« Ferdinand furieux », portrait de Céline avec 313 lettres inédites, adressées à l'auteur par Céline (Edit. L'âge d'homme).
« En écoutant Godeau », notes sur Marcel Jouhandeau (Edit. du Lerot).
« Arletty », un portrait d'une amie admirée (Edit. Stock).
« Avant Chaval », souvenirs d'une amitié née à l'Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux (Edit. La Butte aux Cailles).
« À l'ombre des grandes têtes molles », chronique des années 34 à 37, le mouvement maurrassien et le Front populaire (Edit. Table Ronde).
Elle s'est élaborée depuis cinquante ans selon la seule exigence de mon plaisir. C'est dire qu'elle est aussi riche que peu élaborée.
En commençant à parler d'elle, je veux saluer ceux dont je ne m'éloignerai jamais parce qu'ils ont éclairé ma jeunesse : Charles Maurras et Louis-Ferdinand Céline. À vingt ans, j'ai appris de Charles Maurras la rigueur et une pensée. Je garde aussi l'image du petit homme vêtu de noir qui pénétrait à la nuit tombante dans l'imprimerie de « l'Action française » en portant une énorme serviette bourrée de papiers et de journaux. Il s'installait à un bureau médiocre et écrivait pendant quatre ou cinq heures. Il faisait l'analyse des faits et des événements d'ordre politique, économique ou social qui avaient marqué le cours de la journée. Ses livres sont essentiels à tout esprit curieux. À l'affirmation implacable et sans concession de l'idée, s'ajoute la réussite savoureuse d'une langue assurée.
L'ami Léautaud
Je pense à Paul Léautaud, solitaire, indifférent aux développements dialectiques, achetant chaque matin « l'Action française » et lisant, avant même d'avoir passé le seuil du « Mercure », les trois ou quatre colonnes du Maurras uniquement pour le plaisir du texte. Quelles que soient les solutions ultérieures ou les dissidences dictées par l'humeur, il reste que « Mes idées politiques » « Enquête sur la Monarchie » « Le dictionnaire » « Trois idées politiques » et tous les autres sont inévitables pour la perfection de l'écriture autant que pour la force des idées ou l'ironie confondante qui les traverse souvent. De Michelet, il écrit : « Mourant d'envie de raisonner, il prit le plus court. Il utilisa son bon cœur. » « Aujourd'hui comme au temps de ma jeunesse je crois que celui qui ignore « L'avenir de l'intelligence » est forcément un peu en manque, même s'il ne s'en doute pas. »
En face il y a Louis-Ferdinand Céline découvert à la même époque grâce à un célèbre article de Léon Daudet qui, du premier coup d'oeil, avait discerné à travers le « Voyage » une révolution impossible à freiner. Céline, c'est la maîtrise du langage, c'est la connaissance exhaustive des mobiles que l'homme prétend cacher, c'est la parole qui nous atteint parce qu'elle est simple et minutieusement façonnée sans qu'il soit possible d'en repérer les ressorts au moment où elle est prononcée. Dans « Voyage au bout de la nuit » dans « Mort à Crédit » dans les pamphlets, dans les chroniques, tout ce que Ferdinand écrit nous dérange et nous subjugue, souvent provoquant notre rire. Je suis de ceux qui pensent que Semmelweis est ce qui a été dit de plus bouleversant sur la passion de guérir et de sauver.
Mon regard se promène sur les livres de ma bibliothèque et s'arrête sur ce qui m'attache. Au-delà des frontières de mon pays, Von Kleist, Shakespeare, Borges, O'Henry, Tchékhov, Pirandello, tous dévorés, sans autre règle que mon plaisir et souvent ma jubilation... Je relis mon compatriote, Chateaubriand, le vicomte, qui mêle le sublime et les pointes acérées... « Il convient de distribuer le mépris avec parcimonie à cause du grand nombre de nécessiteux... » ou ce jugement : « Il était tombé de la médiocrité dans l'importance... »... et le Cardinal de Retz... et Chamfort... et Rivarol qui me tape sur l'épaule quand je lis une rubrique politique... : « Ces gens de droite qui sont si gauches et ces gens de gauche qui sont si peu droits... » Il a écrit cela ce matin... Je fais une place à ce Roumain qui écrit un si beau français, E.M. Cioran.
L'Auvergne et la Franche-Comté
...Et ceux d'aujourd'hui, Français liés par la perfection de la langue et enracinés à leur terre, Alexandre Vialatte qui connut un éléphant irréfutable et auvergnat... Marcel Jouhandeau qui fit de Chaminadau un petit monde exemplaire de tout ce qui germe, fleurit et meurt à l'ombre des clochers,... Jacques Perret le marin qui invente le « Machin » et qui jouait si bien du théorbe... Marcel Aymé, le Franc-comtois qui ne se rend jamais... Nenni ma joué !... Accusé bêtement de fascisme et de trahison en 1945, il fit part au président de la République de son étonnement quand celui-ci lui offrit la Légion d'honneur... : « Votre décoration, vous pouvez vous la mettre... etc. »... et Paul Léautaud, ce maître à écrire... et Paul Morand, Julien Gracq, Georges Brassens... et Blondin... et Jean Anouilh...
Et puis, Apollinaire, ce Guillaume de Kostrowitzky un peu Russe, un peu Italien, un peu Polonais... Il savait qu'être Français, ça se mérite. Alors, il s'engagea le 10 août 1914... « Il y a » la guerre... « il y a » la blessure... « il y a » la Mort... Un chef-d'œuvre de l'immigration...
« J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte
souviens-t-en
Nous ne nous verrons plus
sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que j'attends ».
Guillaume Apollinaire, un poète français.
National Hebdo du 14 au 20 janvier 1988