Malgré des nom et prénom assez peu communs et que l'on aurait tôt fait d'oublier, Kostas Mavrakis gagne à être connu pour cette étude sur l’Art et surtout sur ce qu’il appelle le « Non-Art ».
Peintre à ses heures, l'auteur est docteur ès philosophie et arts plastiques, et maître de conférences. Il a enseigné par le passé à Paris VIII, dans le département de philosophie. En somme, c’est un intellectuel et un plasticien qui a le mérite d'avoir vogué des deux côté de la barrière : dans la pratique (avec la peinture (d'ailleurs la couverture de ce livre est de lui)) et dans la théorie.
Laissons d’abord l’introduction de cet article au septième de couverture de l’ouvrage, qui définit clairement ce qu’est (ou plutôt n’est pas) le « non-art » :
« L’art contemporain n’est ni art ni contemporain. Ce syntagme fait occuper la place de l’art tout court par le non-art. Une rhétorique habile est déployée pour présenter comme arriéré ou réactionnaire quiconque ne s’en laisse pas conter car les intérêts à ménager sont considérables. Comment et pourquoi s’est accomplie cette résistible ascension de la barbarie ? Le joug que celle-ci exerce ne peut être secoué en murmurant dans son coin que le roi est nu. Aucune nouveauté n’apparaîtra sans notre concours actif. Il faut réfuter le relativisme avant-gardiste en débusquant les sophismes subjectivistes, nominalistes, historicistes qui en constituent le soubassement. Ce discours justifie le n’importe quoi en invoquant l’impossibilité de dire ce qu’est l’art. Kostas Mavrakis en donne pourtant une définition qui englobe ses métamorphoses depuis le commencement du monde. Il établit à cette occasion qu’il n’y a pas d’art sans critique, ni de critique sans critères. Ainsi sont posées les pierres angulaires d’une esthétique générale et d’une esthétique picturale afin de frayer le chemin du renouveau.
On le voit, Kostas Mavrakis ne se limite pas à déplorer la maladie qui ronge et désarme notre civilisation, il en dégage les causes et en fournit les remèdes ou, du moins, les outils conceptuels nécessaires à leur recherche. S’il est vrai, comme le disait Dostoïevski, que le monde sera sauvé par la beauté, il importe aujourd’hui plus que jamais de s’engager pour l’art. »
Concrètement, l'histoire de l'Art, depuis les fresques murales jusqu'au XIXe siècle et le début du XXe siècle, est un art contraint, limité, réglé. Quelque soit l'époque, la région du monde, l'auteur et la personne qui commandait la représentation en question, l'œuvre d'art était liée à une ligne de conduite précise et un souci de réalisme.
Dans la Grèce Antique, par exemple, on représentait une scène mythique voire religieuse ou un homme d'état prestigieux sinon très riche, et l'artiste se devait d'être le plus proche possible de la réalité physique. Sculpture, peinture, tous les modes de représentation existants étaient alors utilisés.
On retrouve plus ou moins le même schéma dans les siècles qui suivent, en changeant juste le nom, la forme et le fond de la religion (ou l'idéologie) attachée à l'époque et à la société dans laquelle se mouvaient l'artiste et la personne qui avait commandé l'œuvre.
En fin de compte, l'Art était irrémédiablement attaché à des codes. Et une œuvre d’art était celle qui arrivait à se jouer des codes tout en ne s’en éloignant pas de trop, et qui arrivait à procurer du plaisir au spectateur.
Les formes artistiques peuvent changer, l'essence de l'art reste la même. Tout artiste, qu'il soit littéraire ou plastique, sait que le but premier des arts est de plaire, de procurer du plaisir.
Pour reprendre Kostas Mavrakis :
« Lorsque Leibniz définit le beau :"pulchrum est cuius contemplatio jucunda est", il ne dit pas autre chose que saint Thomasd'Aquin :"pulchra dicuntur quae visa placent". PourLessing il va également de soi que "le but final des arts [...] est le plaisir". Kant s'exprime d'une manière très proche quand il dit que le "goût est la faculté de juger [...] par la satisfaction ou le déplaisir", tout commeWittgenstein qui a écrit : "le beau est ce qui rend heureux". » (page 182).
Ils sont encore nombreux, les grands noms des Arts, à déclarer que le plaisir est ce qui fait l'Art (Molière, Poussin, Delacroix, et même Sartre).
Ainsi, pour rentrer au cœur du sujet centré sur l’existence et la diffusion d’un non-art, il faut revenir un petit siècle en arrière, au "tournant de 1910".
Aux environs de cette date s'opère "un glissement de terrain" qui « emportera la civilisation occidentale, dont l'art est une composante ». A cette date, le nihilisme culturel et la volonté de détruire l'art sont ouvertement exprimés (voir le poète Marinetti dans le Figaro de 1909 qui dit qu'il "faut coûte que coûte être original", que "l'art ne peut être que violence, cruauté, injustice", ou qu' "une automobile de course [...] est plus belle que la victoire de Samothrace" (pages 51-52)).
Les avant-gardes, les Dadaïstes et le modernisme transforment l'art "d'avant" en un bouillonnant mélange d'objets quelconques (voir l'urinoir envoyé au Salon des Indépendants de N.Y. par R. Mutt en 1917 avec la déclaration suivante "l'artiste peut être n'importe qui, l'œuvre n'importe quoi"). Les courants artistiques qui suivirent cette date charnière sont connus et représentatifs de cette transformation : l'Abstrait, le pop-art, le "nouveau réalisme", etc.
