Un constat de désastre
Les défenseurs du roi ne manquent pas dans le pays de France. Deux sondages réalisés à vingt ans de distance, l'un en 1987 par IPSOS pour le journal Le Point et l'autre en 2007 par BVA, à la demande de l'Alliance royale pour le journal France-Dimanche, révélaient que 17 % des Français étaient soit très favorables, soit assez favorables à l'exercice du pouvoir suprême par un roi en France. Un sondage plus récent, de 2014, réalisé par Opinion Way et Sciences-Po révélait que 50 % des Français espéraient l'exercice du pouvoir par un homme fort n'ayant pas à se préoccuper des élections et du parlement, ce qui, cependant, n'est pas tout à fait la description du roi, mais d'un César, institution dictatoriale compatible avec une république. Cependant, 75 % des mêmes sondés n'accordaient plus leur confiance à l’État et à la République. Ce dernier sondage traduit-il un renversement de l'opinion en faveur de la royauté, alternative au régime républicain ? La faiblesse numérique extrême des mouvements royalistes montre le contraire.
Ceux-ci, en nombre pléthorique, en offrent pour tous les goûts, entre différentes fidélités dynastiques, différentes approches politiques, tactiques ou stratégiques, et des sensibilités presque aussi variées qu'il y a de chapelles partisanes dans ces milieux d'autant plus éclatés qu'ils sont peu nombreux. Nous sommes loin du temps d'avant-guerre où Léon Daudet, ténor de l'Action française, réunissait 60 000 auditeurs au stade Charlety. Aujourd'hui, quand une réunion royaliste réunit plus de trente convives, ses organisateurs sont satisfaits. Lorsque la centaine est dépassée, les plus fous espoirs semblent permis…
Ce que cela révèle, outre l'incapacité des mouvements royalistes, pour l'heure, à s'adresser au plus grand nombre, c'est surtout le fossé qui sépare le sentiment traduit par ces sondages et la réalité du choix politique. On peut espérer le retour d'un roi ou en caresser l'idée comme un doux rêve et se faire raison de la présence de la République. De la même manière, on peut soupirer devant un homme fort et retourner voter pour les mêmes aux élections suivantes. Le sentiment n'est pas une action, ni même un engagement, il engendre une sympathie. C'est un premier pas, mais c'est peu.
Ce sentiment (ndlr: de sympathie monarchiste) est-il fiable lui-même ? Il est raisonnable de penser que oui. En effet, la question posée en 1987 et en 2007 repose sur un attachement de fond, tout à fait indépendant des querelles conjoncturelles ou politiques du moment. On peut, par conjoncture, haïr un gouvernement ou homme, même haïr un régime. Mais on ne fait pas le choix d'une institution aussi différente de celle actuellement en place, par conjoncture. Le sentiment royaliste est donc tout à fait structurel. En outre, la stabilité de la réponse à vingt ans d'écart, alors que les sondés ne sont certainement pas les mêmes et que la France, en vingt ans, a changé, permet d'accorder crédit à la solidité de ce sentiment. Sa répercussion étrange dans le sondage, lui très conjoncturel, mais à effet démultiplicateur, de 2014, confirmé par un sondage en ligne du Parisien, certes moins fiable puisque réalisé de manière spontanée et donc sans méthode statistique, mais toujours intéressant à prendre, qui en août 2014 révélait également que 52 % des sondés souhaitaient la présence d'une famille royale en France, sa répercussion donc, montre que ce sentiment est fiable et pourrait croître dans les années à venir si les cadres du régime en place venaient à continuer, comme on peut le craindre, leur politique désastreuse de gribouille.
Les récentes déclarations d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, au journal L'1, en faveur d'un régime mixte mêlant démocratie et royauté, ainsi que les propos de salon que l'on entend ici ou là en faveur d'un roi, montrent la ténacité de cet attachement, comme un soupir nostalgique du temps heureux, non seulement dans les couches populaires mais aussi dans l'élite sociale.
