Que reste-t-il de la droite française sur l'échiquier politique, en 2014 ? Marine Le Pen ; mais est-elle encore de droite ?
En France, la droite existe encore dans les têtes bien faites - nous espérons l'avoir montré au fil des entretiens publiés dans l'enquête que Monde et Vie poursuit depuis de nombreux mois. Mais existe-t-elle encore sur la scène politique? La question se pose et s'impose.
Ne parlons pas de l'UMP, gauchie depuis longtemps, non seulement quant aux « valeurs » qu'elle défend - ce qui est évidemment capital -, mais même concernant ses choix économiques, à peine moins étatistes que ceux de la gauche. (Pour mémoire, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les dépenses publiques sont passées de 957 milliards d'euros en 2006 à 1120 milliards en 2011 ; la dette publique, de 1211,6 milliards en 2007 à 1717,3 milliards fin 2011 ; et les impôts de 822,1 milliards en 2010 à 920,9 milliards en 2012...)
Mais jusqu'à une période récente, des personnalités comme Jean-Marie Le Pen au Front national ou Philippe de Villiers au Mouvement pour la France conduisaient leurs formations politiques respectives. Au-delà de leurs divergences - Villiers passant alliance avec l'UMP pour des raisons d'implantation locale -, ils partageaient certains points communs essentiels : le souverainisme, l'attachement aux valeurs chrétiennes, ainsi qu'une conception anti-étatiste de l'économie.
Critiquant volontiers « l'hypertrophie du service public », Jean-Marie Le Pen déplorait, en avril 2007 : « Les dépenses publiques n'ont cessé d'augmenter, écrasant d'impôts les entreprises qui pourtant sont les seuls organismes économiques capables de créer de la richesse et de l'emploi. »
De son côté, Philippe de Villiers écrivait dans son programme, lors des élections européennes de 2009 : « Entre la mondialisation sauvage et le carcan fiscal et réglementaire qui pèsent sur elles, les entreprises ne sont pas en mesure de s'épanouir. (...) Il convient de protéger le travail de la mondialisation, de le libérer et de le promouvoir en privilégiant les artisans, les commerçants et les PME enracinées. »
Les deux meneurs se sont aujourd'hui mis en retrait de la scène politique, bien que l'un et l'autre restent députés au parlement européen. Le MPF a une élue à l'Assemblée nationale, Véronique Besse. Le Front national en a deux, Marion Le Pen et Gilbert Collard, mais c'est bien sûr sa présidente, Marine Le Pen, qui conduit le parti. Or la question se pose : Marine Le Pen peut-elle encore être classée à droite ?
Certes, elle ne transige pas sur la souveraineté française, s'oppose à l'intégration européenne, combat comme son père l'immigration de masse.
Défendant la laïcité, elle reconnaît toutefois les racines chrétiennes de la France, en déclarant par exemple dans Famille chrétienne, en avril 1012 : « La liberté, l'égalité, la fraternité sont des valeurs chrétiennes ! La France peut être "laïque" parce qu'elle est chrétienne à l'origine. (...) Pour savoir qui l'on est et où l'on va, il est impératif de savoir d'où l'on vient. Ce que nous devons aux valeurs chrétiennes est une évidence : toute notre construction intellectuelle et sociale vient de là. La liberté individuelle, par exemple, est un concept éminemment chrétien. » En revanche, elle n'appelle pas les adhérents et militants du Front national à manifester en tant que tels contre la loi Taubira sur le pseudomariage homosexuel, et ne voit là qu'une question secondaire, voire une diversion. Peut-être laisse-t-elle volontairement à sa nièce, Marion Maréchal-Le Pen, le soin d'apparaître dans les manifestations. En revanche, elle s'engage à revenir sur la loi si elle est élue à la présidence de la République en 2017.
Marine Le Pen est-elle de gauche ?
La rupture avec les positions que tenait son père est plus sensible sur d'autres points. D'une part, elle s'adresse davantage que lui à la Fonction publique d’État, qu'elle considère comme « essentielle ». Elle s'entoure d'ailleurs d'énarques, comme Florian Philippot ou plus récemment Philippe Martel, ancien chef de cabinet d'Alain Juppé, qui est aujourd'hui devenu le sien. Très logiquement, son programme est aussi plus étatiste et dirigiste. Elle n'hésite pas à envisager des nationalisations, parle de planification.
Par ailleurs, elle récuse, beaucoup plus clairement que ne le faisait son père, l'héritage d'une droite maurrassienne et décentralisatrice, au profit d'un néo-jacobinisme qui opère un « rejet catégorique des corps intermédiaires au nom de l'unicité du peuple souverain », écrit Frédéric Rouvillois, professeur de droit public à l'Université Paris Descartes, sur le site Causeur. Cette position correspond d'ailleurs aux origines de son nouvel entourage, issu, comme Florian Philippot, du courant chevènementiste.
Enfin, les références républicaines sont aussi plus systématiques dans son discours. Elle développe d'ailleurs une conception de la démocratie directe que Frédéric Rouvillois qualifie de « radicale » et qui, dit-il, semble la rapprocher « de la tradition rousseauiste et jacobine - autrement dit, de courants habituellement classés tout à la gauche de l’échiquier politique ».
Marine Le Pen est-elle de gauche pour au tant ? On pourrait plutôt voir en elle l'héritière d'un courant populiste, nationaliste et républicain qui s'enracine dans l'histoire des idées politiques françaises et que l'on retrouve par exemple à la fin du XIXe siècle dans le boulangisme, ce mouvement créé autour d'un général républicain qui conquit une large partie de la droite française.
Hervé Bizien monde & vie 14 janvier 2014