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Modernité et communication de masse : contradictions, dangers et illusions

Traits caractéristiques de la modernité : exigence de communication, nécessité d'une transparence, demande d'un flux libre d'informations. A contrario, la post-modernité se caractérise, entre moultes autres choses, par une critique à l'encontre de cette communication de masse, par des doutes à l'endroit de la transparence, par l'inquiétude face au débordement du flux informatif. Cette communication qui, depuis le XVIIIe siècle était considérée comme un facteur de libération, nous apparaît désormais comme un instrument de domination. D'énormes contradictions sociales et culturelles naissent de l'information de masse et surtout depuis l'application des techniques modernes de communication. La télévision s'assied sur le banc des accusés. Pourtant, jamais inculpé ne fût aussi sûr de se tirer si facilement d'affaire : l'Occident accuse la communication de masse tout en regardant un vidéo-clip. Narcisse est de retour mais cette fois il ne s'agit pas d'un jeune homme qui admire son reflet dans les eaux calmes d'un étang mais d'une masse informe qui égratigne l'écran de ses téléviseurs en essayant d'atteindre ce qui, pour elle, a déjà cessé d'exister : la réalité, l'histoire, la vie.

La société de l'information

Ce nouveau monde qui naît avec l'explosion des techniques de communication et la culture de masse a reçu le nom de “société de l'information”. Les termes contemporains “société post-industrielle”, “société post-moderne” ou “Nouvelle Société de Consommation” (Faye) sont peu à peu utilisés de­puis la moitié des années 70 pour désigner les so­ciétés occidentales en tant que réseaux de flux infor­matifs : Daniel Bell, Alvin Toffler, S. Nora et Alain Minc, James Martin, J. McHale, Yoneji Misuda ou J. Naisbitt, entre autres, ont popularisé le concept.

En Espagne, l'un des premiers à introduire ce terme dans le monde universitaire en tant qu'objet d'étude — et à éditer des travaux à ce sujet — a été Francisco Javier Bernal. Salvador Giner accorde une certaine importance à ce terme ; pour lui, « le faisceau de phénomènes évoqué par l'expression “société de l'information” est d'une telle ampleur qu'il faut se demander s'il n'est pas en train de se forger ce que, traditionnellement, on avait coutume d'appeler un “mode de production”, un mode de domination et un ordre culturel distincts, sous ce nom, sous un terme proche ou sous un synonyme ». Pour Giner, ce « faisceau de phénomènes » serait constitué de la télé­matique, de l'informatique, de la microélectronique, de la robotique, de l'intelligence artificielle, etc. Il ne cite pas d'éléments aussi décisifs que la multiplica­tion de l'offre propre à la télévision (chaînes privées, antenne parabolique) ou la publicité. De toute façon, pour Giner, l'expression “société de l'information” n'est qu'« une candidate de plus, parmi d'autres ex­pressions également attirantes, à la définition de ce qui est essentiel aux étapes futures de la modernité ».

Bien que l'on puisse douter que la modernité (en tant que telle) soit encore à même de nous offrir des « phases futures », l'importance croissante de l'information au sein des structures socio-économiques de l'Occident est indiscutable. D'après Román Gubern, au cours des 30 dernières années de ce siècle, le secteur électronico-informatique a dépassé celui des industries lourdes comme la pétrochimie et l'auto­mobile. Pour l'an 2000, on estime que, dans les pays développés, 90% de la population active tra­vaillera dans le secteur des services et la moitié de ces personnes dans des systèmes d'information ou des réseaux informatisés. Cette conséquence prati­que de l'extension de l'univers médiatique se conju­gue, d'autre part, avec une légitimation sociale (et même psychologique) de son utilisation : dans une société atomisée et individualiste, les média joue­raient le rôle (et c'est ce qu'ils font effectivement) de “thérapeutes sociaux” de l'individu, en essayant de compenser la carence d'une communauté réelle.

