L’électorat populaire étant devenu terra incognita à la gauche, celle-ci a cru trouvé quelque terra nova dans un double électorat dont le mariage s’est révélé au fond aussi bref qu’aléatoire : il a fallu, en 2012, le bilan catastrophique de Sarkozy pour le sceller avant que la dérive sociétale n’éloigne ces deux publics, comme deux continents qui n’étaient pas faits pour se rencontrer.
Pour le social-démocrate, l’homme du peuple a, au fond, toujours constitué un mystère repoussant, et le fait qu’il ait abandonné le prolétaire pour le migrant, plus ou moins intégré, plus ou moins fantasmé, ne change rien à la donne. Celui-ci a d’ailleurs souvent mieux conservé — ou réinventé — sa culture que l’électeur socialiste moyen et il n’est pas certain qu’il pardonne à la gauche la décadence accélérée des mœurs — à moins que les plus militants, les plus religieux, mais ils ne sont pas encore la majorité, ne perçoivent cette déliquescence comme une chance pour demain. Car eux ne demanderont pas aux sondages, et encore moins au peuple par voie de référendum, s’il convient de remettre un peu d’ordre moral dans la société.
Alors que la situation à laquelle la majorité est confrontée est d’une telle gravité que celle-ci devrait à la fois chercher l’unité nationale et parler un langage de détermination, on est en droit de s’étonner de la voir soit ignorer les problèmes des Français, soit les aggraver. Ce serait oublier que la gauche a achevé son cycle : celui qui l’a conduite d’une défense timide du prolétariat au XXe siècle (qui sait que les congés payés n’étaient même pas au programme du Front populaire ?) à une acceptation qu’elle croit lucide, et qui la déshonore, d’un mondialisme dont elle prétend d’autant mieux épouser les intérêts des victimes qu’elle encourage par son idéologie la traite humaine. Elle pense ainsi pouvoir s’assurer une victoire morale indéfinie. Le migrant, produit en masse par la globalisation des échanges qui met sur le même plan hommes et marchandises (en ce sens le mondialisme est un néo-esclavagisme), est une matière inépuisable, contrairement au prolétaire, dont l’établissement dans la société, que Maurras réclamait à cor et à cri contre des syndicats et des partis installés, signifie la disparition.
Mais nos socialistes et consorts ont un sens bien précis des priorités. Non pas la résorption du chômage, l’éradication des injustices criantes, par exemple sanitaires ou scolaires, ou la sécurité, cette revendication de beaufs, non : une loi sur la transition énergétique dont les mesures les plus contraignantes risquent de ruiner des dizaines de milliers de petits propriétaires, une école dont aura disparu toute notion de mérite, voire toute évaluation — ce qui permettra d’éradiquer jusqu’à la question du redoublement —, ou une nouvelle attaque frontale, pour réaliser de minables économies quand tant d’argent est gaspillé ailleurs, contre le pouvoir d’achat des familles — la prime de naissance divisée par trois à compter du deuxième enfant et les allocations familiales en baisse — ou contre le droit, divisé par deux, pour les mères d’accompagner les premières années de leurs enfants. Il est vrai, pourquoi les socialistes se gêneraient-ils dans leur haine de la famille, puisqu’ils n’ont plus rien à perdre ? Sans oublier des mesures toujours plus impitoyables contre les discriminations et, sous prétexte de lutter contre le terrorisme, notamment sur la Toile, une mise au pas programmée d’une liberté d’expression dont des procès en sorcellerie — récemment encore contre Minute et son dessinateur Miege — rendent déjà chaque jour l’exercice plus périlleux. Savez-vous que selon l’avocat de la police associative — qui sonde jusqu’aux arrière-pensées —, l’humour peut être désormais qualifié « hors-la-loi » ? Jusqu’à présent il se contentait d’être de bon ou de mauvais goût ! Apparemment, ce n’était pas suffisant pour la gauche morale.