NDLR : Le Piéton du roi se fierait moins aux sondages que l'auteur qui ne se risque heureusement pas dans l'arithmétique des possibles. L'enquête d'opinions de SYLM de 2009 (clic) préparant aux Premières Assises Royalistes (manifestation avortée) indiquait d'une part que les monarchistes français venaient de tous les horizons politiques et classes sociales et d'autre part, qu'ils ne se maintenaient pas dans les chapelles royalistes dès qu'ils entraient dans la vie professionnelle, les devinant comme de simples "rétroviseurs". Sur la base du nombre de réponses et sur d'autres coups de sonde, on estimait le nombre de royalistes engagés (au moins une cotisation ou un abonnement) à quatre mille en France.
Alors pourquoi ce sentiment ne se traduit-il pas en action ou en choix politique de la part des Français ? Penchons-nous sur la nature du pouvoir royal pour avoir un élément de réponse :
Le roi est dynaste, c'est à dire qu'il exerce un pouvoir essentiellement familial. Il est l'héritier d'une famille et il transmettra à son tour la couronne à son héritier. Il n'est qu'un maillon de la chaîne, il ne s'appartient pas. Le souverain est un cas unique, il est le seul homme qui ne s'appartienne absolument pas. Un religieux prononçant des vœux perpétuels, ou un fiancé acceptant de recevoir sa fiancée pour épouse et étant reçu par elle, font le choix de ne plus s'appartenir dans l'avenir, mais c'est une décision libre, même si elle est sans retour. De la même manière, dans la plupart des cas, si une fois parent on l'est pour toujours sans retour possible, ce choix a été librement opéré au préalable avant de désirer avoir un enfant. Un homme qui engage sa parole d'honneur fait aussi un choix avant de s'abandonner. Un héritier peut toujours renoncer à son héritage. Un testateur pour toujours exclure une partie de sa succession de ses héritiers. Le roi est le seul personnage qui, à aucun moment de sa vie, n'a pu opérer le choix libre d'accéder à la couronne. Il est le seul véritable prisonnier de France, prisonnier du service de l’État, garant obligatoire de l'unité nationale, ainsi que toute sa famille. Il est la seule victime nécessaire au maintien de l'institution, c'est une sorte de sacrifié, à ceci près que le seul véritable sacrifié de l'histoire de l'humanité, Jésus Christ, a également librement consenti à la Croix, ce qui n'est pas le cas du roi, victime infiniment moins noble bien sûr, mais également infiniment moins libre.
Dans une société où l'institution familiale est fortement installée, reconnue par tous comme utile, assise sur le mariage légitime et perpétuel, où les parents assument leurs devoirs sans sourciller et où les enfants respectent ces hiérarchies d'une institution d'amour, il est déjà difficile d'accepter une telle folie politique que cette royauté dynastique. On comprend bien que dans une société où la famille a éclaté, où plus de la moitié des enfants naissent hors mariage, où les solidarités inter-générationnelles sont amoindries, où un couple marié sur deux divorce, où en somme la famille devient à la fois une sorte d'Eden rêvé et une réalité contractuelle morne, le roi n'est plus du tout une réalité politique concevable.
En plus d'être familiale, l'institution royale est fortement patrimoniale, mais d'un patrimoine spécial. Le roi est le maître légitime de son royaume, le maître légitime de la France, mais il n'en est que l'usufruitier. Sa possession morale du pays, qui n'est nullement matérielle, hormis sur ses biens propres, est partiellement impuissante, puisque le seul acte de volonté que puisse accomplir le souverain est de toujours chercher à préserver, voire accroître, ce bien, en vue de le léguer tel quel à son successeur. Cette patrimonialisation spécifique du territoire national est la garantie de son intégrité en royauté, contre les démantèlements, les guerres civiles, les sécessions. Mais c'est une notion toute familiale de la propriété, assez proche de celle pratiquée dans l'antiquité grecque archaïque, que l'on retrouve sous une forme très atténuée dans le régime de l'usufruit en indivision et dans les Sociétés civiles immobilières (SCI).
NDLR : Sur la patrimonialité du roi, relire aussi Democracy : The God That Failed de Hans-Hermann Hoppe. A défaut de l'original, une présentation sur RA : De la supériorité économique de la monarchie