, ce fut l'idée de la Communauté européenne de défense qui apparut. Cette CED était appelée à créer une unité de combat militaire franco-allemande. D'emblée, l'AF y fut opposée à juste titre. Par ailleurs, tous les jours, de 11 h 30 jusqu'à midi et demi, des étudiants, appuyés de quelques gros bras du parti, vendaient L'Humanité à la porte de la Sorbonne, et le Groupe Lescure décida de le leur interdire. C’est-à- dire que la moitié du Groupe se tenait prête, dès 11 heures, à attaquer les vendeurs cocos et leurs protecteurs.
Bavette de boeuf
Jean Bourdier, ayant quitté les Indépendants et Paysans, avait constitué un groupe de valeur dénommé Jeunes Indépendants de Paris (JIP). Il eut vent de l'affaire de la Sorbonne car il venait à toutes les réunions publiques de l'AF, comme la plupart d'entre nous se rendaient aux conférences de Pierre Taittinger, mentor des JIP. Toujours est-il que ce matin de mars, à 11 heures, les "casseurs" du Groupe Lescure se trouvaient rejoints par une bonne poignée de JIP avec... Jean Bourdier. Nous avions choisi de nous rassembler rue Soufflot, car cela nous avantageait, nous n'avions qu'à dévaler la rue de la Sorbonne et à attaquer dans la descente les vendeurs de L'Huma et leurs protecteurs. Ce qui fut fait à midi pile. Il va sans dire que nous reçûmes quelques coups et le courageux Jean portait à l'oeil droit un énorme coquard. Nous remontâmes vers la rue Soufflot en passant devant nos adversaires assommés et les débris des Huma déchirées. Rue Soufflot, Jean Bourdier nous fit entrer dans un bistrot propre et coquet tenu par deux jeunes Anglaises. Jean commanda aussitôt une tranche de bavette de boeuf cru qu'il s'appliqua derechef sur l'oeil droit et à l'entour. Puis il bavarda avec nous comme si de rien n'était. C'est dans ces conversations qu'il était proprement fascinant. Il avait une connaissance extraordinaire et précise de l'histoire de France et de l'Europe, à quoi il faut ajouter une science exacte de la vie parlementaire française depuis un siècle. Cette extraordinaire mémoire, je n'en ai connue qu'une autre, celle de Louis-François Auphann, cousin de l'amiral et chef des informations de L'Action Française. Une demi-heure de conversation animée et la fascination reprenait : Jean rendait sa bavette aux deux Anglaises et il avait l'oeil débarrassé de toute marque, ses paupières étaient redevenues roses comme devant !
Amateur de blanc sec
Il se savait un peu léger en poids et en gabarit, mais son audace le contraignait à se battre, ce qui est le fait du véritable courage. Bien sûr, tout cela n'allait pas sans boire : pour lui du blanc sec, pour moi et la plupart, du rouge et de la bière... Troisième fascination : plus Jean Bourdier buvait, plus il se détachait, se raidissant en se flegmatisant, si l'on peut dire, à la manière des Britanniques. Alors qu'au contraire, nous autres devenions prolixes, bavards et rêveurs... Enfin, j'ai gardé pour Jean une amitié plutôt admirative, regrettant ses trop longs séjours outre-Manche. Et voici une dizaine d'années, je fis avec quelques confrères, dont Brigitte Bourdier, son épouse, un voyage de gastronomes à Séville et au pays de la manzanilla. J'ai offert à Brigitte un sombrero de couleur amarante et, pour qu'elle le remette à Jean, une navaja de Tolède qui fut loin de pouvoir trancher notre amitié. À bientôt, Jean.
Pierre Chaumeil L’ACTION FRANÇAISE 2000 Du 20 octobre au 2 novembre 2011
Jean Bourdier, un gentleman français, Dualpha, 220 pages, 23 euros. Le même éditeur publie un livre posthume de Jean Bourdier, Mensonges historiques (235 p., 24 euros) qui démasque quelques forgeries contemporaines .

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