Philippe Conrad, historien, dirige le bimestriel La Nouvelle Revue d’Histoire. Le 14 juin est paru le hors-série n°2 de la NRH, intitulé « Être minoritaires en terre d’islam ». Philippe Conrad a bien voulu répondre aux questions du R&N.
R&N : Votre dernier hors-série, consacré aux minorités en terre d’Islam, embrasse des situations variées, à des époques et lieux différents (Moyen Orient, Espagne musulmane, Balkans, Arméniens dans l’Empire ottoman, chrétiens d’Orient à l’époque contemporaine, les Kalash...). Au-delà de ces différences, quelles sont les caractéristiques de la domination islamique sur un territoire ? Ces caractéristiques sont-elles propres à l’islam, et sont-elles issues du Coran ?
Philippe Conrad : L’extension géographique du domaine islamique fait que les musulmans ont, à des époques diverses, contrôlé d’immenses espaces où vivaient avant la conquête des populations très différentes. Notre hors-série retient plusieurs exemples caractéristiques mais n’a rien d’exhaustif. La domination islamique a varié dans ses selon les époques et les lieux. C’est ainsi que la « récolte » d’enfants chrétiens razziés dans les Balkans pour être convertis à l’Islam et enrôlés dans l’odjak des janissaires disparaît progressivement à partir du XVIIe siècle. En d’autres lieux, de longues périodes de calme et de coexistence à peu près pacifique alternent avec des phases de crises marquées par des massacres. On peut signaler à ce propos les massacres des chrétiens du Liban et de Syrie survenus en 1860 et qui ont entraîné une intervention française. C’est la situation géopolitique particulière de la population arménienne en Anatolie orientale, à cheval sur les deux empires russe et ottoman, qui explique en grande partie les logiques de massacre de 1915, la minorité arménienne étant perçue comme une cinquième colonne prête à accueillir les Russes en libérateurs. A certaines époques, notamment durant la modernisation entamée à partir du XIXe siècle, la minorité copte égyptienne peut relativement prospérer mais elle est directement menacée par le islamistes en d‘autres moments, surtout quand ces islamistes font eux- mêmes l‘objet d’une violente répression de la part du pouvoir en place. De tels cas peuvent également être remarqués dans l’Espagne musulmane. Les mozarabes chrétiens s’y maintiennent durant la première phase de l’histoire d’al Andalus et à partir du califat de Cordoue, au Xe siècle, ce sont les conversions à l’Islam qui renversent le rapport des forces démographiques au profit des musulmans. Sous les Almoravides et les Almohades, la domination musulmane, inspirée par un malékisme intransigeant se fait beaucoup plus implacable et les chrétiens disparaissent progressivement du paysage, ce qui est également évident dans le royaume nasride de Grenade, le dernier réduit musulman de la péninsule entre le XIIIe et le XVe siècle.
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