Dans le projet de loi El Khomri, dit loi « Travail » par le gouvernement, un des aspects essentiels est l’article 2, à savoir la priorité des accords d’entreprise sur les accords de branche.
L’éditorialiste de La Croix (31 mai 2016) y voit un esprit de subsidiarité qu’il salue. Il n’en est rien. C’est même le contraire puisque c’est l’inversion « de la hiérarchie des normes ». Celle-ci consiste dans le fait que la national prime le sectoriel, et que le sectoriel prime le particulier c’est-à-dire les accords d’entreprise. En d’autres termes, aucun accord de niveau inférieur ne peut être plus défavorable aux salariés que l’accord situé au niveau supérieur.
Si les syndicats CGT et Force Ouvrière s’opposent à cette inversion de la hiérarchie des normes, c’est, au-delà que toutes les raisons tactiques qui ne sont que l’écume des choses (prochaines élections prud’homales, enjeux internes pour Philippe Martinez de la CGT, etc.), que l’inversion de la hiérarchie des normes signifie le démantèlement de la protection des salariés et la destruction du code du travail. Dans les entreprises, les salariés sont en effet beaucoup moins forts qu’au niveau des branches. Si l’accord d’entreprise prime sur l’accord de branche, c’est un recul assuré pour la salariés aussi bien en matière de durée du travail (on va vers les 39 h payés 35) que sur les autres plans.
Quand les journalistes des médias dominants (Libé, Le Monde, etc.) se satisfont de l’évolution de la France vers une culture proche de celle des pays anciennement sociaux-démocrates du nord de l’Europe en matière de négociation dans les entreprises, avec de plus en plus d’accords signés, ils n’évoquent pas l’essentiel : nombre d’accords sont des accords défensifs pour les salariés, ils entérinent des reculs sociaux en « limitant les dégâts ».
Dans telle entreprise où un salarié avec 20 ans de maison recevait, s’il était licencié, 6 mois de salaire, il en touchera seulement 2 ou 1. Voilà ce qu’il en est de la culture du « dialogue social » et des « accords d’entreprise ».
L’accord n’est pas un but en soi. La culture du « dialogue » ne peut remplacer pour les salariés la nécessité d’établir un rapport de force favorable à leurs intérêts et à leur dignité.
Pierre Le Vigan : Emprise : Façonner le réel :: lien