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Chronique de livre: Eva Cantarella, Les peines de mort en Grèce et à Rome ; origine et fonctions des supplices capitaux dans l’antiquité classique, Albin Michel, 2000.

evac1.JPGAlors que de plus en plus de personnes se révèlent favorables au rétablissement de la peine de mort en France et que l’on sait que la Biélorussie est le seul pays a encore l’appliquer en Europe, nous allons faire un saut dans l’antiquité pour faire un tour d’horizon de cette pratique en Grèce et à Rome. Si l’historienne italienne Eva Cantarella, professeur de droit antique à Milan, déclare dans sa préface être opposée à la peine de mort, force est de constater qu’elle a fait un travail de recherche précieux et objectif sur un thème qui avait jusqu’alors assez peu retenu l’attention.

Le titre du livre évoque les peines de mort car, dans la Grèce et surtout dans la Rome antiques, elles étaient plurielles, ce qui n’est pas le cas de nos jours car, là où la peine de mort subsiste, le droit ne prévoit bien souvent qu’un seul type d’exécution. L’étude d’Eva Cantarella ne se borne cependant pas à simplement cataloguer les différents moyens de mise à mort, elle cherche à les expliquer en s’appuyant avant tout sur leur origine. La plupart des peines en vigueur tant en Grèce qu’à Rome (dans sa période républicaine; la période impériale n'étant pas directement traitée ici) puisaient dans le passé archaïque et pré-civique des cités : dans les pratiques sociales (le pouvoir tout puissant du pater familias par exemple) mais aussi dans les us et coutumes religieux. Le droit des cités naissantes se préoccupa en priorité de contrôler ces usages, en les adaptant ou en les réinterprétant selon les cas, et en en faisant bien souvent des pratiques institutionnelles. Ce contrôle des pratiques de mise à mort permettait ainsi à l’Etat d’affirmer son autorité aux yeux de tous, de faire la justice tout en la réglementant mais aussi d’utiliser certaines peines dans un but religieux, afin d’écarter les peurs collectives (comme celle de la souillure). L’auteur a choisi de diviser son étude en deux grandes parties : la première traitant de la Grèce, la seconde de Rome. Les similitudes qui existent sont évidemment soulignées et la principale repose selon Eva Cantarella dans le but poursuivi par la peine de mort : venger, châtier ou expier.

La vengeance personnelle est, dans l’antiquité, un devoir social et une pratique extrêmement normale et enracinée dans les mœurs. Elle fait partie des attributs du citoyen noble et vertueux. Ancrée au plus haut point dans les sociétés grecque et romaine, elle fut tempérée dans les deux cas par des lois telles la loi de Dracon (-620) à Athènes ou, à Rome, par la Lex Iulia de adulteris d’Auguste (-18) qui voulait restreindre l’impunité dont jouissait le mari ou le père sur la châtiment d’une femme adultère car, tant en Grèce qu’à Rome, la femme et son amant se rendant coupables d’un tel crime, pouvaient, à l’origine, très facilement être tués légalement, surtout s’ils étaient pris en fragrant délit… L’Etat contrôlait la vengeance privée et, à Rome, beaucoup de cas se résolvaient par l’application de la loi du Talion qui consistait pour le coupable à subir ce qu’il avait fait. Dans certains cas graves, la législation permettait l’exécution du coupable par le parent le plus proche de la victime. La vengeance privée n’était pas la seule à être en vigueur, la vengeance publique était également de rigueur et ceux qui trahissaient l’Etat risquaient fort un châtiment peu enviable à l’image de l’écartèlement de Mettius, dictateur d’Albe, qui avait trahi les romains.  

