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Gros plan sur la rédaction d’« Éléments » : Daoud Boughezala

Gros plan sur la rédaction d’« Éléments » : Daoud Boughezala

À l’occasion de cette période estivale qui pousse, malgré le contexte général, à un peu de légèreté, nous lançons une série d’entrevues afin de vous faire mieux connaître les différents membres – anciens et nouveaux – de la rédaction de notre revue. Entre parcours intellectuel, inclinations artistiques, goûts culinaires et petites marottes, vous saurez tout sur ceux qui composent la famille d’« Éléments ». Premier à passer sur le gril : Daoud Boughezala

ÉLÉMENTS : Vous faites partie des « piliers » de la revue depuis maintenant plusieurs années. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez découvert Éléments et comment s’est réalisé le « rapprochement » avec sa rédaction ?

DAOUD BOUGHEZALA. Qu’il est étrange de me voir qualifié de « pilier » d’une revue dans laquelle je n’aurai jamais cru écrire. Lorsque je l’ai découverte en 2008-2009, dans le cadre d’un mémoire de sciences politiques sur la Nouvelle Droite, Éléments me paraissait inaccessible. Certes, Alain de Benoist m’avait alors reçu fort courtoisement, m’ouvrant sa caverne d’Ali Baba pour que j’y puise les ouvrages qui m’intéressaient. Par la suite, au détour d’une soirée littéraire, j’ai fait la connaissance d’Olivier François, qui m’a introduit dans ce petit milieu. Entre-temps, j’avais intégré la direction de la rédaction de Causeur. En 2012, j’y ai publié les bonnes feuilles de Mémoire vive, les souvenirs d’AdB publiés sous forme d’entretiens avec François Bousquet. Quelques années plus tard, j’ai écrit trois articles dans Éléments sous le pseudonyme de Jean de Lavaur (hommage à mon grand-père maternel auquel je dois tant…) afin de rester fidèle à Causeur, au moins en apparence. À mon départ du magazine, Pascal Eysseric et François Bousquet m’ont fait l’amitié de m’ouvrir leurs pages. Depuis, j’y jouis d’une grande liberté, ce qui me rend fier comme Artaban !

ÉLÉMENTS : Vous avez collaboré à divers magazines et revues, comme CauseurL’Express ou Marianne, quel regard portez-vous sur l’état de la presse en France et la « crise » qu’elle connaît depuis maintenant un temps certain. Selon vous, la presse a-t-elle encore de l’avenir ?

DAOUD BOUGHEZALA. Vous préférez que je sois sincère ou optimiste ? La « crise » que vous évoquez m’a l’air d’un déclin inéluctable. Les temps de lecture décroissent et de moins en moins de gens sont prêts à dépenser leur écot pour lire la presse. Je ne les blâme pas. Ainsi va le monde aux temps des écrans et d’Internet. C’est une mutation anthropologique majeure par rapport aux Trente Glorieuses.

Cette crise de la demande n’exonère pas les journaux de leurs responsabilités. Sont-ils trop moutonniers ? Sans doute. Les titres plus audacieux sont-ils récompensés de leurs efforts ? Rarement. À mesure que la rentabilité de la presse chute, les derniers investisseurs prêts à s’y risquer sont de grands groupes en quête d’influence. Cela ne risque pas d’arranger nos bidons.

Ceci dit, si la presse papier peut mourir, la presse survivra certainement sous une forme ou sous une autre…

ÉLÉMENTS : Le journalisme est-il pour vous une vocation ? Qu’est-ce qui vous a conduit dans cette voie ?

DAOUD BOUGHEZALA. Pas vraiment. Je n’ai jamais mis les pieds dans une école de journalisme. Je suis entré dans la carrière un peu par effraction, en publiant d’abord occasionnellement sur le site causeur.fr avant que ses dirigeants Gil Mihaely et Élisabeth Lévy me mettent le pied à l’étrier en me recrutant. C’est un métier que j’ai appris sur le tas, ce qui n’est pas plus mal.

ÉLÉMENTS : Quelles sont, selon vous, les spécificités de la revue Éléments, ses forces, mais aussi ses éventuelles faiblesses ?

DAOUD BOUGHEZALA. Éléments a un demi-siècle. Une communauté de lecteurs et de sympathisants porte cette revue unique en son genre. À mes yeux, le paganisme qui en constitue la colonne vertébrale renvoie au « polythéisme des valeurs » (Max Weber) qu’Alain de Benoist aime opposer au monothéisme. Indépendamment des querelles théologiques, j’y vois une formidable aventure intellectuelle, un combat de gens sérieux qui ne se prennent pas au sérieux. La plume de François Bousquet, parfois trempée dans la ciguë, m’enchante toujours, m’amuse souvent et m’éblouit souvent. À moins de posséder une culture encyclopédique, chacun élargit la sienne et aiguise sa pensée en lisant Éléments. Sa force est aussi de surprendre, comme j’ai tâché de le faire en donnant la parole à Jean-Claude Milner. Et de nouvelles surprises surviendront à la rentrée…

Quant aux faiblesses, la revue en a certainement. D’abord, les défauts de ses qualités : trop riche, trop longue, trop dense. Je ne connais personne qui la lise du début à la fin, mais est-ce bien grave ? Un point me semble également perfectible : mieux faire apparaître la structure des rubriques. Pour le reste, discutons-en entre camarades !

ÉLÉMENTS : Vos sujets d’articles sont très éclectiques mais vous vous intéressez néanmoins grandement à la situation au Proche-Orient. D’où vient cette inclination ?

