Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas républicains que nous devons nous désintéresser de la manière dont, depuis quatorze mois, la nouvelle majorité traite les institutions de la Ve république. Et cela pour la simple et unique raison que le traitement que leur infligent le président, le gouvernement et le parlement rejaillit sur les Français.
Or le verdict est sans appel : c’est à l’instauration progressive mais indubitable d’une dictature que s’emploient les socialistes, avec d’autant plus de zèle et de détermination que cette mise en coupe réglée des libertés publiques entre dans la logique d’une Europe à vocation hégémonique.
Les socialistes, qui sont maîtres, au plan national, de l’exécutif, du législatif et du judiciaire — ils se partagent le Conseil constitutionnel avec l’UMP, mais à leur avantage depuis les dernières nominations — et dirigent, au plan local, presque toutes les régions, détiennent un pouvoir d’autant plus absolu que la pratique institutionnelle depuis plusieurs années, avec notamment le quinquennat, renforce la logique partisane aux dépens du Bien commun. En alignant la durée du mandat présidentiel sur celle du mandat législatif, la calamiteuse réforme chiraquienne de 2000 a supprimé toute la dimension transcendante que les fondateurs de la Ve avait voulu imprimer à la fonction présidentielle et que la gauche, génétiquement imperméable à l’autorité royale, avait toujours combattue. Certes, le « souverain » républicain était une image bien pâle du souverain royal, et son indépendance bien relative puisque son élection au suffrage universel ne se révéla jamais être, dans les faits, autre chose que le fruit des logiques conjuguées du parti du candidat, de la finance qui l’a soutenu et des media qui ont mis en scène l’imposture. Dès 1965, c’est-à-dire à la première élection au suffrage universel du président de la république, le rêve d’une élection reposant sur le dialogue entre un homme et son peuple s’était dissipé. Le jeu sordide des partis avait aussitôt repris et la scène politique française avait vu notamment s’affronter, via leurs relais politiques en France, les intérêts soviétiques et américains. Toutefois, le décalage entre les deux temporalités exécutive et législative maintenait, au moins symboliquement, fût-ce sous la forme d’un remords, la fonction propre du souverain. Le saint-simonisme auquel se sont rangées nos élites, de droite comme de gauche, depuis le milieu des années 1970, a mis fin à ce qui est pourtant la condition sine qua non de la liberté des peuples : le gouvernement des hommes plutôt que l’administration des choses, pour la simple et unique raison que remplacer le politique par la technique et le gouvernement par la gouvernance aboutit bientôt à faire du citoyen lui-même une chose administrée.
Nous en sommes là. Faut-il dès lors en accuser les seuls socialistes ? Ce serait évidemment injuste. Comme nous venons de le dire, la droite comme la gauche sont responsables de cette transformation monstrueuse de l’Etat en machine de guerre dirigée contre le peuple et la nation. C’est pourquoi ceux qui, aujourd’hui, à droite, alimentent une nouvelle sarkomania en jouant sur la déception, voire la colère des Français à l’encontre de Hollande, trompent leurs concitoyens — et se trompent eux-mêmes lorsqu’ils sont sincères. N’aurions-nous en effet d’autre solution que de choisir — nous disons bien choisir — entre Charybde et Scylla ? Entre le représentant cynique et vulgaire d’une droite qui a renié la nation en la conduisant là où elle en est — avec, en prime, la victoire de Hollande — et une gauche qui, pour n’avoir jamais été patriote, a ceci d’original, qu’elle mêle à sa conversion mondialiste — forme contemporaine de l’internationalisme — une rigidité idéologique qui la conduit à imposer une « réforme de civilisation », pour reprendre les mots de la Taubira, d’autant plus violente qu’il s’agit pour cette gauche, non pas tant, comme l’a cru la droite nationale républicaine, de faire diversion à l’échec de sa politique économique et sociale — elle n’en a cure, obéissant sur ce point aux ordres de Bruxelles —, que d’achever de dessiner le cadre anthropologique de l’anti-société mondialiste.
C’est que la gauche ne se contente pas seulement de chercher à détruire le fondement même de toute société (mariage « pour tous », théorie du genre, recherche sur l’embryon, PMA et GPA, euthanasie), condition préalable à l’émergence de cet humanoïde dépourvu de toute personnalité voulu par l’idéologie marchande, elle le fait avec sa brutalité coutumière en toute bonne conscience, du fait de sa conviction d’incarner le Bien et le Droit. Contrairement à la droite, la honte n’habite pas la gauche qui ne trahit aucune valeur, et surtout pas un peuple qui n’a jamais été que son fonds de commerce plus ou moins fantasmé. Violences policières, appropriation des sacro-saintes valeurs républicaines, aggravation de la pesanteur idéologique des politiques dites antidiscriminatoires visant à l’émergence de cet être neutre sur les plans à la fois ethnique, éthique et sexuel auquel aspire l’idéologie mondialiste, dans le cadre d’une criminalisation accrue de la liberté d’expression, endoctrinement de la jeunesse dès la maternelle, immigrationnisme destructeur des personnalités nationales, dissolution de mouvements politiques — une tradition à gauche — : d’un côté, l’invasion, le bâillon, la matraque, le juge et la prison, de l’autre la persuasion orwellienne ; d’un côté la violence physique, de l’autre l’agression intellectuelle, psychique, morale et spirituelle.
Oui, Taubira n’a pas trompé son monde : c’est bien la civilisation qui est en jeu, cette civilisation catholique et gréco-latine qui, en s’incarnant dans le peuple français, y a produit ses meilleurs fruits. Pourtant, rien de neuf sous le ciel. Cette gauche haineuse et destructrice n’est que l’héritière des forces de mort qui ont voulu détruire l’âme de la France en 1793 en commettant le parricide royal. Ce n’est pas la première fois que notre peuple est confronté à ce nihilisme arrogant et haineux. Ce n’est même pas la première fois que ce dernier a cherché à détruire les fondements même de la société, à travers la famille. Les possibilités offertes par la technique permettent seulement la concrétisation des fantasmes les plus pathologiques. Le fond demeure le même. Et ce fond, c’est la haine de l’homme.
Le projet de la république moderne, partie en guerre contre Dieu et toute autorité, comme le disait Clemenceau, vise la fonction royale elle-même. Aussi notre combat pour le roi n’est-il pas seulement un combat institutionnel, réductible à un article de la Constitution. Le roi n’est pas un gestionnaire. Un roi saint-simonien est une contradiction dans les termes. Avant même ce que sa présence permet d’assurer en propre — l’arbitrage, l’unicité de la décision, l’autorité —, le roi, incarnant par sa personne un pouvoir à visage humain, garantit toutes les dimensions de cette humanité, son horizontalité et sa verticalité, ses besoins et ses aspirations. Le propre du roi est de gouverner l’homme tel qu’il est quand la république le force à devenir ce qu’elle voudrait qu’il soit. La seconde est totalitaire en son essence quand la première sera toujours synonyme de libertés et d’amour — cet amour dont Maurras faisait le fondement de la royauté.
François Marcilhac - L’AF 2868