Dès lors qu’il s’agit de châtier le coupable, que cela soit en Grèce et surtout à Rome - où les peines prévues sont bien plus nombreuses - tous les crimes et délits graves ne se soldent pas par la même exécution. Il faut noter également que le traitement varie selon le sexe, les femmes ayant leurs propres peines de mort. Celles-ci sont ainsi quasiment toujours exécutées dans la sphère privée, pendues ou emmurées vivantes dans la plupart des cas. Si la grande majorité des peines infligées aux hommes étaient publiques, certaines se voulaient discrètes, c’est pour cela qu’on utilisa dans certains cas la ciguë à Athènes : pour ne pas trop faire de bruit autour de l’exécution de personnages tels Socrate. Le lien avec les supplices de la mythologie était souvent entretenu par les cités, l’exemple athénien avec sa crucifixion particulière étant un cas révélateur. Attachés à un poteau grâce à des anneaux de fer et des crampons, les traîtres, les malfaiteurs et les assassins subissaient une longue agonie rappelant celle qu’Ulysse avait infligée à Mélanthios. La crucifixion romaine « typique » était, quant à elle, surtout utilisée pour punir les esclaves, comme ce fut le cas lors de la révolte de Spartacus qui se solda par le supplice de 6 000 hommes crucifiés sur la route de Capoue. Une autre crucifixion primitive avait en effet existé pour punir les traîtres : celle de l’arbre infelix. Remplaçant la décapitation en vigueur sous les premiers rois de Rome, cette exécution était certainement d’origine étrusque. Le traître était attaché à un arbre infelix - donc maudit et consacré aux dieux infernaux -, il était ensuite flagellé à mort car, en le battant, on le consacrait aux dieux.

On le constate avec ce dernier exemple : souvent, la peine de mort avait un aspect religieux. La plupart des flagellés à mort à Rome étaient coupables d’un délit à caractère religieux à l’image des amants des Vestales qui étaient battus à mort en l’honneur des dieux qu’ils avaient mécontentés. La bonne entente entre Rome et ses divinités, la Pax Deorum, étant rompue, la mort par flagellation permettait de la rétablir. La mort par précipitation est un cas relativement intéressant : elle consistait à précipiter le condamné d’une roche vers un gouffre : le Kaiadas à Sparte, le Barathron à Athènes, la Roche Tarpéienne à Rome. En lien avec la mythologie encore une fois (la mort du Sphinx dans le mythe d’Œdipe etc), cette mise à mort concernait avant tout les crimes religieux (les offenses aux dieux) et politiques dont celui de trahison. C’est ce dernier crime qui était la cause principale des précipitations opérées à Rome. En lien avec l’histoire de Tarpéia, la précipitation était la mort par excellence des traîtres, de ceux qui avaient manqué au devoir de fides (loyauté) : les faux témoins ou les individus ayant mis en danger les relations entre patriciens et plébéiens, donc la concorde. Manquer de loyauté envers la société équivalait à un crime religieux car le devoir envers les divinités n’était pas rempli. La victime précipitée était donc consacrée aux dieux infernaux, comme dans le cas de la flagellation. Le choix de la précipitation n’était pas anodin. Cette pratique avait en effet, selon les époques, servi pour les sacrifices ou les ordalies (jugements divins). Elle fut employée pour les crimes à caractère religieux de manière tout à fait logique ; elle avait une fonction expiatoire : celle de préserver la cité de la souillure. Je m’arrêterais enfin sur un dernier exemple de peine en vigueur à Rome, la peine de mort la plus étonnante qui soit : celle du sac. Le condamné à mort, portant un masque de loup signifiant le bannissement de la société, était préalablement battu avec des verges rouges provenant d’arbres infelix, avant d’être mis dans un sac de cuir où on l’y enfermait avec quatre animaux : un chien, une vipère, un singe et un coq. Le sac était ensuite jeté dans la rivière ou dans la mer. Peine exceptionnelle, à la symbolique compliquée, elle touchait les parricides qui avaient, par leur crime, souillé la communauté. Celle-ci devait donc, pour laver la souillure, se débarrasser du coupable et de son impureté en le submergeant, manière dont on tuait d’ailleurs à Rome le nouveau-né mal formé et donc souillé, le monstrum, qui était un prodige funeste…

Même si quelque peu « technique » par moments, ce livre de facture universitaire est clair et bien écrit. En plus des aspects les plus significatifs que j’ai tenté de présenter plus haut, il regorge d’informations sur d’autres peines de mort et pratiques apparentées (à l’image du suicide à Rome par exemple), c’est donc un ouvrage de grand intérêt nous éclairant sur bien des aspects méconnus de l’antiquité gréco-romaine.

Rüdiger http://cerclenonconforme.hautetfort.com/index-35.html

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