Il n’est pas un de nos actuels politiciens qui, usant de la candeur et de la verve que n’auraient guère renié les antiques sophistes, s’évertue à démontrer l’ineptie profonde des trop nombreux sondages de notre temps, dès lors que l’idée qu’ils défendent se trouve affaiblit ou pire, donnée perdante. Diatribes souvent pitoyables et peu crédibles car une fois élus, ces mêmes politiciens n’auront de cesse de regarder avec la juvénile fébrilité de l’adolescent boutonneux ces sondages, ajustant leur politique et leurs décisions sur l’opinion majoritaire, cette doxa vulgus qu’exécrait Platon pour sa volatilité et sa fragilité.
L’objectif quasi-affiché de cet « ajustement » politique est évident : ramener le maximum de voix, user encore et toujours de manipulations démagogiques pour s’assurer une majorité relative d’électeurs et donc, conserver le poste et ses privilèges. L’exemple présidentiel est à ce propos édifiant : depuis le véritable commencement des instituts de sondages au début des années 1970, chaque président de la république a décidé de fixer sa politique non plus sur le Bien Commun, non plus sur un réel programme politique, mais sur les résultats des sondages et sur l’idée qu’ils avaient de « l’opinion publique ». Si les récents quinquennats (Sarkozy, Chirac) pullulent littéralement d’exemples, force est de constater cette constance chez leurs prédécesseurs : par exemple, la Loi de 1973 sur l’avortement fit écho à un « sondage » manipulateur de l’Institut SOFRES où une majorité des françaises interrogées « aideraient une amie en cas de grossesse non désirée, dans des conditions matérielles, sociales ou psychologiques très mauvaises ». Entre l’entraide à une amie et l’avortement de l’enfant à naître, il n’y a qu’un pas que de nombreux malthusiens s’étaient empressés de franchir…
Or, ce changement complet de ligne directrice politique, cette « dictature de l’opinion », revêt aujourd’hui un caractère particulièrement dangereux pour notre pays : parce qu’elle est intrinsèquement volatile et manipulable au niveau national, l’opinion publique n’est à l’évidence pas garante de la vérité. Loin de l’utopique « volonté générale éclairée» décrite par Rousseau dans son livre Le Contrat Social, la majorité est aujourd’hui, à l’heure où le pouvoir médiatique est à son paroxysme, un ensemble malléable et informe, incapable de poser une réelle pensée objective et intelligible. Alexis de Tocqueville, remarquable chantre de la démocratie, concevait déjà à l’époque de la rédaction de son œuvre les risques d’une « toute-puissance démocratique », ce qu’il nomma « Tyrannie de la majorité ». Face à ce danger, Tocqueville écrivait :
«La toute-puissance me semble en soi une chose mauvaise et dangereuse. Son exercice me parait au-dessus des forces de l'homme, quel qu'il soit […]. Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu'on l'a organisé aux Etats-Unis, ce n'est pas […] sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n'est pas l'extrême liberté qui y règne, c'est le peu de garantie qu'on y trouve contre la tyrannie. Mais la majorité elle-même n’est pas toute-puissante. Au-dessus d’elle, dans le monde moral, se trouvent l’humanité, la justice et la raison ; dans le monde politique, les droits acquis. La majorité reconnaît ces deux barrières, et s’il lui arrive de les franchir, c’est qu’elle a des passions, comme chaque homme, et que, semblable à eux, elle peut faire le mal en discernant le bien »
Ces barrières, la reformation intellectuelle et sociale d’un bicentenaire républicain aura suffit à en venir à bout. La morale et la raison, le bon sens et le Droit naturel semblent aujourd’hui relégués aux oubliettes de la politique, comme l’affligeante campagne présidentielle a pu malheureusement le montrer. Demain, l’actuel président socialiste fera adopter les lois consacrant le mariage et l’adoption par les homosexuels (prévus pour Août 2012), l’euthanasie et le renforcement du droit à l’avortement, bafouant ainsi toute notion de Droit Naturel , de raison et de morale en basant sa politique sur cette « opinion publique » si volatile et fragile…
Demain, la crise économique appellera les gouvernements européens à bien plus de courage politique et de décisions économiques probablement impopulaires. Il est dès lors évident que les gesticulations politiques qui eurent cours pendant le dernier quinquennat ne pourront dès lors plus faire illusion : le gouvernement français sera appelé à poser de réelles mesures d’austérité et à réformer complètement son système politique et économique. Mais ces réformes ne verront certainement pas le jour, surtout sous une présidence socialiste : l’actuelle « dictature de l’opinion » aura évidemment raison du courage politique et du bon sens qu’appellerait pourtant la fonction gouvernementale…
Augustin Debacker - ASC N°20 - Juin 2012