Welcome To New-York, ou l’homme qui n’était qu’à un « jet » de la (p)résidence de la république.
Disons le tout net, Welcome To New York est un film qui marquera son époque. Poursuivant le sillon entamé depuis Gogo Tales, Abel Ferrara présente une œuvre d’une grande beauté formelle. Caméra au poing et au plus près de ses personnages, il filme leur déchéance sous fond de néons rouges et de lumières tamisées. La moindre chambre d’hôtel prend ainsi l’apparence d’un purgatoire souillé par les liquides séminaux et les tâches de cognac 30 ans d’âge. Il n’a pas du être facile pour Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn de voir ainsi exposées leurs turpitudes, de plonger dans ce passé récent qu’ils auraient souhaité enterrer à jamais. Anne Sinclair s’en est d’ailleurs émue dans une tribune sur le Huffington Post. Evoquant le film, elle a manifesté son « dégoût de la façon dont M. Ferrara représente les femmes, ce qui doit illustrer ses propres pulsions » et indiqué que selon elle « Les producteurs du film projettent leurs fantasmes sur l’argent et les juifs ». Le film n’est pas antisémite, mais il est d’une infinie dureté à l’égard de l’hyper-classe, toutes obédiences confondues. Abel Ferrara n’a pas filmé avec complaisance, il n’est pas un réalisateur français subventionné mais un artiste engagé qui met toutes ses tripes et tous les moyens possibles au service de ce qui lui tient à cœur. Il n’est pas homme à concéder la moindre parcelle formelle ou scénaristique à la bienséance policée des salons mondains, il ne leur devait rien et a donc pu faire ce qui lui semblait le plus juste.
« Devereaux », jumeau obèse de Dominique Strauss-Kahn, est incarné par le dissident gaulois numéro un. Buveur, fumeur et gros mangeur, Gérard Depardieu récite une partition phénoménale, celle du plus grand acteur vivant, de cette parcelle vivante de barbarie qui sommeille encore en nous. Littéralement plus animal qu’homme, il campe l’ex-directeur du FMI comme bloqué au stade oral, pulsionnel, enfantin, ne supportant aucune entrave à ses multiples jouissances. Pur libéral-libertaire, Devereaux accomplit les prophéties d’Ayn Rand et ne se reconnaît comme obligation que son épanouissement personnel.
Une planche à billets apparaît dans le premier plan du film, métaphore de la longue série de femmes « niquées » (selon son propre terme) l’ex président du FMI. Elles n’étaient d’ailleurs pas des femmes, mais des vagins convertissables en espèces sonnantes et trébuchantes. La première demi-heure de Welcome To New York montre l’agenda de l’ancien directeur du FMI avant l’ « affaire Nafissatou Diallo ». « Devereaux » propose des prostituées aux agents des services français, ce qui semble assez crédible. Toutes ses secrétaires offraient des services « particuliers », certaines spécialisées dans la fellation, d’autres dans l’effeuillage…. Notre homme lui s’abandonne pleinement à des orgies dignes de pornos amateurs. Dominique Strauss-Kahn, favori à la présidence de la République en 2010, avait un mode de vie proche d’un Patrick Sébastien sous viagra, constitué de partouzes dans l’esprit du Cap d’Agde naturiste et de constantes beuveries. Maître libidineux, il était un homme-goret auquel rien ne résistait car son « pouvoir d’achat » était illimité. Les prostituées étaient soumises à l’aura de l’homme de pouvoir au portefeuille généreusement garni. Lui se soumettait à sa sexualité débridée nourrie aux fantasmes pornographiques les plus crades, grognant comme un chien qui a trop d’os à ronger, boulimique d’argent et de stupre. « Devereaux » n’était qu’un personnage de Jean-Louis Costes, un pornocrate pipi-caca.
Le fantôme de Pasolini semble convié dans Welcome To New York qui est l’incarnation contemporaine de Salo ou les 120 journées de Sodome. On assiste à l’avènement d’un monde post-séduction. Le mariage d’Anne Sinclair et Dominique Strauss-Kahn semble n’avoir été contracté que pour des intérêts de classe, s’aiment-ils ? Rien n’est moins sûr. Les relations adultérines, loin d’être des « romances », sont réduites à la stricte dimension physique, au sexe. Je ne vais pas jouer les vierges effarouchées, car cela n’est pas nouveau et il n’est pas le seul. Ce qui est troublant c’est la récurrence, l’idée sous-jacente. Pour ces hommes, les femmes sont semblables aux ouvriers d’Arcelor-Mittal, des pions interchangeables, des détails de l’histoire. Abel Ferrara, italo-américain des classes modestes, rend très bien cette impression.
