Un brillant médiéviste, Jacques Heers, a soutenu, sans encourir de poursuite judiciaire, que l’ensemble de l’historiographie du Moyen Âge n’était qu’imposture. Un universitaire juif d’Italie, mort en 1996, Renzo de Felice, a très justement écrit : « Par nature, le travail de l’historien est révisionniste, dans la mesure où son travail s’appuie sur ce qui a été mis à jour par ses prédécesseurs et cherche à corriger, approfondir et clarifier sa reconstitution des faits », du moins lorsque l’écrivain d’histoire fait œuvre innovante au lieu de se contenter de copier ses petits camarades ou de répercuter la propagande du clan des maîtres du Pouvoir ou des gagnants d’une guerre.
Après tout, il a fallu dix-neuf siècles pour que le petit monde des historiens de l’Antiquité se rende compte que Néron avait été un fort bon Princeps senatus (si l’on préfère : « empereur romain ») et que, s’il avait eu un comportement privé d’histrion débauché comme un vulgaire Président de la Ve République française, il n’avait pas plus bouté le feu à quelques quartiers de Rome qu’il n’avait ordonné de tuer des chrétiens… de pieux faussaires avaient, au IVe siècle, caviardé d’antiques manuscrits et la crédulité des historiens avait fait le reste.
Sur les points très précis des attendus du jugement du premier des treize procès infligés à Nuremberg par les vainqueurs alliés aux vaincus allemands (le Tribunal Militaire dit International, alors qu’il aurait fallu le qualifier d’Interallié, pour signifier que les vainqueurs s’étaient arrogés le droit de juger les vaincus, étant à la fois juges et parties prenantes des procès) et du génocide juif (rebaptisé Shoah en hébreu), la critique du fond et de la forme est devenue légalement condamnable, sur le territoire français, en vertu de la loi du 13 juillet 1990, votée par les valeureux députés – en dépit de l’avis plusieurs fois exprimés par les sénateurs - à l’initiative du communiste Jean-Claude Gayssot, loi « consolidée », c’est-à-dire renforcée dans sa puissance répressive, les 24 février 2004 et 7 août 2009.
Il est piquant de constater que c’est à un membre du Parti Communiste que l’on a soufflé l’idée de cette loi qui ramène la France aux bons temps de l’Inquisition et apparente la Ve République à l’URSS du bon Joseph Dougashvili, dit ‘’Staline’’. La Loi Gayssot ose, en effet, imposer une « vérité historique » estampillée d’État, ce qui est le propre du totalitarisme, qu’il soit d’origine religieux ou politique. On aurait pu penser que cette législation d’exception, authentique honte d’un État dit démocratique, disparaîtrait vite, par l’effet d’un refus indigné des magistrats d’en user. Que nenni ! Elle fut largement appliquée par des juges aux connaissances historiques parfois hésitantes, mais au carriérisme impeccable. Bien plus, elle fut imitée presque partout dans l’Union Européenne, tant il est vrai que la France demeure la « terre des lois », si elle n’est plus – et depuis longtemps – celle des arts ni des armes.
En Allemagne, fédérale puis réunifiée, la modification de l’article 130 du Code pénal, en date du 1er décembre 1994 (et son renforcement, en matière de puissance répressive, le 11 mars 2005), a réalisé une authentique codification de l’écriture historique pour les années 1933-1945. Rien que pour la période 1994-2003, l’on a instruit en RFA, puis en République Allemande, 90 395 procès pour « délit de propagande sur fond d’extrémisme de droite ». De tels chiffres évoquent les grandes heures de la RDA communiste.
Il existe une législation « antirévisionniste », au titre de « l’antiracisme » (comme si les deux phénomènes, le révisionnisme historique et le racisme, étaient indissociables), en Autriche depuis 1992, en Suisse depuis 1994, en Belgique depuis 1995, en Espagne depuis 1996, etc. Et la censure s’est, bien sûr, étendue (avec un succès mitigé pour des raisons techniques évidentes) au Net. Bienheureux sont les libres citoyens des USA, protégés par le 1er Amendement de leur Constitution, voté par les Congressmen en 1791 : « Le Congrès ne fera aucune loi… qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ».
Voltaire était-il trop optimiste lorsqu’il écrivait : « Un temps viendra où les haines seront éteintes, alors la vérité restera seule » ? Plus probablement, en ces temps futurs, et peut-être mythiques, où l’objectivité serait enfin vénérée, les narrateurs pourraient écrire, en toute liberté, ce qui se rapproche le plus de l’insaisissable vérité historique… du moins, peut-on l’espérer.
Docteur Bernard Plouvier