Universalisation et résistance

Comme l'écrivent Faye et Rizzi, « les média sont l'une des causes majeures de l'isolement individuel actuel mais, en même temps, leur fonction et leur prétention sont d'y apporter un remède. Facteurs d'atomisation — une atomisation dont la société de consommation a besoin pour survivre — ils se présen­tent pourtant à nous comme des antidotes contre l'atomisation » (« Vers la médiatisation totale », in : Nouvelle École n°39, 1982). Nous pourrions dire que la “société de l'information” est celle dans laquelle la société est remplacée par l'information ou, plus précisément, celle dans laquelle la transmission technique de l'information joue le rôle que la société elle-même déte­nait auparavant : définition d'objectifs, normation de règles de conduite, imposition culturelle de modèles,  de formes de production économique, d'échelles de valeurs morales…

Les conséquences sont évidentes : la société dispa­raît, s'évanouit dans le réseau technique de la communication de masse. Les cosmovisions particuliè­res et enracinées sont remplacées par une culture de masse homogène qui met fin aux cultures tradition­nelles. La communication se met ainsi au service du néo-colonialisme post-industriel et de la cosmopolis marchande. Comme l'affirme le publicitaire David Victoroff, « grâce aux images de marque, la publicité tend à construire de nouvelles valeurs symboliques, communes à la totalité du groupe social, et ce, sur les ruines des systèmes de valeurs et de symboles caractéristiques sous-groupes particuliers ». Un nouvel imaginaire collectif, universaliste, s'installe dans nos sociétés à l’abri de ce que Abraham Moles a appelé « l'opulence communicationnelle ». Mais ce­la ne se passe pas sans résistances. Un fort courant critique verra dans la communication de masse — et concrètement dans la communication technique — un abîme insondable vers lequel notre société se pré­cipite inéluctablement.

Le regard de la Méduse

Évidemment, les critiques qui s'adressent à la communication de prirent leur envol hier, avant l'usage généralisé des moyens technologiques les plus sophistiqués. Dans les années 40 et 50, une certaine critique que, par convention, nous appele­rons “de gauche”, a accusé la publicité et la propa­gande d'asservir les masses : Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Dwight MacDonald, Irving Howe ou Leo Lowenthal, voyaient, dans la culture de masse, un fauteur de création d'une “fausse conscience”, dans les classes populaires, qui annulait leur puissance révolutionnaire et les intégrait dans un système d'exploitation ; au fond, ils ne critiquaient pas la communication de masse mais son utilisation sociale.

La perspective de droite, qui leur était antérieure, était différente, elle ne critiquait pas tant la commu­nication que son caractère massif et technique, comme on peut le voir chez Ortega y Gasset ou Carl Schmitt. Entre les années 60 et 70 et malgré ces criti­ques, la communication de masse s'est développée à une vitesse incroyable et elle ne manqua pas de pro­tecteurs pour la légitimer : tantôt on alléguait la pos­sibilité d'une rétroaction et d'une rétro-alimentation (feed-back) qui affirmait que le récepteur pouvait contester le message en agissant selon son libre ar­bitre ; tantôt on disait que, grâce à la communication cation de masse, l'homme moderne pouvait se détacher de la terre à laquelle il était lié et entrer dans une société où il manifesterait librement ses goûts culturels. Ce fut là la position défendue notamment par Edward Shils, Herbert Gans, Raymond Williams, Hans M. Enzensberger ou même Walter Benjamin. Parallèle­ment, et à partir du développement à grande échelle de moyens audiovisuels, des auteurs apparaissaient qui se montraient ouvertement critiques envers la TV : Jerry Mander écrivait ses célèbres Quatre arguments pour éliminer la Télévision qui jouirent d'une influence notable. La télévision devenait le principal accusé. Il y a quelques années, David Mata identifiait l'effet paralysateur de la télé au regard terrifiant de la Méduse mythique.

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