Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Charles le Bien servi et les siens

Charles VII a-t-il été victime, aux yeux de la postérité, de la gloire de Jeanne d’’Arc, et de la présence, autour de lui, de personnalités plus flamboyantes que la sienne ? Le fait est que ce roi, malgré l’’un des bilans les plus éclatants de notre histoire, paraît souvent y faire triste figure.
Un personnage méconnu
Lorsqu’’il vient au monde, le 22 février 1403, le onzième enfant du roi Charles VI et d’’Isabeau de Bavière, baptisé Charles, comme deux de ses aînés disparus en bas âge, et titré comte de Ponthieu, ne paraît vraisemblablement pas promis à un grand destin. L’’état de santé mentale de son père étant alors fort ébranlé, et la reine se refusant d’’ordinaire à partager la couche d’un dément qui la rosse, de bonnes âmes murmurent que le prince n’est pas du souverain, mais du frère de celui-ci, le beau duc Louis d’’Orléans. Vaines rumeurs, mais qui pèseront de tout leur poids sur le destin de l’enfant, et qui expliquent, en partie, le caractère de celui qui, en dépit des obstacles, deviendra un jour Charles le Victorieux et le Bien Servi.
Des surnoms dont son dernier biographe, Georges Minois, souligne l’’ambivalence, pour ne pas dire la malveillance. Charles VII n’aurait-il donc été, finalement, qu’’un assez pauvre personnage, sauvé par des seconds rôles de grand dévouement et de grand talent ? Plus d’un historien l’a dit, et parfois même démontré. Pour beaucoup, « le gentil dauphin » doit tout à Jeanne, qui l’aurait arraché à son apathie en le confortant, « de par Dieu » dans la certitude de sa filiation légitime. Pour d’’autres, derrière la bonne Lorraine se profilerait la remarquable Yolande d’’Aragon, duchesse d’’Anjou, antithèse opportune de la Bavaroise, dont le sens politique et l’’intelligence auraient « inventé » l’’épopée johannique, et donné à son jeune gendre la motivation qui lui manquait. Il faudrait encore mettre en évidence la qualité des capitaines, de certains princes de la famille royale, du financier Jacques Cœœur, des commis de l’’État, qui, à eux tous, auraient réussi, à refaire de la France annexée, vaincue, démembrée, des lendemains d’’Azincourt et du traité de Troyes, le pays puissant, réunifié, riche, destiné à s’imposer comme la nouvelle grande puissance de l’’époque.
Georges Minois, pour sa part, refuse cette version qui réduirait Charles VII à rien, ou peu s’’en faut, et cherche à prouver que le roi ne fut pas le jouet de son entourage et des circonstances, mais que, lucidement, patiemment, intelligemment, il a peu à peu construit lui-même l’œ’œuvre de résurrection française. Dans ce contexte, les initiatives de son entourage, jusque’’aux mieux intentionnées, s’’avéraient gênantes, pour ne pas dire nuisibles, face au plan de génie médité par le roi. Et Jeanne elle-même, avec ses témérités inspirées d’’En Haut, ne pouvait être qu’’une trouble-fête agaçante, à ranger ni plus ni moins dans la catégorie des nombreux illuminés des deux sexes qui pullulaient alors dans un pays aux abois… …C’’est un défaut fréquent des biographes qui veulent trop défendre un personnage par ailleurs réellement méconnu et sous-estimé de dénigrer ceux jugés lui faire de l’’ombre. Georges Minois n’’y échappe pas et ce travers gâte un peu ce gros livre documenté, foisonnant, tapisserie de haute lice qui, loin de se borner à la personne de Charles VII, brosse autour de lui l’’immense fresque de l’’époque, des événements et des protagonistes. Synthèse nécessaire, certes, car l’’on ne peut parler du roi sans parler de son œœuvre et de la France. Mais, dans l’’ampleur du tableau, Charles VII, l’’homme, dont Minois souligne combien nous sommes renseignés sur lui, disparaît un peu. Et c’’est un comble puisque le but est de démontrer quelle place il tient dans l’’ensemble. Au vrai, le bilan du règne parle pour lui, et l’’on serait tenté de dire qu’’il n’’y a pas de honte, dans ces conditions, à être « le Bien Servi », car seuls ceux qui le méritent trouvent des serviteurs à la hauteur de leurs rêves. Ne pas l’’admettre serait accréditer la légende injuste qui fit aussi du roi Charles l’’Ingrat.