A défaut de limites, de règles, la Liberté prend racine dans l'Art et, sans bornes, sans soucis esthétique, il devient impossible de pouvoir comparer, juger, critiquer l'art. Cet art ne signifie plus que ce que son auteur "veut qu'il lui signifie, ni plus ni moins" (comme le dirait le chat d'Alice au pays des merveilles, Humpty Dumpty, à propos de la signification des mots qu'il emploie (page 66)).
L'art, ou plutôt le non-art, peut donc devenir tout et rien à la fois, tout dépend de ce que les critiques artistiques auto-proclamés décident.
« De surenchère en surenchère, la suppression de toutes les caractéristiques de l'œuvre d'art aboutit très rapidement à des objets ou des absences d’objets tels que des bouts de ficelle, un tas de charbon ou de feuilles mortes, (...). Parvenu à ce point zéro, le principe de ces pratiques se transforme en son contraire. Comme il n'y a plus rien à soustraire, leur dynamique s'épuise. Leur idole était le "novum", elles sont désormais au régime de la répétition. La différence que cultive chaque "artiste" est désormais trop indifférente pour valoir comme innovation. A la révolution dans la civilisation qu'annonçaient les avant-gardes de jadis, s'est substitué le conservatisme le plus intolérant. A la subversion de tous les codes, a succédé un code unique purement négatif que l'Etat sanctionne et subventionne » (page 69).
L'art est devenu redondant, sans surprise, multiforme, il se veut social, sacré, militant et tolérant, pensant et subversif, profond et se jouant de toutes les règles.
Ce non-art est aussi aidé de ses "connaisseurs" qui n'hésitent jamais à jouer la carte du "le néophyte ne pourrait pas comprendre" pour faire vivre ce non-art. Ce dernier en est d'ailleurs arrivé à un point où sa période de gloire vient de sa publicité, de son advertising. Ce qui est amusant, puisque paradoxale, c'est de voir les artistes en plein dans le non-art, très nombreux (trop nombreux même, puisqu'il y a une véritable saturation d'artistes), critiquer cette capitalisation des œuvres. Souvent, d'ailleurs, on considère que l'artiste qui ne vend pas est un artiste déchu au talent incompris. Puis il vend. Et, on se rend compte après que c'était pas terrible. Ce positionnement de l'Etat français face à son art conduit, à leur insu ou non, les musées et les commissaires d'exposition à exposer des bouses, magnifiquement emballées par les connaisseurs mais incompréhensibles auprès du grand public forcément profane, qui seront très rapidement oubliées.
Le non-art c'est donc de la subversion jetable en série. Mais, qui donc oserait critiquer cela en ayant en tête que "le modernisme est un devoir" ?
En somme donc, Kostas Mavrakis, en reprenant les mots du sociologue Roger Caillois disant que "tout art participe d'une civilisation", dresse via cette étude rigoureuse du non-art un tableau de notre civilisation.
Se rangeant auprès des nombreux penseurs parqués vulgairement par les milices de la pensée-dominante sous le sigle des "nouveaux réactionnaires", K. Mavrakis lance une énième mise en garde face à cette décadence de la société, et propose quelques solutions entrevus dans la revue dirigée par Alain de Benoist Krisis (n° 19 novembre 1997), dont voici le sommaire :
Art / Non-art ?
Kostas Mavrakis, Penser le modernisme
Misère de la critique, entretien avec Jean-Philippe Domecq
Jean Baudrillard, Illusion, désillusion esthétiques
Modernité contre avant-garde, entretien avec Jean Clair
L’ethnisme, un avenir pour l’avant-garde, entretien avecBen
Jean-Joseph Goux, Les monnayeurs de la peinture
Louis Védrines, Notes sur la peinture
De la fin de la « mimésis » à l’esthétisation du monde, entretien avec Remo Guidieri
Alain de Benoist, Image interdite, image exaltée. Iconoclasme et religion
Architecture traditionnelle et démocratie culturelle, entretien avec Léon Krier
Gérard Zwang, Dix raisons pour ne pas devenir baroque
Michel Marmin, Musicalement correct ? Brève réponse à Gérard Zwang
Le texte : Oswald Spengler, Musique et arts plastiques
Ce tir groupé face aux modernistes provoqua d’ailleurs beaucoup de bruit dans le "milieu", et les attaques traditionnelles de ces gens-"là" volèrent donc un peu partout dans les journaux (Alain de Benoist "accusé" d'être de mêche avec Le Pen, Baudrillard qui se fait sermonner par Philippe Dagen dans Le Monde, Kostas Mavrakis, par le même auteur, critiqué parce qu'il aurait "flirté" avec des idées nazies puisqu'ayant expliqué que l'art "nazi" était plus créatif que l'art des pays démocratiques de l'époque, etc.).
Encore une fois, donc, on se retrouve face à face avec le lien d'acier qui unit "marchands, fonctionnaires culturels et maîtres des médias", et les nombreux anathèmes qui ponctuent les conflits avec cette Union Sacrée.
L'Art est plus que jamais au centre des préoccupations, et son histoire un objet de pouvoir incroyable.
Aristide pour le Cercle Non Conforme