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Vers la fin de l'Institution matrimoniale ?

Alors que Civitas organise ce qui sera la grande manifestation contre le mariage homosexuel le 18 novembre prochain à Paris, il importe de réfléchir à l'argumentaire que développent les catholiques pour expliquer leur prise de position. Dans chaque diocèse, les évêques ont eu à cœur de prendre position sur une question à propos de laquelle tout le monde sent instinctivement que c'est notre civilisation qui est en jeu. Pierre Carvin, analyste politique, nous propose une réflexion différente sur cette question apparemment si simple.
Claire Thomas : Pierre Carvin, que vous inspirent les très nombreuses prises de position contre le mariage homosexuel qui proviennent souvent du milieu catholique ?
Pierre Carvin : Cette mobilisation impressionnante est de bon augure dans l'immédiat. Ce qui me gêne, c'est qu'à propos de cette question, on invoque de manière un peu rapide et sans analyse le droit naturel, la nature. Le mariage monogame est de droit naturel certes, mais la polygamie l'est aussi... Puisque c'est le mariage monogame qui semble attaqué aujourd'hui, avec des éloges qui se multiplient à propos de la forme moderne de la polygamie que l'on appelle le polyamour, il faut bien peser les raisons de le défendre. Ce n'est pas un hasard si, au moment de la réforme grégorienne au XIe siècle, l’Église a pesé de tout son poids en faveur d'une institutionnalisation obligatoire du mariage. Il y a des raisons théologiques très importantes, à propos desquelles je ne suis pas compétent, mais il y a aussi de profondes raisons socio politiques qui jouent en faveur de la monogamie. On a perdu de vue les raisons de l'institution de la famille monogame... La nature n'explique pas tout. Il y a aussi un calcul rationnel, qui est d'ordre politique. Au Xe et XIe siècle, lorsque la réforme grégorienne a imposé le modèle chrétien à l'Occident barbare, la question qui se posait était celle de la dispersion des ressources et des patrimoines. Avec l'obligation légale du mariage monogame, on passe d'une structure tribale, où tout est plus ou moins collectif, à une société plus complexe où la constitution de patrimoines familiaux permet l'émergence d'une coopération sociale élargie. Dans une situation de rareté, le problème est de rassembler les informations (la culture, les mœurs, les coutumes) et de rassembler les ressources. C'est ainsi que peut se constituer un patrimoine pour une lignée. Le mariage monogame apparaît comme un moyen de concentrer les biens : c'est le premier stade d'un développement économique, social et donc spirituel.
C. T. : Ce qui était vrai au XIe siècle ne l'est plus aujourd'hui...
P. C. : L'institution familiale a émergé la première dans l'Occident médiéval. Quant à l’État, c'est une création de la modernité. Mais son émergence a profondément changé le paysage. Parce qu'il y a un Etat fort et redistributeur des biens aux individus, on n'a plus besoin aujourd'hui de communautés familiales protectrices. L'Etat revendique d'être le seul protecteur des individus, auxquels il donne toute liberté de vivre à leur guise. En tant qu'acteur rationnel, dans le jeu social, il a tout intérêt à concasser les réalités sociales autonomes et à s'imposer comme le seul arbitre du vivre ensemble, en prise directe avec chaque individu. Le risque ? Une montée inexorable vers le totalitarisme, les individus payant au prix fort de leur liberté spirituelle cette assistance, cette « assurance tout risque étatique », qui fait d'eux des adolescent perpétuels, incapables de gérer leur vie, de penser leur existence, de vivre autrement qu'au jour le jour.
C. T. : Et l'Eglise dans tout ça ?
P. C. : N'oublions pas, si nous nous intéressons à l'histoire, que l'Etat s'est toujours posé en rival de l'Eglise, contestant sa légitimité et son pouvoir direct sur les âmes comme sur les corps. Le théologien William Cavanaugh a écrit là-dessus des choses très importantes. A partir du XVP siècle, soit l'Eglise fait des concessions et Rome signe des concordats avec les Etats, soit, à travers la réforme protestante, l'Etat obtient que soient coupés les ponts entre Rome et l’Église locale...
C. T. : Comment situez-vous le mariage homosexuel dans cette longue histoire du mariage ? Est-ce le signe de la fin d'une institution ?
P. C. : L'idée du mariage homosexuel provient
de l'oubli de cette fonction rationnelle (à la fois économique, sociale, culturelle, civilisationnelle) du mariage. La société est devenue une société d'individus. Ce que les individus demandent à l'Etat aujourd'hui, ce qu'ils cherchent dans ce qui reste d'une institution matrimoniale étatisée, c'est uniquement une reconnaissance de leur état de vie. Dans cette perspective nouvelle effectivement, toute morale mise à part, les homosexuels ont autant de droit que les hétérosexuels... C'est la logique démocratique, c'est la politique démocratique qui, comme l'explique l'Américain Charles Taylor, vise à donner un « droit égal à la dignité » (en l'occurrence au mariage). Dans cette logique individualiste, peu importe ce que l'on fait. La citoyenneté établit une égalité stricte de tous les comportements (sauf grave désordre) et donc le... droit égal à la dignité qui aboutit à cette invention, à haute portée symbolique, du mariage homosexuel. Le mariage homosexuel est avant tout le signe d'un nouveau progrès ( qui pourrait être irréversible dans notre civilisation) de l'esprit démocratique. Si nous ne faisons rien, viendra un temps - il n'est pas éloigné - où nier la possibilité pour les homosexuels de se marier et d'avoir des enfants sera réputé comme contraire à l'Egalité fondamentale et donc comme « antidémocratique ».
C. T. : C'est ce « progrès démocratique » selon vous qui a poussé le pouvoir socialiste à faire de cette idée du mariage homosexuel un projet de loi ?
P. C. : Non ! De façon beaucoup plus prosaïque, le Pouvoir socialiste, ici et maintenant, vise à récompenser une clientèle en lui accordant cet avantage particulier, qui signifie une reconnaissance pleine et entière par l’État de comportements réputés naguère comme déviants. C'est un marchandage politique, qui utilisera l'esprit démocratique pour s'imposer dans les mentalités. On touche à l'origine même de la civilisation ; et on veut faire en sorte que ce nouveau processus soit celui d'une véritable « politisation du mariage », d'un mariage dont l’État seul fixe les règles et les conditions. Le mariage ne sera plus ce mélange de nature et de convention, de raison sociale et de passions humaines qui en faisait une Institution unique. Ce sera une gratification sociale accordée à deux individus (ou plus, pourquoi pas ?) pour reconnaître l'authenticité d'un état affectif quelconque.    
Propos recueillis par Claire Thomas  monde & vie . 20 octobre 2012

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