Première favorite
Certains historiens, sentimentaux ou romanesques, ont cru trouver une explication à la transformation du souverain en homme enfin sûr de lui et en triomphateur : l’’amour. Marié par raison d’’État à sa cousine Marie d’’Anjou, femme exquise mais dont les chroniqueurs du temps disaient aimablement « qu’’elle était laide à faire peur aux Anglais », Charles VII se serait soudain épanoui dans les bras d’’Agnès Sorel, fille d’’honneur de la duchesse d’’Anjou, rencontrée à Toulouse en 1443.
En fait, la métamorphose du roi est assez largement antérieure à l’’apparition de la demoiselle dans sa vie. Il eût été surprenant, sans cela, que ce timide renfrogné trouvât l’’audace d’’imposer à la face du monde, non point la première maîtresse royale, mais la première favorite en titre ; autrement dit que le roi très-chrétien se revendiquât publiquement adultère, ce qui ne s’’était jamais vu, du moins en France.
Sur la beauté d’’Agnès, fantasmée, exaltée, entre autres par la fameuse Vierge à l’’Enfant de Jehan Fouquet, pour laquelle l’’impudique aurait servi de modèle, les contemporains demeurèrent divisés. Les uns la portaient aux nues, un évêque, scandalisé, ne la trouvait « qu’’une assez jolie garce ». La question semblait insoluble jusqu’’à ce qu’’en 2004, le retour de sa dépouille mortelle en la collégiale de Loches, d’’où les chanoines l’avaient délogée en 1777 avec l’’accord de Louis XVI, entraînant une énième exhumation, permît à la science de trancher la question.
Cet événement macabre a servi de prétexte à la biographie que Françoise Kermina publie et qui prend en compte les dernières découvertes. Étrange illustration du thème pieux des vanités que cette vie d’une jeune femme tant admirée, tant aimée, morte à vingt-cinq ans environ, retracée ici à la lumière des analyses de quelques fragments osseux. Enfin, s’’il semble maintenant certain qu’’Agnès fut victime d’un empoisonnement au mercure, il demeure impossible de dire si ce fut le résultat d’une erreur médicale, ou un crime politique. L’’histoire, il est vrai, n’’est pas une science exacte.
Roi plein de charmes
René d’’Anjou, involontaire complice des trahisons conjugales de son royal beau-frère, n’’était pas lui-même un parangon de vertu, mais il mit à tromper ses épouses, Isabelle de Lorraine puis Jeanne de Laval, plus de discrétion, et une espèce de bonne humeur, de sorte que, loin de lui nuire, ses passades ajoutèrent à sa légende.
Certains historiens ont estimé que c’’était faire trop d’honneur à ce prince léger, maladroit, incapable de grands actes politiques, guerrier malchanceux et dilapidateur de son hoir. Jacques Levron, dans une biographie parue en 1954 et sans cesse rééditée depuis, a, pour sa part, justifié « le bon roi René » et son heureuse réputation tant auprès des Angevins que des Provençaux. Sous sa plume alerte et souriante, ce cadet de la Maison de Valois-Anjou, jamais idéalisé ni excusé, apparaît cependant plein de charmes.
Certes parfait produit d’’une société chevaleresque expirante qui vivait un peu trop dans ses rêves, René, s’il perdit son royaume de Naples par maladresse, eut au moins la sagesse, qui manquerait à d’’autres, de ne pas s’’enliser dans une guerre italienne. Si, politiquement, il n’’avait pas vu la société évoluer, intellectuellement, il annonce déjà les princes mécènes de la Renaissance. Poète, de moindre talent que son cousin Charles d’’Orléans, peintre, musicien, grand amateur de joutes et de spectacles, il fut aussi et surtout un horticulteur et un agronome, soucieux de ses jardins, de ses vergers, de ses vignes, qui fit beaucoup pour l’’acclimatation d’’espèces méditerranéennes dans la vallée de la Loire et en Lorraine. Proche de la spiritualité franciscaine, il aimait les oiseaux, les animaux, et les pauvres qu’il savait secourir et protéger. C’’est cela d’’abord que ses sujets ont retenu de lui, et sans doute ont-ils eu raison.
