Le contenu véritable d’Occupy Wall Street n’était pas la revendication, collée a posteriori sur le mouvement comme un post-it sur un hippopotame, de meilleurs salaires, de logements décents ou d’une sécurité sociale plus généreuse, mais le dégoût pour la vie qu’on nous fait vivre. Le dégoût pour une vie où nous sommes tous seuls, seuls face à la nécessité, pour chacun, de gagner sa vie, de se loger, de se nourrir, de s’épanouir ou de se soigner. Dégoût pour la forme de vie misérable de l’individu métropolitain – défiance scrupuleuse / scepticisme raffiné, smart / amours de surface, éphémères / sexualisation éperdue, en conséquence, de toute rencontre / puis retour périodique à une séparation confortable et désespérée / distraction permanente, donc ignorance de soi, donc peur de soi, donc peur de l’autre. La vie commune qui s’esquissait à Zuccotti Park, en tente, dans le froid, sous la pluie, cernés par la police dans le square le plus sinistre de Manhattan, n’était certes pas la vita nova toute déployée, juste le point d’où la tristesse de l’existence métropolitaine commence à devenir flagrante. On se saisissait enfin ensemble de notre commune condition, de notre égale réduction au rang d’entrepreneur de soi. Ce bouleversement existentiel fut le cœur pulsant d’Occupy Wall Street, tant qu’Occupy Wall Street était frais et vivace.
Ce qui est en jeu dans les insurrections contemporaines, c’est la question de savoir ce qu’est une forme désirable de la vie, et non la nature des institutions qui la surplombent. Mais le reconnaître impliquerait immédiatement de reconnaître la nullité éthique de l’Occident. Et puis cela interdirait de mettre la victoire de tel ou tel soulèvement sur le compte de la supposée arriération mentale des populations.
Comité invisible, A nos amis