Un mois après la chute de la monarchie, le massacre des prisonniers annonce déjà la Terreur.
Le dernier parti, qui est le plus sûr et le « plus sage, est de se porter en armes à l'Abbaye, d'en arracher les traîtres, particulièrement les officiers suisses et leurs complices, et de les passer au fil de l'épée. » Ces conseils sont prodigués par Jean-Paul Marat, le 19 août 1792.
Neuf jours plus tôt, le 10 août, une bonne partie des gardes suisses a déjà été égorgée lors de la prise des Tuileries, qui a décidé du sort de la monarchie. Le 17 a été institué un tribunal spécial chargé de juger les serviteurs de la royauté, mais les milieux jacobins trouvent que le travail va bien lentement et leurs feuilles appellent au meurtre.
La Commune insurrectionnelle de Paris s'impatiente elle aussi et demande que « justice » soit faite. L'ennemi, clame-t-elle, a passé les frontières ; laissera-t-on les traîtres qui conspirent contre la Révolution agir à leur guise aux arrières ? On dénonce un complot des prisons : les contre-révolutionnaires qui s'y trouvent enfermés se seraient alliés avec les condamnés de droit commun pour briser leurs fers, assassiner les familles des soldats absents et livrer Paris aux Prussiens.
Car les troupes du duc de Brunswick approchent. Longwy est tombé le 26 août et le bruit court ce 2 septembre que Verdun a aussi capitulé. On s'attend à voir paraître l'ennemi devant Paris, les barrières de la ville sont fermées, le conseil général de la Commune lance une proclamation martiale : « Aux armes, citoyens, aux armes ! L'ennemi est à nos portes », la générale bat, le tocsin sonne. À la législative, Danton tonitrue : « De l'audace, toujours de l'audace, encore de l'audace, et la France est sauvée ! » Dans cette atmosphère enfiévrée, les fédérés qui partent aux frontières adressent le 1er septembre à l'Assemblée législative une pétition demandant « que tous les prévenus de conspiration, et leurs agents, contre lesquels il n'y aurait que des suspicions probables, soient condamnés à mort et exécutés sur le champ.»
Le 2 septembre, en début d'après-midi, un groupe de 24 captifs, prêtres réfractaires pour la plupart, que des fédérés marseillais et des gardes nationaux conduisent à la prison de l' Abbaye, est massacré : cinq d'entre eux seulement échappent à la tuerie. Le même jour, aux Carmes, 115 autres prêtres réfractaires, dont les évêques de Saintes et de Beauvais, sont expédiés à coups de sabres et de piques.
Le carnage s'étend aux autres prisons parisiennes : on massacre, après un simulacre de jugement, à l'Abbaye, à la Conciergerie, à la Force …
En tout, du 2 au 5 septembre, à Paris, 1244 à 1411 personnes sont assassinées, soit 45 % à 51 % des prisonniers de la capitale. Les prêtres réfractaires, les Suisses et les serviteurs de la monarchie ne sont pas seuls frappés : 72 % des victimes sont des condamnés de droit commun. Le 3 septembre, à Saint-Firmin, on expédie des prêtres ; mais le lendemain, aux Bernardins, des galériens. À Bicêtre, on tue des enfants - « bien plus difficiles à achever que les hommes faits », précise un témoin ; et à la Salpêtrière, le 4 septembre, des jeunes filles en correction et des orphelines, les « justiciers » profitant de l'occasion pour en violer une trentaine. À la Conciergerie, une boutiquière du Palais-Royal condamnée pour avoir émasculé son amant, Marie Gredeler, est abominablement suppliciée… Les septembriseurs, commerçants, artisans ou volontaires partant aux armées, se rétribuent de leur « travail » sur les effets personnels de leurs victimes.
« Je me fous bien des prisonniers… »
Parmi les victimes figure Marie-Louise de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, amie intime de la Reine. On lui demande de jurer « la liberté, l'égalité, la haine du Roi, de la Reine, de la royauté », elle répond : « Je jurerai facilement les deux premières ; je ne puis jurer la dernière, elle n'est pas dans mon cœur ». Ses bourreaux lui coupent la tête, arrachent le cœur et vont exhiber ces trophées au bout de piques sous les fenêtres du Temple, où est emprisonnée la famille royale. Marie-Antoinette s'évanouit. Les feuilles parisiennes incitent les patriotes des provinces à imiter les sans-culottes parisiens. Membre du comité de surveillance de la Commune, Marat, par une circulaire du 3 septembre, informe « ses frères de tous les départements qu'une partie des conspirateurs féroces détenus dans les prisons a été mise à mort par le peuple » et conseille « à la nation entière » d'adopter « ce moyen si nécessaire du salut public ». Les jours suivants, on tue donc à Reims, à Meaux, à Lyon (dont le maire, Vitet, empêche un autre carnage à Roanne).
À Versailles, le 9 septembre, sont immolés les « prisonniers d'Orléans », au nombre desquels se trouvent l'ancien ministre des Affaires étrangères, Claude-Antoine de Lessart et celui de la guerre, Charles d'Abancourt. Conduits d'Orléans à Versailles par une forte troupe envoyée par la Commune sous le commandement d'un aventurier, Fournier dit l'Américain, ces captifs devaient être jugés par la Haute-Cour nationale. En dépit des efforts héroïques déployés par le maire Richaud pour les sauver, 44 d'entre eux sur 53 sont massacrés. Leurs têtes coupées sont plantées sur les grilles du château, tandis que, ce « devoir » accompli, les tueurs se rendent à la maison d'arrêt de Versailles, où ils tuent encore une vingtaine de prisonniers de droit commun.
Qui porte la responsabilité de ces tueries ? À l'évidence, la Commune y a une part essentielle : bénéficiant du soutien des sections, elle fait plier l'Assemblée qui la craint. Par ailleurs, deux membres au moins du Conseil provisoire de la Législative y sont impliqués : le girondin Roland, ministre de l'Intérieur - dont la femme montera dans quelques mois sur l'échafaud en s'écriant : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom » -; et Danton, ministre de la Justice, qui lance : « Je me fous bien des prisonniers, qu'ils deviennent ce qu'ils pourront ! ». Il déclarera un peu plus tard à Louis-Philippe d'Orléans, futur roi des Français : « Ces massacres de septembre sur lesquels vous délibérez avec tant de violence et de légèreté, voulez-vous savoir qui les a fait faire ?… C'est moi. » Il s'agissait, expliquera-t-il, de « mettre un flot de sang » entre les volontaires partant se battre et les émigrés.
À ce titre, les massacres de septembre peuvent être considérés comme l'acte de baptême de la République, proclamée le 21 du même mois. Un baptême de sang.
Hervé Bizien monde et vie. 20 septembre 2010