Quant au fait que la Chambre haute soit repassée à droite, c’est une simple conséquence mécanique des municipales perdues par la gauche. Saluons, assurément, l’arrivée au Palais du Luxembourg de deux sénateurs FN — une première. Toutefois, même si elle peut encore retarder certaines réformes ou rendre impossible, si elle le souhaite, le droit de vote des étrangers extracommunautaires en s’opposant à toute réforme constitutionnelle en ce sens, il n’y a, de manière générale, rien à attendre d’une institution dont le conservatisme légendaire, au train de sénateur, certes, mais inexorablement, suit la pente de la droite parlementaire car l’institution n’est plus depuis longtemps l’expression d’une certaine sagesse des terroirs face à une assemblée nationale moins conservatrice.
Conservatrice de quoi, du reste ? Sarkozy aurait paraît-il réussi à mécontenter tout le monde, le soir de son retour, à propos du mariage homo... A quoi donc s’attendaient nos éternels conservateurs, dont le duc d’Orléans disait que le mot commence mal ? Sarkozy sait déjà qu’ils voteront pour lui ! Le signe ? Ils se sont mis, dès l’annonce de son retour, à lui présenter leurs « exigences » — il en tremble encore ! Qui ne voit que c’est le langage de la défaite ? Car si, comme c’est probable, ils ne réussissent pas à les lui imposer, que feront-ils, au second tour, en cas de duel UMP-PS ? Ils appelleront, éternels « malgré nous » de la vie politique française, à re-voter Sarkozy « quand même » (..comme ils l’avaient fait « quand même » une première fois en 2007, puis une deuxième en 2012). On peut même parier que le revenant se moque d’eux comme de sa première promesse électorale ! A tel point qu’il hésite ouvertement, avec un cynisme qui en dit long sur l’état de décomposition de la parole politique, sur la ligne (droitière ou centriste) qu’il adoptera, avant de les adopter toutes les deux, selon le public auquel il s’adressera, pour ratisser large, comme il l’a fait en 2007 et en 2012. Pourquoi se gênerait-il ? Depuis quarante ans, les électeurs de droite n’ont-ils pas tout avalé ? Immigration, communautarisme, « libération des mœurs », soumission de la France à la « fortune anonyme et vagabonde » (le duc d’Orléans, encore)... Que n’ont-ils accepté, dont ils ont fait leur deuil, avant de passer à l’étape suivante ? Ils se contenteront bien de vagues promesses rancies sur Schengen et le recours au référendum — un comble !
Voir dans Sarkozy une chance pour faire repartir le pays, c’est avaliser l’imposture. Pour la nomenklatura en place, de « droite » ou de « gauche », la dissolution de notre société est un fait acquis parce qu’elle est nécessaire à la préservation de leur pouvoir. Boutang avait observé que la mission historique de Giscard avait été de pourrir le peuple. Celle de Sarkozy est de le détourner d’un « autre » choix, combien plus radical que le sien et qui sent, mais pour combien de temps encore ?, le soufre. Car la dédiabolisation ne doit pas atteindre le cœur des convictions. Ce diable vrai qu’est la respectabilité politicienne n’attend que cela !
Rien n’est joué, évidemment, mais tout va très vite en république, surtout depuis l’instauration du quinquennat. La campagne pour 2017 n’est-elle pas d’ores et déjà lancée ? C’est dire l’absurdité d’un régime qui précipite les échéances politiques au moment précis où il faudrait pouvoir mettre en œuvre une stratégie de long terme. Il est vrai que c’est Bruxelles et Berlin qui décident de la feuille de route...
Malheureusement, comme le remarquait Maurras, « la République signifie la possibilité permanente du pire mal, du moindre bien » (Mes Idées politiques). Sa logique partisane et oligarchique gâche jusqu’aux meilleurs dévouements, lorsqu’ils s’expriment. Mais rien n’est perdu si nous savons faire la différence.
François Marcilhac - L’AF 2894
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Edito-de-L-AF-2894-Un-regime