Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La cruelle absence d’une politique démographique européenne

Empêtrée dans ses difficultés du moment, l’Europe européenne ne voit pas arriver la prochaine crise… démographique.

En prolongeant le déficit actuel des naissances par rapport aux décès, et en excluant tout nouvel appoint migratoire, la population de l’Union est appelée à diminuer de près de 65 millions d’habitants d’ici 2060 selon certains scénarios de démographes. Et l’Europe, qui pesait encore près de 17 % du total planétaire en 1975, n’en pèserait plus que 7,5 % au milieu du siècle. Il est vraiment difficile d’imaginer dans ces conditions un continent européen dynamique et influent. Les remèdes sont connus mais difficiles à mettre en œuvre. Personne n’imagine appeler les Européens à faire des enfants pour nous “sauver” du désastre, et l’immigration ne peut servir que d’appoint. L’Europe devra donc plus que jamais miser sur la qualité de son capital humain, et non pas sur la quantité. “Il n’y a de richesses que d’hommes, oui mais… qualifiés et bien formés” dirait aujourd’hui Jean Bodin.

 

C’est la victoire posthume de Malthus. En 1798, le sombre pasteur anglican publiait son célèbre traité enjoignant ses contemporains à limiter la croissance démographique. Une visée nécessaire, selon lui, pour préserver le niveau de vie de la population, les ressources ne pouvant pas suivre. Deux siècles plus tard, les Européens ont suivi, et bien au-delà, la recommandation du prédicateur.

Selon l’un des scénarios ayant court chez les démographes, en prolongeant le déficit actuel des naissances sur les décès, la population de l’Union européenne serait appelée à diminuer de près de 65 millions de personnes d’ici 45 ans, soit une baisse de 13 %, la population de l’ensemble des 28 pays de l’UE passant de 507,2 millions en 2013 à 442,8 millions en 2060, en excluant tout appoint migratoire supplémentaire.

C’est pour notre voisin allemand que la décrue serait la plus spectaculaire (-23 millions), mais la dépopulation toucherait aussi gravement l’Espagne et l’Italie qui perdraient un cinquième de leurs habitants. Seuls parmi les grands pays, le Royaume-Uni et la France échapperaient à cette décrue avec un excédent des naissances sur les décès de 5 % sur la période. Mais en matière de démographie, il faut surtout se comparer. L’Europe peut se consoler en se disant qu’il y a pire qu’elle : le Japon par exemple, dont la population va diminuer d’un tiers, et même demain la Chine, victime de vieillissement accéléré du fait sa politique de l’enfant unique. Mais le Vieux continent doit se lamenter en constatant la fonte de son poids relatif – et corrélativement de son influence – dans le monde. L’Europe, qui pesait encore près de 17 % du total planétaire en 1975, n’en pèsera plus de 7,5 % en 2050.

Une débâcle impressionnante, largement méconnue et passée sous silence parce que trop insidieuse et lointaine pour un monde qui vit dans le spectaculaire et l’immédiateté. Mais qui devrait justifier de tirer la sonnette d’alarme. “L’empire romain est mort de dénatalité à partir du moment où les Romaines se sont mises à restreindre le nombre de leurs enfants, et cela sans recourir, à l’époque, à la pilule !”, dramatise Jean-Claude Barreau, ancien directeur de l’Ined (Institut national des études démographiques). On n’est certes pas obligé d’adhérer à cette vision catastrophiste du destin européen – d’autant moins que le cas français, avec ses deux enfants par femme, montre qu’il n’a rien d’inéluctable – mais ce qui est sûr, c’est que l’“hiver démographique” qui s’annonce en Europe mettra profondément à mal son modèle économico-social. Et que les parades classiques pour y remédier – retour aux politiques natalistes, recours à l’immigration – ne sont pour l’heure, faute d’une prise de conscience suffisante, même pas esquissées et encore moins assumées. Pas plus que l’inévitable prolongation de la vie active à laquelle les esprits, français en particulier, semblent toujours aussi peu disposés

“L’hiver” démographique du Vieux continent

Cela fait plus de trente ans que l’indice de fécondité se situe en Europe en dessous du seuil des 2,1 enfants par femme qui assure le renouvellement des générations. Au niveau actuel de fécondité qui est le sien – c’est-à-dire 1,5 –, il manque à l’appel en Europe 25 % de bébés. “Alors que les couples de la classe moyenne française font deux enfants et parfois trois, ceux de la plupart des autres pays européens se contentent d’un enfant, et font parfois mais pas souvent deux”, reprend Jean-Claude Barreau. “Un tel déficit caractérise l’entrée du Vieux continent dans ‘l’hiver démographique’. Un refroidissement jusqu’ici peu visible car ses effets ont été masqués par l’allongement de l’espérance de vie”, explique Gérard François Dumont, démographe.

De l’ordre d’un trimestre par an, cet allongement compense en effet mécaniquement le quart de génération manquant chaque année. Déficit des naissances d’un côté, allongement de la durée de vie de l’autre : ces évolutions aux deux bouts de la vie ont une conséquence redoutable, bien repérée par les démographes, celle d’accélérer le vieillissement global de la population, à la fois “par le bas” (déficit de naissances) et “par le haut” (allongement de l’espérance de vie). Et il n’y a qu’à regarder la forme de la pyramide des âges européenne – une sorte de champignon nucléaire en formation, rétréci à la base et gonflé au sommet – pour mesurer tout le potentiel explosif et déséquilibrant de cette évolution.

