De Jean Rouvière dans Présent :
"Le décret adopté le 14 mai dernier, à la demande du ministre de l’Economie et du Redressement productif, élargit les secteurs où « les investissements étrangers doivent faire l’objet d’une autorisation ». Jusque-là, seuls les secteurs de la défense, de la sécurité et des biotechnologies étaient protégés par une procédure d’autorisation préalable à la prise de participation ou de contrôle par des investisseurs étrangers.
Si on se réfère au décret, on constate que sept secteurs ont été ajoutés : l’approvisionnement en électricité, gaz, hydrocarbures ; l’approvisionnement en eau ; les réseaux et services de transport ; les réseaux et services de la communication électronique ; les installations « d’importance vitale au sens des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense » ; la protection de la santé publique.
A première vue, il s’agit là d’une mesure de « patriotisme économique » (terme que le gouvernement préfère à celui de protectionnisme, qu’il déteste comme celui de nationalisme). [...] Marine Le Pen a qualifié « d’enfumage électoraliste » le décret pris par Arnaud Montebourg dix jours avant les élections européennes. Elle a fait observer que le décret sera « probablement retoqué par l’Union européenne puisque l’UE interdit le patriotisme économique ». C’est aussi un décret circonstanciel qui semble n’avoir pour but, dans le dossier Alstom, que d’écarter un Américain (General Electric) pour favoriser un Allemand (Siemens). Le vrai patriotisme économique consisterait à tout faire pour conserver Alstom en France.
[...] Il y a, de fait, un décalage entre le décret apparemment protecteur du gouvernement et la réalité des entreprises. Les analystes les plus impartiaux observent que les usines françaises souffrent du sous-investissement. Le décret Montebourg (qu’on pourrait appeler décret Alstom) risque d’aggraver un mouvement inquiétant.
Le 28 janvier dernier, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) a publié un rapport sur les investissements directs étrangers (IDE). Alors qu’ils ont augmenté de 11 % dans le monde en 2013, même en Espagne et en Italie, en France ils ont chuté de 77 %.
Dans un communiqué, le Front national avait relevé alors combiencette baisse considérable des investissements étrangers était révélatrice du manque d’attractivité économique de notre pays : « Matraquage fiscal revers de l’austérité, lourdeur administrative, incertitude législative, folie réglementaire, syndicats non représentatifs, manque de vision : ce sont tous les maux que dénonce le Front national qui font fuir aujourd’hui les investisseurs du monde entier. »
Par ailleurs, d’un point de vue économique les investissements étrangers sont pour le pays d’accueil le contraire des délocalisations. Le communiqué déjà cité expliquait bien que les IDE « sont mécaniquement un relais de croissance dont la France a cruellement besoin. Chaque euro engagé signifie des retombées supérieures à la simple valeur faciale de l’investissement. Il entraîne des liens, de la recherche, du développement, des créations d’emplois, des possibilités de réciprocité et des opportunités d’export, ce dont notre balance commerciale, dramatiquement déficitaire, a tant besoin ».
Le patriotisme économique utile n’est pas une fermeture complète des frontières ni une volonté de vivre en autarcie. C’est la défense des intérêts français, des entreprises françaises, des emplois français. Rendre plus difficiles ou impossibles les investissements étrangers en France, c’est mettre en difficulté les entreprises françaises. Et il y a une différence à faire entre investir et prendre le contrôle."