Nous avons joint Maître Trémolet de Villers à Rosario, près de Corte, au cœur de la Corse à laquelle il est fidèle tous les ans pour les vacances, car il nous a semblé que pour évoquer les derniers événements qui ont agité l'Ile, c'était à un Corse qu'il fallait s'adresser.
Entretien avec Jacques Trémolet de Villers
Maître, que s'est-il passé exactement à Sisco, sur cette petite plage corse ?
Je n'ai pas d'autres informations que ce qui se dit et ce que j'ai entendu sur les places, dans les rues ou dans les bars. On parie d'une provocation tout à fait surprenante. Ici, vous savez, la population maghrébine est nombreuse, mais si l’on met de côté l'incident de Noël dernier à Ajaccio [où un camion de pompier, le jour de Noël, est tombé dans un piège tendu par quelques jeunes du Quartier de l'Empereur. Une salle de prière musulmane avait été saccagée en représailles], cette population demeure assez respectueuse. Là nous avons vu quelque chose à un degré plus important : il y a d'abord eu des femmes qui se sont baignées en burkini et quelques touristes qui les ont prises en photo. Ils se sont fait agresser par la famille maghrébine. Enfin, très vite, les touristes et les locaux se sont retrouvés contre les Maghrébins, deux franco-marocains originaires de l'Ile et deux du Continent, dont il faut dire qu'ils étaient, les uns et les autres, sous l'emprise de la cocaïne, comme s'ils avaient eu besoin de cela pour se préparer à combattre. Leur message ? « Venez à Lupino (un quartier de Bastia) et vous verrez que là vous n'êtes pas chez vous. Nous sommes chez nous ». Comme dans l'affaire du Quartier de l'Empereur à Ajaccio, la population est allée à Lupino. Les Corses sont rentrés dans tous les immeubles sans violence, sur le thème : « Nous sommes chez nous ».
Comment peut-on expliquer ce débordement soudain ?
La population est à cran. On constate qu'immédiatement après l'affaire de Sisco, non seulement à Sisco mais à Cagnano et à Ghisonaccia, les mairies ont réagi très fortement. À Cagnano par exemple, un arrêté a été voté en urgence interdisant « toute tenue contraire aux bonnes mœurs et à la laïcité » (sic) et, je cite, « restreignant provisoirement la libre manifestation des convictions religieuses des usagers du service public balnéaire, afin d'assurer le bon fonctionnement de celui-ci ». Par ailleurs, le FLNC avait prévenu : « Nous frapperons les premiers ». De l'autre côté, il semble bien qu'on a voulu rappeler aux Corses qu'il n'y avait pas de terre exclue de la conquête arabe. Le Procureur de Bastia Nicolas Bessone a été formel : « À l'évidence, à l'origine des incidents se trouvent des membres de la famille maghrébine qui ont voulu, dans une logique de caïdat, s'approprier la plage et la privatiser ». Cette façon de faire concerne surtout les jeunes. Elle est tout à fait nouvelle dans l’Ile.
Quelle est l'atmosphère dans l’île ?
Il faut souligner que le 15 août, fête traditionnelle de la Corse, fête de Marie reine de la Corse, les processions ont été très nombreuses, avec, je parle ici pour mon village, Vivario, une ferveur que l'on avait un peu oublié. Nous avons eu, après le sinistre 14 juillet à Nice, la procession de notre saint patron, Saint Pierre aux liens, le 1er août. Le chant « À toi la gloire, à toi la victoire » était chanté avec force, comme pour montrer une décision particulière, la certitude d'une légitimité. Dans les cafés, on entend constamment des expressions martiales comme « s'ils veulent la guerre, ils l'auront ». Comme dans toutes les îles je crois, on observe en Corse un curieux mélange de tolérance et de méfiance envers les étrangers. Il y a une tradition d'hospitalité, mais en même temps, l'étranger est rejeté s'il est odieux. H y a un sentiment nouveau qui pointe. Les Anciens qui vivent là sans heurts depuis longtemps sont désarçonnés. Dans mon village, à Vivario, il y a une seule famille musulmane : naguère, elle descendait pour acclamer la Procession ; ils étaient comme beaucoup d'immigrés qui surtout ne voulaient pas d'histoire. Cette population-là est déconcertée par ce qui se passe. On redécouvre le caractère inassimilable d'un certain islam. Et face à cela, il y a une réaffirmation de l'identité chrétienne de la terre de Corse, par des moyens populaires : les processions, les confréries, les chants, c'est énorme ! Pour le 15 août, Corse Matin titrait : Marie reine de Corse.
Et le Continent dans tout ça ?
Jean-Luc de Carbuccia, évoquant cette intensité insulaire, explique que la Corse est le miroir grossissant du Continent. C'est vrai que la Corse est très déchristianisée, comme le Continent : la pratique religieuse n'est pas beaucoup plus élevée que sur le Continent. Mais il y a aussi un jeune clergé enthousiaste, comme sur le Continent. Je pense au curé de Corte expliquant le 15 août que « avant la force des armes, il y a la force de la foi ». Il n'a pas dit « contre la force des armes ». Les Corses sont très déterminés. Ils ressentent une appartenance de leur Ile, qui se veut « terre chrétienne ». C'est dans cette perspective où l'on chante le « Chez nous soyez reine » comme le « Dio vi salvi regina » que Jean-Guy Talamoni, président de l'assemblée de Corse, a estimé « juste et compréhensible la réaction du peuple corse ».
Propos recueillis par Alain Hasso monde&vie 1er septembre 2016