États-providence déstabilisés, croissance potentielle limitée

C’est une évidence difficilement contestable : une société âgée est moins dynamique tant il est vrai que ce sont les jeunes qui poussent à l’innovation et qui investissent. Mais tout cela mérite d’être nuancé car les vieux, mieux dotés financièrement que par le passé, consomment de plus en plus. La menace la plus forte pour le modèle de croissance européen n’est sans doute pas là, le plus alarmant étant – et ce n’est pas le moindre des paradoxes à comprendre en ces temps de chômage – la diminution annoncée du nombre des actifs : moins 30 millions d’ici 2050. Une fausse bonne nouvelle, car les chômeurs ne sont souvent malheureusement pas aptes à combler le vide.

Les démographes s’accordent sur un point : c’est moins la taille d’une population qui compte qu’un bon rapport entre le nombre de vieux et de jeunes, entre le nombre d’actifs et d’inactifs en retraite. Or ce “rapport de dépendance” va se dégrader à vitesse grand V en Europe. Pour l’ensemble de l’Union européenne, on va passer d’un ratio de 28 % en 2015 – soit un retraité pour quatre actifs – à 53 % en 2060, soit un retraité pour deux actifs environ. Avec à la clé un accroissement sensible de la charge supportée par les actifs, puisque les dépenses publiques de santé et de retraite augmenteraient de 5 points de PIB.

“Nos régimes de retraite vont dans le mur. Ou bien on change de système, ou bien on court à la faillite, l’alternative est radicale. Ce qui pose inéluctablement la question de la prolongation de la vie active”, lance le démographe Hervé Le bras. Or grâce aux gains d’espérance de vie en bonne santé – “on vieillit plus tard”, comme le dit l’expert Jacques Bichot –, il serait tout à fait possible de retarder significativement l’âge de départ de la retraite, au-delà de 65 ans, tout en bénéficiant d’une retraite assez longue… Mais cette équation est encore loin d’être entrée dans les têtes.

 

Berceaux, immigrés ou… robots ?

Pour corriger le tir, on imagine que deux moyens : essayer de relever la fécondité et/ou accroître l’immigration. Même sans verser dans le “lapinisme” cher à feu Michel Debré, la voie nataliste apparaît étroite à emprunter dans nos sociétés post-modernes “Aujourd’hui plus personne n’oserait appeler à faire des enfants pour la nation en vue d’en faire de futurs soldats ou cotisants aux régimes de retraites”, observe le sociologue Julien Damon. “Mener des politiques ‘natalistes’ ? L’idée même est un gros mot. La natalité étant considérée comme relevant exclusivement de la sphère privée, l’État n’a pas à s’immiscer dans la chambre des couples. Même en France, on préfère parler de politique familiale plutôt que de politique nataliste. Tandis qu’en Allemagne, le mot est purement et simplement toujours tabou en raison du souvenir des politiques natalistes mises en œuvre sous le troisième Reich”, décrypte le démographe Jean-Paul Sardon.

Les freins à lever semblent principalement du côté des mentalités même si à l’évidence, une politique de la petite enfance – dont les maternelles françaises gratuites pour tous les enfants dès deux ans constituent une sorte de modèle – aide. Le nœud de l’affaire semble être le travail des femmes, avec ce paradoxe, dont témoigne la France, qu’un taux d’activité élevé va de pair avec une fécondité plus élevée. “En Allemagne, les préjugés culturels à l’encontre des ‘mères corbeaux’ qui travaillent restent très lourds, et on y tolère mal que les femmes non mariées aient des enfants. Ce qui est aussi le cas dans les pays d’Europe du Sud”, reprend le démographe. Le revival des berceaux est encore loin. D’où la tentation de recourir à l’appoint de l’immigration.

“C’est sans doute le moyen le plus facile à utiliser dans le cadre d’une politique démographique, mais une politique migratoire ne peut en aucun cas être la solution au vieillissement, car cela nécessiterait des flux d’immigrés bien trop importants”, explique l’économiste Lionel Ragot qui poursuit : “l’Europe peut jouer la carte de l’immigration sélective en privilégiant l’accueil des jeunes étrangers qualifiés, ce qui serait bénéfique pour elle, mais elle devra pour cela savoir se montrer attractive par rapport aux autres régions du monde”.

En accueillant ces dernières années en grand nombre des jeunes espagnols et grecs qui quittaient leur pays en crise, l’Allemagne a démontré un indéniable sens de l’opportunité finement pensé. Mais pour régler son problème démographique, l’Europe peut aussi être tentée par une autre option radicalement différente, celle prise par exemple par le Japon ou la Corée, et qui repose sur le triptyque zéro immigration, pas d’égalité hommes/femmes, et robotisation au maximum. Un autre modèle et d’autres valeurs…

Le nouvel Economiste

http://fortune.fdesouche.com/386101-la-cruelle-absence-dune-politique-demographique-europeenne#more-386101

Les commentaires sont fermés.