Tueur en série
Gilles de Rais était, lui aussi, le produit d’un monde qui finissait dans des tumultes tels que ses contemporains en perdaient parfois l’’esprit. Comme les princes angevins, dont il fut tour à tour féal et adversaire, il aimait le luxe, le faste, et cultivait un besoin de paraître propre aux grands seigneurs de son temps. L’’ennui étant que le sire de Rais, tout maréchal de France qu’il fût devenu par la grâce de son protecteur Georges de La Trémoille, n’’avait pas su gérer une carrière militaire et politique si bien commencée.
À trente ans, son rôle était achevé, le condamnant, faute de trouver à s’employer à sa mesure, à se muer en seigneur brigand qui cherchait, en jetant son argent par les fenêtres, à retrouver dans la société la place qu’’il n’’avait pu garder. Cette prodigalité fut le premier signe qui inquiéta sa parenté, avant les rumeurs insistantes qui faisaient état de disparitions de petits garçons autour des demeures du terrible baron.
Comment, pourquoi, un tueur en série, assassin d’au moins cent quarante enfants en trois ans, homosexuel honteux, pédophile, sataniste, a-t-il pu laisser dans la mémoire collective, non pas un souvenir innommable et horrible, mais une image troublante et pathétique ? Il s’’est même, depuis un siècle, trouvé des auteurs pour soutenir son innocence, prétendre qu’’il avait été victime de la haine du duc de Bretagne et de l’’évêque de Nantes, et réclamer sa réhabilitation solennelle. Jacques Heers, dans une biographie parue en 1992 et rééditée en édition de poche, démontre que Gilles de Rais fut coupable, ce que, d’’ailleurs, il ne nia jamais, mais aussi que l’’homme, entre lumière et ténèbres insondables, est plus surprenant encore qu’’on l’’imagine.
Très loin des suppositions gratuites, l’’ouvrage, appuyé uniquement sur les documents d’’époque, montre un personnage de plus modeste importance qu’’on l’a dit, bon capitaine, mais point des premiers, compagnon de Jeanne, sans conteste, mais sans doute pas lié à elle par la passion souterraine que certains se sont plu à imaginer. Heers montre combien Gilles est de son temps, en illustrant la part noire. Cependant, et c’’est certainement pourquoi, en dépit de ses crimes épouvantables, le sire de Rais n’’est pas victime de la malédiction de la postérité, il demeura, jusque dans ses pires turpitudes, ses pires dérives, sa pire folie, un chrétien épouvanté de ce qu’’il faisait, qui trouva la force de demander pardon, et de ne pas désespérer de la miséricorde. Telles sont la véritable grandeur et la noblesse d’’un personnage qui serait, sinon, dénué d’’épaisseur et d’intérêt.
Cette dimension mystique, cette quête de la rédemption n’’est pas ce qui a retenu les innombrables littérateurs qui, depuis le XVIIIe siècle, ont glosé sur l’’histoire sanglante du « Barbe Bleue breton ». Au contraire, c’’est l’’aspect démoniaque, la transgression, surtout sexuelle, qui ont inspiré leurs fantasmes. De Sade aux maîtres anglo-saxons du roman gothique, des romantiques celtisants aux sous-littérateurs amateurs d’’érotisme et d’’horreurs, le thème du seigneur maudit se livrant, en de sombres forteresses isolées, à des jeux interdits et cruels, a beaucoup inspiré. Avec Gilles de Rais et la littérature, Michel Meurger recense tous les ouvrages de ce genre parus sur le sujet, les compare à l’’histoire officielle, et tente de comprendre cette métamorphoses et ses causes. Un travail universitaire d’’une exhaustivité remarquable.
Anne Bernet L’’Action Française 2000 du 4 au 17 mai 2006
* Georges Minois : Charles VII, Perrin, 850 p., 26 euros.
* Françoise Kermina : Agnès Sorel, Perrin, 200 p.,17 euros.
* Jacques Levron : Le bon roi René, Perrin, 295 p., 21 euros.
* Jacques Heers : Gilles de Rais, Perrin Tempus, 250 p., 8 euros.
* Michel Meurger : Gilles de Rais et la littérature, Terre de Brume ; 74 rue de Paris, 35000 Rennes. 235 p. 18,25 euros.

Les commentaires sont fermés.