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Le phénomène New Age ou l'individualité sous surveillance 2/2

Le "Nouvel Age", c'est également des pratiques : celle du channeling - que l'on peut traduire en français par spiritisme, dont la figure emblématique fut Allan Kardec -, celle aussi du voyage astral, du lying, c'est-à-dire de la régression dans des vies antérieures, ou celle encore du tantra sky dancing, mariage du sexe et de la spiritualité. Il faut y ajouter l'exercice certainement salutaire du yoga ou de la respiration holotropique - chère à Stanislas Grof -, la propagation de la sophrologie ou du biofeedback, c'est-à-dire l'apprentissage du contrôle de ses propres réactions physiologiques. 

     Qu'importe toutefois de croire aux chakras, à la possibilité d'applications médicales de l'occultisme - enseignées par Eliphas Lévi - où l'astrologie karmique, de réciter des mantras ou d'articuler son existence autour de l'enseignement de la Gnose : qui peut dire où est la vérité ? Il semble vain de vouloir discuter les croyances les plus répandues chez les new-agers. Pourquoi disserter pour savoir si nous avons ou non plusieurs corps - trois, cinq ou sept - qui seraient des champs d'énergie vibratoire formant autour du corps physique un corps de lumière, c'est-à-dire l'aura ? Quel intérêt d'engager le fer pour démontrer ou infirmer qu'il n'y a pas de hasard, que nous sommes entraînés dans le flux des réincarnations, que l'au-delà a été exploré, que le corps est notre inconscient, que l'on peut communiquer avec les anges, qu'à force de croire nous pouvons rendre vrai, c'est-à-dire que la visualisation de ce que nous désirons est créatrice de ce rêve ? En faisant connaître à l'Occident les philosophies de l'Orient et en cherchant à percer à jour la tradition commune à toutes les religions, Helena Blavatsky œuvra peut-être utilement ; de même, les mouvements de développement du potentiel humain présentent bien des aspects stimulants : d'Alice Bailey, qui créa avant l'heure l'expression de "Nouvel Age", à la divinisation équivoque de l'homme, but de la transformation personnelle, en passant par la "Jesus Révolution" et Woodstock, l'éventail des chemins spirituels est large et ne mérite pas systématiquement la suspicion...
     Il importe en effet de ne pas se méprendre : si un certain recyclage de ces différentes approches intellectuelles et philosophiques du phénomène humain apparaît lourd de menaces, on ne peut invalider pour autant la démarche de ces pensées alternatives. 
     En revanche, c'est le paradigme holistique, et donc désindividualisant, qui peut rendre inquiétant l'univers de pensée New Age. Le millénarisme du grand tournant ou l'impératif de la transformation personnelle ne prennent souvent sens, positivement ou négativement, qu'à travers le prisme holiste. Il n'est pas anodin que les new-agers les plus résolus fréquentent les écrits de René Guénon tout autant - et parfois plus - que les textes de Teilhard de Chardin ou les nombreux ouvrages de Papus, pourtant une référence essentielle à leurs yeux. Il n'est pas indifférent non plus que l'on retrouve Maître Eckart, Paracelse ou Tommaso Campanella dans leurs auteurs favoris. 
     Ce qu'ils recherchent essentiellement chez tous ces théoriciens, comme dans certaines interprétations du bouddhisme ou de la gnose, de la philosophie orientale et la mystique, c'est l'apologie d'un monisme panthéiste dressé contre le moi souverain. Pour les accros du New Age, autrui n'est pas unique. Ils ne veulent d'ailleurs pas l'envisager comme un objet de désir, comme le seul être pouvant combler la béance qui nous mutile. Leur conception fusionnelle de l'espèce humaine est férocement anti-humaniste. Leur obsession de bâtir une communauté organique, indivise, les rend inaptes à la rencontre de l’altérité, les enfonce conséquemment dans le solipsisme le plus désespérant, et leur fait croire qu'ils n'ont nul besoin d'autrui. 
Eric Delbecque, La métamorphose du pouvoir

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