La situation politique de la France a sans doute beaucoup évolué dans les 20 dernières années. Le déclin du pays s'est aggravé, au point que le couple franco-allemand, base de la politique étrangère de la Ve république et de ce qu'on appelle la "construction européenne", semble désormais déséquilibré, et ceci peut-être même de manière irrémédiable.
En revanche deux choses n'ont toujours pas changé : le caractère purement rhétorique, d'une part du "socialisme réformateur à la française", toujours entravé par son alliance électorale avec le parti communiste ; et, d'autre part, le caractère mensonger des solutions archaïques proposées par "la gauche de la gauche", dans son ensemble.
Sur le premier point, en effet, quand un Hollande envisage le dialogue avec "les syndicats", ou plus modérément encore avec "les partenaires sociaux" il fait semblant d'esquiver l'inéluctable confrontation avec la plus puissante des centrales, la CGT, et avec son relais au sein de l'Éducation Nationale, la FSU.
Cette dernière fédération dite "syndicale unitaire" résulte en réalité d'une scission de la vieille FEN. Apparue en 1993, elle se targue aujourd'hui d'agir en tant que "première organisation syndicale de la fonction publique d'État : éducation, recherche, culture, formation, etc." Il semble bien que désormais les prélèvements automatiques de ses membres soient même devenus la principale source de financement avouable du PCF et de "L'Humanité". Ceci nous montre bien que l'apparent recul de l'idéologie marxiste, ou du moins de sa formulation explicite, n'empêchera pas la réapparition de ses thèmes via le monopole éducatif d'État.
Sur le second point, les précédents existent de ce qu'on appelle le "tournant social libéral" d'un président aux abois. On peut on doit se reporter à la campagne électorale de 1993, où Michel Rocard, évincé de son poste de Premier ministre en mai 1991, crut opportun de proposer un "big bang politique" social démocrate. Cette formule apparut le 17 février 1993 lors d'un meeting du PS à Montlouis-sur-Loire sans son discours. il préconisait une alliance qui fédère du centre aux socialistes et des écologistes aux communistes rénovateurs. (1)⇓
Ce discours est considéré comme un moment fondateur de la deuxième gauche, à laquelle se rattache aujourd'hui, un Hollande.
Dès le 21 février, dans l'émission l'Heure de vérité sur France 2 Georges Marchais, alors secrétaire général du PCF, dessinait sa riposte. Le vieil appareil stalinien n'a pas cessé de la développer depuis lors, en utilisant notamment tous les cercles et mouvements "antilibéraux".
On s'acheminait vers un gouvernement dit de cohabitation, où en définitive Édouard Balladur siégea pendant deux ans, jusqu'aux présidentielles de 1995 en tant que Premier ministre de Mitterrand. Face à cette hypothèse Marchais riposta "la droite dit "oui nous serons raisonnables" je n'ai pas du tout la même opinion que lui sur la gravité du programme de la droite". Et de dessiner la ligne rouge, celle que selon les communistes et leurs "utiles idiots antilibéraux" il convient de ne jamais franchir : les services publics à la française.
De la sorte "le vote en faveur des candidats communistes pren(ait) une nouvelle dimension pour l'ensemble des électeurs attachés à la gauche et à ses valeurs."
Dès le 23 février, "L’Huma" publiait un article un peu plus dense que d'habitude sur les "Cinq mesures pour l'emploi immédiatement réalisables". Voici la liste des 5 points, on peut considérer qu'elle n'a jamais depuis lors de résumer le contenu de ce que tous les "compagnons de route", tous les "antilibéraux", tous les "altermondialistes" appellent "une autre politique" :
1. impulser une nouvelle croissance [en se référant à la dialectique de "l'impulsion keynésienne" par la "consommation populaire", formule démagogique qui n'a jamais marché.]
2. appliquer la nouvelle loi sur l'emploi [en décembre 1992 à l'initiative des députés communistes l'Assemblée nationale avait adopté une modification du code du travail permettant de bloquer les plans de licenciements, ce qui n'a jamais créé aucun emploi, mais inspire la ligne d'action de la CGT]
3. 35 heures sans diminution de salaire [cette idée désastreuse sera mise en œuvre quelques années plus tard par Mme Aubry].
4. augmenter le temps de formation continue dans les entreprises.
5. humaniser les services [publics] en créant des emplois [à partir de la remarque selon laquelle "les services publics comme la SNCF, la RATP, les PTT et les hôpitaux répondent de moins en moins bien aux besoins des usagers. Le recul du financement d'État, l'endettement sur les marchés financiers les privatisations entraînent une régression du service public dont le sous-effectif est le facteur principal." (2)⇓= une telle analyse tendra donc de manière permanente à justifier un gonflement systématique et ruineux du nombre des emplois publics].
Ce programme désastreux date de 20 ans. Voué à l'échec, il n'a pourtant pratiquement pas varié. Contemporain de la chute de l'Union Soviétique – qu'on ne pouvait plus dès lors proposer comme modèle – il reste sous-jacent à tout le discours actuel de la gauche de la gauche, y compris au prêchi-prêcha qu'elle développe auprès des jeunes, des "indignés", à l'action de la CGT etc. Tant que ses partisans figureront dans une alliance électorale avec le PS, aucun "big bang" à la Rocard, aucun "tournant social libéral" à la Hollande, etc. ne pourra être pris au sérieux.
JG Malliarakis
http://www.insolent.fr/2014/01/comment-la-gauche-de-la-gauche.html
Apostilles
- cf. son discours du 17 février 1993..⇑
- cf. "L'Humanité" du 23 février 1993