Après tant de femmes consommées, consentantes, feignant le plaisir, comment « Devereaux » aurait-il pu imaginer qu’une banale femme de ménage africaine eut pu lui opposer un refus ? C’est là l’intelligence du film que de suggérer que Dominique Strauss-Kahn ait pu nier le viol en toute bonne foi. « Vous savez qui je suis ? » lance-t-il à la fameuse Nafissatou Diallo, puis il se déshabille et le viol est suggéré, mais le film ne tranche pas. A-t-il abusé de cette femme ? Nous ne le saurons pas distinctement, mais, pour reprendre l’expression de Dominique Venner, il s’agissait là de l’ « imprévu dans l’histoire ». Cet homme pensait être invincible, intouchable, sa femme avait tout préparé, il devait être le président de la république ! Tous deux ivres de pouvoir, ils ne pouvaient imaginer que surviendrait l’inattendu, le scandale absolu, l’infamie qui est venue tout gâcher. Tout ça pour avoir sorti son sexe au mauvais moment, une fois de trop. Peut-être a-t-il été piégé, mais au fond cela ne change rien, car c’est toute sa vision du monde qui a été confrontée à la réalité.
D’ailleurs, la scène du repas durant laquelle Anne Sinclair apprend la nouvelle est, à ce titre, magistrale. Un bel appartement de Manhattan sert de décor à un repas de la grande bourgeoisie juive new-yorkaise, alors, un homme coiffé d’une kippa félicite « Simone » (prénom fictif d’Anne Sinclair ) : « je témoigne toute ma gratitude à Simone pour sa dévotion à l’égard de l’état d’Israël ». Jacqueline Bisset, interprète de Simone, retranscrit toute la morgue du personnage, son sentiment de toute puissance, bientôt détruit par une pulsion supplémentaire de son époux. En écho, vient la scène où Devereaux déjeune avec sa fille, et le petit ami de celle-ci, juste après les faits qui lui seront plus tard reprochés. Grossier, vulgaire, il ne parle que de sexe. Admirant la bouillabaisse qu’il a commandé au restaurant, il confie au petit ami de sa fille que le plat est « une sorte de partie échangiste pour poissons », une « bouillabaise », et lui demande s’il « aime niquer ». La scène est drolatique, et l’on peut se plaire à imaginer que Dominique Strauss-Kahn lui même, eut tenu de tels propos à sa fille. Toute honte bue, il n’a pas conscience que bientôt il va défaillir et être frappé par l’opprobre générale, relégué au statut de simple mortel dans la prison de Ryker’s Island.
Dans la deuxième phase du film est mis en lumière le traitement qu’a pu recevoir Dominique Straus-Kahn en prison. Les Etats-Unis ont ce mérite, qu’une fois emprisonné, un homme puissant n’est pas mieux traité qu’un autre. Quand il se déshabille devant ses gardiens, l’homme est faible, et peine à lever ses énormes cuisses, son ventre est gonflé tel un ballon, un vieil homme comme les autres, en piètre condition physique. Comme dans la véritable histoire, « Simone » parvient à le faire libérer et l’installe dans un immense loft, sa première réflexion est de changer la décoration. Son mari est accusé de viol mais elle trouve le moyen de se plaindre des œuvres trop « ploucs » accrochées au mur de son palais de fortune. Je ne sais pas si cette scène correspond à la réalité, mais je ne doute pas un instant que cela puisse avoir eu lieu. Ces gens étaient, et sont toujours, déconnectés du réel. Une dernière scène est à signaler pour sa beauté plastique qui renvoie aux œuvres du peintre espagnol Goya, celle de l’agression supposée de Tristane Banon. Garçonnière sordide, ambiance infernale, « Devereaux » y est figuré en dieu Bacchus insensible à la douleur qu’il inflige. Il veut lui toucher les seins, il en a le droit, il est un ancien ministre. Son pénis est le maitre du monde et ce n’est pas une jeune étudiante en journalisme qui pourra s’y refuser. Le membre en érection de « Devereaux » est une tour de Babel, toutes les ethnies y sont conviées, toutes les langues y sont pratiquées, il est l’universel.
Dominique Strauss-Kahn ne s’est jamais repenti, car il n’a jamais estimé être coupable. Peut-être n’était-il effectivement pas coupable des faits qui lui étaient reprochés, ça nous ne le saurons jamais. Mais nous savons qu’il était un porc, qu’il considérait son pays la France comme les putes qu’il collectionnait. Sa femme et lui pensaient pouvoir nous acheter, jouir en nous et partouzer avec la France. Ils n’en auront pas eu l’occasion, tant mieux. Le mérite de Welcome To New York étant de rappeler aux Français naïfs à quoi ils ont échappé.
Frédéric de Grimal http://cerclenonconforme.hautetfort.com/