◘ SYNERGIES EUROPEENNES – Bruxelles/Dresde – octobre 2005
Les plus célèbres épées de l’histoire ou de la mythologie portent un nom : Balmung, Nagelring, Excalibur, etc. Ces noms expriment la valeur symbolique et magique qu’elles reflètent. Leur nom et les actes qu’elles ont accomplis leur procurent simultanément une particularité.
Souvent, ces épées uniques en leur genre ont une origine divine, ont été données à l’homme par des dieux et reviennent souvent à ceux-ci en bout de course. Si un héros possède l’une de ces épées, il possède en même temps et puissance et salut. Pour cette raison, l’épée, tenue en main, exprime la force et les capacités masculines et phalliques, ce qui, par extrapolation, symbolise la puissance dominante. Ainsi, les héros solaires et les vainqueurs des forces chtoniennes/telluriques ont pour attribut l’épée.
Sur le plan de l’histoire évolutive de l’humanité, l’épée n’est forcément pas un symbole très ancien, car ce n’est qu’à l’Âge du Bronze que les hommes ont disposé des capacités de fabriquer des épées. Les premières d’entre elles sont fort décorées, ce qui indique leur usage principalement sacré. Et si l’épée est l’attribut de la classe guerrière dominante, le fabricant d’épées, acquiert, lui aussi, une dimension plus importante : il s’agit du forgeron.
Dans la mythologie scandinave, le dieu du tonnerre, Thor, entretient un rapport médiat avec l’épée. Si son attribut majeur est le marteau, celui reste tout de même aussi l’œuvre du forgeron, dont le travail consiste à manier le feu et d’autres marteaux, que l’on associe ensuite à l’éclair et au tonnerre. Jörd, d’après l’Edda de Snorri, est la mère de Thor ; elle est la personnification de la Terre. C’est d’elle que jaillissent les métaux que travaillent le forgeron. Le dieu solaire Freyr possède, lui aussi, une épée, capable de combattre seule. Il est le dieu de la fertilité, de la richesse matérielle, du développement pacifique. Ses représentations accentue sa dimension phallique.
Dans l’hindouisme védique et dans le bouddhisme, l’épée et le varya revêtent le même symbolisme ; le terme sanskrit de “varya” désigne tout ce qui est masculin/viril, dont le phallus et la semence. Il signifie aussi la “foudre” et symbolise tout ce qui relève symboliquement de l’éclair. La massue à lancer, attribut d’Indra, se nomme également varya. Comme le marteau de Thor, cette massue d’Indra peut ôter comme donner la vie ; elle est ainsi un symbole herculéen. Dieu qui décide de l’orage, Indra est représenté en couleur rouge, ce qui indique une appartenance à la caste des guerriers, ou kshatriya, caste qui le vénère en Inde.
Le rapport à l’épée a une dimension encore plus philosophique en Asie. Au Japon, la noblesse chevalière, c’est-à-dire les samouraïs, cultive une conception spirituelle à l’égard des 2 épées que possède le samouraï, soit le katana et le wakizashi. L’épée, pour eux, n’est pas seulement un objet de vénération, mais est aussi un symbole de l’âme. Par voie de conséquence, les samouraïs maintenaient leurs épées dans un état de pureté absolue et ne les maniaient qu’avec le plus grand respect. Les ninjas, en revanche, considéraient les épées d’une manière bien plus prosaïque. Leurs épées, contrairement à celles des samouraïs, n’étaient pas courbées, mais droites, ce qui avait pour avantage de pouvoir les utiliser comme outils, d’en faire éventuellement une arme de jet, de donner des coups d’estoc, de s’en servir comme levier ou comme échelle, etc.
Pour le samouraï, un usage aussi vil de l’épée était totalement inconcevable. En Orient, l’épée a une dimension féminine. En Occident, elle a généralement une lame droite, tandis qu’en Orient elle est courbée, à la façon des sabres ultérieurs. Au Japon, comme dans l’espace indo-européen, l’épée est l’attribut des divinités masculines du tonnerre et de la tempête, telles Susano-o au Japon, Indra en Inde, Mars dans le monde romain…
L’épée est également mise en équation avec l’intellect et possède de ce fait une vertu séparante, scindante : Alexandre le Grand a résolu une tâche autrement impossible, défaire le nœud gordien, tout simplement en le tranchant. La déesse Iustitia tient en une main une balance, en l’autre une épée. Ces 2 objets ne représentent pas seulement les aspects législatif et exécutif. L’épée symbolise la force de sa capacité de juger ; elle l’aide à séparer culpabilité et innocence. Au Moyen Âge, lorsque le chevalier passait la nuit avec la Dame qu’il admirait, il plaçait son épée entre lui et elle, posant de la sorte une barrière insurmontable qui symbolisait leur chasteté à tous 2. Enfin, lorsque le chevalier est frappé sur l’épaule lors de son adoubement, ce geste symbolise la séparation en 2 de sa vie : celle d’avant l’adoubement, et donc l’entrée en chevalerie, et celle d’après. C’est clairement un rituel d’initiation.
Tacite évoquait déjà la danse de l’épée chez les Germains. L’histoire de ce rituel et de cette chorégraphie s’est poursuivie jusqu’au XXe siècle. Bon nombre d’indices nous signalent qu’il s’agit pour l’essentiel d’une cérémonie d’initiation.
Comme l’épée est un objet récent dans l’histoire du développement général de l’humanité, les mythes, où l’épée joue un rôle, ne datent pas d’un passé fort lointain, comme l’indique notamment le mythe judéo-chrétien où Adam et Eve sont chassés du paradis terrestre. Dans ce mythe biblique, l’épée a aussi une fonction “séparatrice” ; elle est en l’occurrence l’épée de feu de l’Archange Michel, qui sépare l’homme du Jardin d’Éden. Vu que Michel a des origines iraniennes et qu’après la christianisation de la Germanie, il a remplacé Wotan/Odin dans tous les symboles religieux, avec une interprétation chrétienne nouvelle, où son épée de feu sépare l’homme chrétien nouveau de son passé païen organique. L’épée de Michel est pour l’humanité germanique une sorte d’épée de Damoclès…
► D. A. R. Sokoll. (Hagal n°2/2002)
◘ Bibliographie :
- BIEDERMANN, Hans, Knaurs Lexikon der Symbole, Augsburg, Weltbild, 2000.
- COOPER, J. C., Illustriertes Lexikon der traditionellen Symbole, Wiesbaden, Drei Lilien, 1986.
- LURKER, Manfred, Lexikon der Götter und Dämonen : Namen, Funktionen, Symbole/Attribute, 2. erw. Aufl., Stuttgart, Kröner, 1989.
- PASTENACI, Kurt, Die Kriegskunst der Germanen, Karlsbad u. A., Adam Kraft, 1942.