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Pourquoi il ne faut plus compter sur la croissance des pays émergents

Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Turquie… Les grands pays en croissance ralentissent. Un trou d’air qui pourrait s’avérer durable.

François Hollande comptait sur la croissance mondiale pour entraîner vers le haut l’économie française. Le rebond américain devait se combiner au dynamisme des pays émergents pour aider la zone euro à sortir de la crise économique. Las. À en croire le Fonds monétaire international (FMI), ce scénario optimiste est caduc. Cette année, la richesse mondiale devrait progresser de 3,1 % seulement, pas plus qu’en 2012. Les désormais fameux Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ainsi que d’autres économies du monde en forte croissance, comme la Turquie, ralentissent.

Dans la dernière livraison de ses perspectives de l’économie mondiale, le FMI note que la croissance dans les pays émergents et les pays en développement devrait ralentir à 5 % en 2013 et à environ 5,5 % en 2014, soit environ un quart de point de pourcentage de moins que prévu dans les PEM d’avril 2013. Cette année, la hausse du PIB ne devrait pas dépasser 2,5 % au Brésil et en Russie.

Évidemment, les émergents exportateurs n’ont pas été insensibles à la crise de croissance dans les pays riches. Mais cela n’explique qu’une petite partie de leurs difficultés. Au Brésil par exemple, les deux tiers de la croissance sont portés par le marché intérieur.

Des politiques monétaires déstabilisantes

Paradoxalement, c’est l’hypothèse d’une sortie de la politique monétaire ultra-accommodante aux États-Unis qui a fait réaliser aux investisseurs les risques liés à certaines économies. Gavés de dollars par la banque centrale, les investisseurs (banques, fonds de pension, fonds monétaires américains, hedge funds) ont longtemps misé sur les pays émergents pour s’assurer de confortables rendements, alimentant la hausse de leurs indices boursiers. Mais la perspective de voir cette source de financement se tarir les incite maintenant à retirer leur argent, pour l’investir sous des cieux considérés comme moins risqués, comme aux États-Unis. Conséquence de cette fuite des capitaux étrangers : les cours de Bourse baissent, tout comme les monnaies locales. En trois mois, la roupie indienne, le réal brésilien et le rand sud-africain ont chuté de plus de 10 % par rapport au dollar.

Après s’être longtemps plaint de la surévaluation du réal, sous l’effet des politiques monétaires des pays riches, le Brésil subit une situation inverse. L’effet est bien sûr positif sur les exportations, mais cela renchérit surtout le coût des importations dans un pays où la balance commerciale (le solde entre exportations et importations) est déjà déficitaire et l’industrie encore assez peu développée. Résultat, la banque centrale doit augmenter les taux d’intérêt pour retenir l’argent étranger et ne pas trop déstabiliser les entreprises, au risque d’étouffer une activité déjà fragile.

L’inflation guette

Autre exemple, la Turquie. La banque centrale a été obligée d’augmenter en juillet son taux d’intérêt malgré l’approche des élections municipales et présidentielles de 2014 : la fuite des capitaux inquiète, dans un pays très dépendant de l’étranger pour financer sa forte expansion. D’autant que la baisse de la monnaie, en renchérissant le prix des importations, contribue à entretenir une inflation de 8 % en 2012, au moment où le Premier ministre islamiste Recip Tayyip Erdogan doit faire face à une contestation contre son projet de détruire le parc Gezi à Istanbul.

En Inde, la baisse de la roupie entraîne le renchérissement de nombreux biens de première nécessité, comme l’huile, frappant les populations les plus défavorisées. Face à ce phénomène, la capacité de la banque centrale à intervenir sur le marché des changes ainsi que les réserves de change sont limitées : selon des analystes cités par l’Agence France-Presse, elle disposait début juillet de seulement 7 mois de réserve de devises étrangères pour financer ses importations, soit son plus faible niveau depuis… 13 ans.

Un ralentissement structurel ?

Mais le retournement annoncé de la politique monétaire américaine, dont le rythme est encore sujet à interprétation sur les marchés, n’explique pas tout. Dans les années 2000, la forte croissance des pays émergents et les bonnes performances de leur place financière – après une période marquée par des crises à répétitions – ont été tirées par l’intégration de la Chine dans le commerce mondial, ce qui a stimulé les exportations des autres pays ; la hausse continue du prix des matières premières (hydrocarbures, minerais, produits agricoles) ; la baisse des taux d’intérêt qui ont amélioré leur condition de financement et la maîtrise de l’inflation, énumère Goldman Sachs dans une note de juin 2013.

Or ces facteurs ne devraient plus jouer favorablement, prédit la banque d’affaires américaine. D’abord, l’impulsion liée à l’intégration de la Chine dans le commerce mondial s’atténue. De 10 % par an, la croissance chinoise tourne maintenant autour de 7,5 %, selon les chiffres officiels, probablement surévalués. Les autorités de Pékin doivent gérer le développement incontrôlé du système bancaire parallèle, qui a multiplié les créances opaques, ainsi que le rééquilibrage du modèle de croissance vers la consommation intérieure, ce qui devrait prendre du temps. Ensuite, la période de forte hausse des matières premières “est probablement terminée”. Les pays qui ont dilapidé cette ressource plutôt que de l’investir risquent d’en souffrir (Russie). D’autant que l’inflation ne devrait pas continuer à baisser aussi fortement que pendant la période précédente. Malgré le ralentissement de la croissance, elle pourrait même rester élevée dans certains pays comme la Turquie, le Brésil ou l’Inde (deux pays où les défaillances dans les infrastructures comme les transports entretiennent la hausse des prix et, par ricochet, des salaires), anticipe Goldman Sachs. En Afrique du Sud par exemple, les mineurs font régulièrement la grève pour obtenir une revalorisation à deux chiffres de leur salaire, rogné par une inflation supérieure à 5 %. Quant aux taux de financement, ils ne peuvent que remonter avec la normalisation des politiques monétaires des pays riches. La conclusion de la banque est sans appel : dans leur ensemble, les marchés émergents seront moins profitables aux investisseurs à l’avenir.

Gérer les mécontentements

La conduite de la politique économique dans les pays émergents s’annonce donc délicate. D’un côté, les gouvernements doivent attirer les capitaux ; de l’autre, ils ne peuvent pas étouffer la croissance avec des taux d’intérêt trop élevés. Ils vont surtout devoir arbitrer entre leur volonté de soutenir une activité en berne et la lutte contre l’inflation, un dilemme plus cornélien encore depuis l’émergence d’une classe moyenne qui a gagné du pouvoir d’achat – souvent en s’endettant – et qui subit aujourd’hui de plein fouet la hausse des prix. Les émeutes liées à l’augmentation du prix des tickets de bus à Rio n’en sont que l’illustration la plus médiatique.

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