Mettre l'Espèce à la place de Dieu - c'est-à-dire être toujours obsédé par l'Un -, alors que c'est l'individu qui peut seul la revendiquer, voilà donc le dénominateur commun des totalitarismes rouge et brun, et donc la source de toute Terreur, et aussi de notre désir contemporain de standardisation (le phantasme du clone!). Parce qu'ils voulaient éradiquer l'âme, le "moi", les régimes totalitaires du vingtième siècle postulaient que l'homme est totalement malléable, indéfiniment réformable par le collectif. Il s'agissait de le reconstruire via le conditionnement, la propagande, l'eugénisme. Le fantasme de l'homme nouveau ne visait que la réification de la personne. Et l'on est bien forcé de constater qu'une certaine philosophie New Age imprégnant fortement notre temps, si chère au cœur des soixante-huitards et "bourgeois bohèmes" de toutes sortes, s'inscrit nettement dans cette filiation, via l'idée du "Cerveau global". Elle est encore un autre visage du rêve totalitaire "mou", un visage également serein, car elle ne croit pas, elle non plus, à la violence physique. Son projet de réforme radicale de l'humain, de transformation personnelle n'est souvent que le synonyme de cette réduction de l'homme à un simple matériau de construction.
Pourquoi le soixante-huitard cultive-t-il d'ailleurs son penchant New Age ? Il trouve ça chic et plaisant : c'est une marque (c'est-à-dire un "produit de luxe") et une manière de diminuer le stress ! Bref, le New Age est carrément tendance... Le côté "pouvoir des fleurs" ne lui déplaît pas ! Cette touche de désinvolture et de distance qu'apportent les pratiques du "Nouvel Age", ou supposées telles, le font passer pour un "sage" épris de spiritualité, en quête d'"authentique", et attentif à "ce monde qui nous parle". Le soixante-huitard adore passer pour un autre ! Depuis tout petit il aime bien se déguiser. Il paraît que c'est un passe-temps très répandu entre le 7e et le 16e arrondissement de Paris... Il y a là plein de types en Mercedes et de nymphes évaporées qui adorent se prendre pour ceux qu'ils ne sont pas...
Mais le fond de l'affaire, c'est que le soixante-huitard adore les climats de douce torpeur, celui-là même qu'il retrouve dans le New Age. Il y a dans tout cela une claire volonté de sortir de l'Histoire qui n'est pas pour lui déplaire. Pourquoi ne pourrait-on pas en avoir assez du bruit et de la fureur ? Des siècles de combats, de conquêtes et de vastes constructions politico-idéologiques ont épuisé l'espèce humaine au-delà du supportable. Désormais, le temps vient du repos... Le soixante-huitard pense sincèrement que le "bobo" est l'avenir de l'homme... Pétards, parties fines, soirées branchées et séjours réguliers sur des plages ensoleillées : oui, pourquoi pas après tout... Le problème est que tout cela a un prix : celui de notre humanité. Le soixante-huitard l'accepte. Il acquiesce à la mort de l'individu souverain, solaire, et il fait siens les oukases du politiquement correct, de la pensée unique et de la novlangue qui assurent la tranquillité de l'esprit. Il acquiesce également au creusement des inégalités sociales puisque la douceur de vivre pour une minorité exige l'adaptation de la majorité à une précarité socio-économique plus ou moins relative et chronique. Le New Age est donc une manière de condenser cet état d'esprit global. Mais voyons de plus près comment se constitua se mouvement sociétal.
Pour les "maîtres du Verseau", il n'existe pas de nature humaine immuable, définissable : l'homme n'est qu'un programme, une variable constamment révisable, adaptable à volonté. Ils s'échinent à nous convaincre que nous pouvons "gérer" nos croyances, les modifier, ou même les éradiquer : on imagine aisément qu'ils n'hésiteraient guère à procéder au décapage mental nécessaire pour que certains récalcitrants "s'émancipent" de cadres de pensée jugés inadéquats.
Né en Californie et en Écosse au milieu des années 1960, à Big Sur, près de San Francisco, et à Findhorn, le New Age portait le message d'une nouvelle ère, celle du Verseau, évoquée pour la première fois par Paul Le Cour, et qui succédait à l'ère sombre des Poissons. Un "Nouvel Age" débuterait, tissé d'harmonie et communication entre les hommes ! Véritable "changement de paradigme", comme aiment à le qualifier ses adeptes, ce nouveau cadre de pensée marquerait l'élargissement décisif de la conscience humaine et l'actualisation de soi, c'est-à-dire la réalisation du potentiel intellectuel, affectif, spirituel et mystique de l'individu. Le nouveau millénaire, exploré par Marylin Ferguson dans Les Enfants du Verseau, publié au cours des années 1970, serait censé ouvrir une époque de synthèse des connaissances humaines (et donc d'équilibre et de bonheur). Il est en effet frappant de constater à quel point le New Age pioche dans toutes les sciences, qu'elles soient physiques ou humaines. Dans le corpus doctrinal des fils spirituels du fondateur d'Esalen - Michael MacMurphy -, et des "Écossais" - Peter Caddy, David Spangler ou George Trevelyan -, la Gnose de Princeton, les théories du physicien Fritjof Capra, auteur du Tao de la physique et les thèmes écologiques côtoient les thèses d'Helena Petrovna Blavatsky, pivot de la Société théosophique, créée en 1875, ou celles du transcendantalisme d'Henry David Thoreau, Ralph Waldo Emerson et Louisa May Alcott. A l'instar de la gnose, la mouvance New Age postule que c'est le savoir qui sauve, et non la foi ou la grâce.
Éric Delbecque, La métamorphose du pouvoir
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