Une fois n’est pas coutume : nous sommes d’accord avec Jean-Luc Mélenchon. Non seulement parce qu’il s’est déclaré convaincu, le 16 mars dernier à l’émission « Tous politiques » sur France Inter, à propos de l’affaire des écoutes téléphoniques visant Sarkozy, que le gouvernement ne pouvait pas ne pas être au courant « depuis le début » : Hollande et Ayrault « mentent tout le temps.
Les rois des menteurs, c’est eux. » Mais surtout parce qu’il a affirmé, aussitôt après, que les Français assistent à « l’agonie d’un système » : « pas seulement celui du parti solférinien, qui n’a plus d’idéal ni ligne ni orientation ni même norme morale », a-t-il précisé, rappelant au passage que le PS n’a aucune leçon de moralité à donner à qui que ce soit ; non, les Français assistent avant tout à « l’agonie de la Ve république ».
Toutefois, notre accord s’arrête-là : car en héritier de Gambetta, Mélenchon demeure un farouche partisan du régime d’assemblée, qui a fait tant de mal à la France, et sa VIe république ne serait qu’un retour calamiteux aux pires expériences institutionnelles des IIIe et IVe républiques, où l’instabilité gouvernementale le disputait à une corruption endémique. Comment ne pas voir que si la Ve république tient encore dans l’opinion publique, c’est uniquement par ce qu’elle mime encore de pouvoir monarchique, qui tient à l’élection du président de la république au suffrage universel ? Ce lien symbolique fort, aux relents monarchiques, que ce mode de désignation crée entre le peuple et le chef de l’Etat, s’oppose directement au régime d’assemblée... C’est pourquoi De Gaulle restaura ce lien en 1962, contre le pays légal.
On le sait : pour porter tous ses fruits et se transformer en restauration nationale, cette réforme impliquait que De Gaulle s’effaçât, en 1965, devant le comte de Paris. L’élection au suffrage universel du chef de l’Etat n’avait en effet de signification que comme vecteur du retour du roi. Au contraire, les partis, dès décembre 1965, c’est-à-dire à la première élection présidentielle, en mettant De Gaulle en ballottage, signifièrent à celui-ci que, faute pour lui d’être allé au bout du processus, ils reprenaient la main. C’est pourquoi les républicanistes patentés qui, par rigidité idéologique, dénoncent encore aujourd’hui le caractère monarchique de la Ve république, refusent de voir que les partis politiques, conformément à leurs souhaits, ont depuis bien longtemps recolonisé l’Etat ou, plutôt, ce qu’il reste d’une institution millénaire que le pays légal, droite et gauche confondues, a depuis plus de vingt ans consciencieusement vidé de toute substance au profit du Leviathan européen et de l’oligarchie cosmopolite, dont les partis ne sont plus que les courroies de transmission.
Tel est donc l’étrange paradoxe français : le régime ne tient plus dans la population qu’en raison de ce qu’il continue de paraître à leurs yeux, sans plus l’être, à savoir une monarchie élective. Nos compatriotes, en dépit du lessivage de cerveaux que, génération après génération, l’enseignement et leurs « élites » leur ont fait subir, seraient-ils donc toujours orphelins du roi ? Et ne toléreraient-ils nos politiciens que dans l’exacte mesure où, en dépit du rejet que provoquent leur cynisme et leur impuissance, la tête de l’Etat semblerait toujours incarner, au moins théoriquement, constitutionnellement, au-dessus des intérêts privés, le bien public — la seule définition acceptable de la res publica ? Dans ces conditions, la baisse de popularité de Hollande pourrait entraîner, en devenant abyssale, une perte de légitimité irrémédiable.
Ne nous berçons pas d’illusion : nos concitoyens seraient, dans leur grande majorité, bien surpris d’apprendre qu’ils sont royalistes sans le savoir. Le roi n’appartient-il pas à un passé définitivement mort ? En 1791, pourtant, combien de Français ne rapportaient-ils pas la république à Rome, c’est-à-dire à l’antiquité ? Et pourtant, un an plus tard, pour notre plus grand malheur, la Gueuse était proclamée. Et le roi bientôt assassiné.
Rien n’est définitivement joué pour la simple raison qu’il n’y a pas de fin de l’histoire. Ni en politique intérieure ni en politique extérieure. L’Europe est en train de l’apprendre à ses dépens en Ukraine ; la France, surtout, si du moins François Hollande continue d’avoir pour seul objectif d’en rajouter encore dans sa soumission atlantiste, risquant de faire perdre au pays toute crédibilité internationale. Déjà, avec zèle, le petit caniche Fabius déclare à l’heure où nous écrivons que la France « pourra envisager » d’annuler la vente, signée en 2011, de deux de ses navires militaires Mistral à la Russie — coût pour nos finances : 1 milliard ! — « si Poutine continue ce qu’il fait » (sic) en Ukraine, tout en soulignant que les autres pays européens devraient aussi prendre des sanctions... Parions que ni Cameron ni Merkel, qui a joué une partition très personnelle avec Poutine ces dernières semaines, ne verraient d’un mauvais œil notre pays saborder ses contrats militaires ! Durant ce temps, le géopolitologue Aymeric Chauprade, qui ferait un bien meilleur ministre des affaires étrangères, en mission d’observation en Crimée, a noté, pour La Voix de la Russie, la grande sérénité qui régnait sur place le jour du référendum. L’agitation est manifestement du côté « occidental » — tant est que ce terme ait jamais désigné autre chose que la soumission des nations européennes (qui le voulaient bien) aux intérêts américains. Les Russes, eux, continuent de persévérer dans l’être, sûrs de leur bon droit à réunifier leur pays. Au nom de quoi le leur interdirions-nous ? Leur détermination que, malades que nous sommes, nous qualifions de brutale, n’est à leurs yeux que la saine et tranquille affirmation de soi. Peut-être aussi ont-ils retenu la leçon du Kossovo en matière de respect « occidental » des frontières d’un Etat souverain...
Alors que le pays entame une période électorale à hauts risques pour la majorité actuelle, dont le recul, toutefois, ne se traduira pas nécessairement par un raz-de-marée de la droite parlementaire qui n’a, elle aussi, aucune leçon de morale politique à donner, c’est d’une boussole que les Français ont besoin. Ils ne sauraient évidemment la trouver dans des partis qui leur offrent, sans plus aucune retenue, le spectacle d’un cloaque particulièrement malsain : médusés, nos compatriotes assistent à la remontée à la surface de compromissions et de conflits d’intérêts mettant en cause l’élite politicienne ! Pourtant, face à la liquéfaction du pays légal, nos compatriotes auraient tort de trop espérer de mouvements qui semblent surtout devoir profiter du discrédit des partis en place : rassembler en parole est insuffisant pour incarner l’espérance, qui ne se gère pas comme un fonds de commerce. Plus même : qui ne se gère pas du tout. Car, comme nous l’a appris Péguy, c’est une petite fille dont la force réside dans le dessein qu’elle incarne. La république, qui est le régime de la précarité nationale, impose, à intervalles plus ou moins réguliers, la nécessité de recourir à un sauveur. Il n’est pas certain que nous l’ayons trouvé, alors même — paradoxe suprême — que nous savons QUI pourrait définitivement nous libérer de cette pesante incertitude.
François Marcilhac - L’AF 2882
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Edito-de-L-AF-2882-L-agonie-de-la