DAOUD BOUGHEZALA. J’ai grandi dans le pays arabe d’où est originaire et réside ma famille paternelle : la Tunisie. De 1987 à 2005, j’y ai observé les retombées de la situation au Proche-Orient, des jouets-répliques de missiles Scud (que je réclamais en vain à mes parents !) de la Première guerre du Golfe aux manifestations pour la Palestine pendant l’Intifada. Sous un régime autoritaire séculier tel que celui de Ben Ali, j’ai vu de plus en plus de femmes se voiler, les cafés et restaurants fermer pendant le Ramadan, et la bigoterie exercer un contrôle social pesant.

Une fois étudiant, pendant l’année universitaire 2007-2008, un stage à l’ambassade de France en Syrie m’a immergé dans une société bien plus conservatrice. Sous Assad comme sous Ben Ali, le régime avait conclu un accord tacite avec sa société : réislamisez-vous, pourvu que nous conservions le monopole du pouvoir politique… et de la corruption. À Damas, tous les dimanches matin, je me rendais à la Haute Cour de sûreté de l’État pour entendre un juge sosie miniature de Saddam Hussein condamner de pauvres hères, supposément Frères musulmans ou salafistes, en les traitant de sales sionistes, sous les dorures d’un salon en faux Louis XV…

Toutes ces expériences ont nourri mon intérêt pour la région, que j’ai approfondi lors d’un voyage ferroviaire de trois semaines à travers l’Iran. Malgré les pesanteurs de la République islamique, le pays avait alors trente ans d’avance sur la Syrie.

Quand les printemps arabes ont déferlé sur la Tunisie, l’Égypte, la Syrie et bien d’autres, sans être grand clerc, je ne me suis guère bercé d’illusions. Ceux qui confondaient la « révolution du jasmin » avec le Printemps de Prague n’ont jamais discuté avec une campagnarde tunisienne croyant que les islamistes allaient lui assurer bonheur et prospérité en réservant l’emploi aux hommes. Sic transit

ÉLÉMENTS : De l’immersion dans la communauté Tamoul parisienne aux plongées dans la « France périphérique », vous êtes spécialiste des « reportages de terrain ». Y’en a-t-il un qui vous a plus particulièrement marqué ?

DAOUD BOUGHEZALA. Il y a cinq ans, j’avais couvert pour L’Express le salon « Désir d’enfant ». Le titre annonce clairement la couleur : exploiter le désespoir de couples infertiles pour leur vendre des PMA ou des GPA. L’atmosphère y était particulièrement sordide. Je me souviens notamment d’une entreprise ukrainienne de mères porteuses proposant toute une gamme de prix (jusqu’à 20 000 euros…) en fonction du lieu de naissance de l’enfant. Par pudeur, la rémunération – au lance-pierre – des mères porteuses était évidemment tue.

C’est un triste concentré de l’époque : au nom des sacro-saints droits individuels, des marchands du Temple exploitent de faibles femmes aux marges de l’Occident. J’en étais reparti avec un porte-clés en forme de spermatozoïde et un sacré mal de bide.

ÉLÉMENTS : Vous réalisez également de nombreuses entrevues avec des personnalités du monde politique, littéraire et intellectuel. Là encore, une rencontre vous-a-t-elle laissé un souvenir plus spécialement vif ?

DAOUD BOUGHEZALA. Rachel Ertel, papesse de la littérature yiddish en France, m’avait très gentiment reçu pour la revue Livr’arbitres, que vous connaissez bien. Cette nonagénaire a un itinéraire et une œuvre exceptionnels. Je pourrais vous citer d’autres interprètes aux destins moins spectaculaires mais aux propos tout aussi profonds, comme le traducteur de Kafka Jean-Pierre Lefebvre qui m’a fait relire Le Procès sous un nouvel angle.

ÉLÉMENTS : En dehors de vos activités de journaliste, quels sont vos hobbys et centres d’intérêt ?

DAOUD BOUGHEZALA. J’aime nager, lire dans les cafés, flâner avec un être cher, découvrir de nouvelles destinations comme récemment Mantoue et Crémone, m’ouvrir à des mondes inexplorés. Depuis un an, j’apprends le persan. C’est à la fois une gymnastique pour les neurones et un bain de l’esprit. À l’heure où nos compatriotes ânonnent « pas de souci » à tout bout de champ,

j’admire tout particulièrement le ta’arof, art iranien de la courtoisie aux mille et une formules rituelles.

ÉLÉMENTS : Êtes-vous gourmet et gourmand ? Quel est votre plat préféré ?

DAOUD BOUGHEZALA. Les deux, mon général ! Plutôt bec sucré, j’ai déjà fait le tour de Paris pour dégoter un Paris-Brest ou des chouquettes d’exception. Si je devais choisir un seul plat, ce serait une madeleine de Proust : l’omelette norvégienne que je dégustais chaque année à Pâques chez Fouillade à Argentat (Corrèze).

ÉLÉMENTS : Enfin, pour conclure, comme nous sommes en pleine période estivale, pouvez-vous nous donner votre destination de vacances préférée et/ou rêvée ?

DAOUD BOUGHEZALA. Le Caffè San Marco de Trieste. Des gâteaux austro-hongrois, un grand étal de libraire et une décoration restée dans son jus : que demander de plus ?

https://www.revue-elements.com/gros-plan-sur-la-redaction-d-elements-daoud-boughezala/

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