Jour après jour la perspective du Brexit, du Brexit sans accord, précise son caractère d'improvisation irresponsable. Cette évidence inattendue se révèle accablante pour les dirigeants de la démocratie parlementaire réputée la plus solide et la mieux enracinée du monde.
Les conséquences et les questions pratiques, de toutes sortes, ont commencé à se poser sans que les gouvernements, et en premier lieu celui du 10 Downing street, ne se montrent en mesure de donner des réponses claires.
Ce 18 février, par exemple, chef du gouvernement écossais, Mme Nicola Sturgeon vient à Paris, clairement hostile à la rupture, afin de jeter les bases d'une coopération bilatérale. Or, ceci annonce une nouvelle perspective d'indépendance pour l'Écosse, revenant sur l'échec du référendum de 2014.
À Calais on se prépare tant bien que mal à construire une nouvelle forme de lutte contre l'immigration clandestine, sur la base d'une coopération franco-britannique, la région rebaptisée Hauts de France réclamant la création d'une brigade policière spéciale.
Une autre faille dans le système institutionnel britannique est intervenue ce 18 février. Toute petite en apparence elle se limite au départ de 7 députés du parti travailliste, mais elle remet en cause le rôle du deuxième parti dans un équilibre parlementaire devenu singulièrement instable depuis quelque 10 ans.
Ne perdons pas de vue à cet égard que la ligne directrice de Mme May dépend de son alliance avec le petit parti unioniste protestant de l'Ulster. Aujourd'hui gestionnaire de la rupture, elle avait fait au printemps 2016 la campagne du maintien de son pays dans l'Union européenne. Mais, depuis lors, chef du gouvernement elle a privilégié l'unité factice du parti tory, – archidivisé quant aux relations eurobritanniques en fait, – plutôt que la recherche de partenaires de circonstances, dans l'intérêt national.
Il est vrai que la personnalité du très suspect Jeremy Corbyn n'aide pas l'hypothèse du dialogue, autre marque de décadence du civisme chez nos voisins et amis, finalement guère mieux lotis que nos compatriotes. On permettra à l'auteur de ces lignes de ne pas juger consolante cette commune médiocrité.
Beaucoup de Français se sont félicités en 2016 lors du référendum où certes la majorité des Anglais, mais non celle des Écossais, ni celle des Irlandais du nord, ni même celle des Londoniens, ont voté en faveur du retrait hors de l’Union européenne de ce que s'appelle encore le Royaume-Uni.
La stratégie de Mme May a été profondément biaisée dès le début du processus de négociation. Le gouvernement et le Parlement de Westminster ont pris la décision d’activer l’article 50 sur la sortie avant même d’avoir décidé ce qu’ils voulaient pour l'avenir des relations avec l’Union européenne.
Le gouvernement de Londres a limité lui-même sa propre marge de manœuvre, fixant des lignes rouges, au sujet de la fin de la liberté de circulation ou de l’indépendance de la politique commerciale, qui rendent très difficile la perspective d'un accord raisonnable.
Trois ans plus tard, l'échéance du 29 mars 2019 se rapprochant, l'éventualité d'un Brexit sans accord, devient une hypothèse de plus en plus plausible.
Tout ceci sans doute fait réfléchir les admirateurs parisiens des Nigel Faradje ou des Boris Johnson.
Beaucoup d'hommes politiques d'outre-Manche et surtout la majeure partie des journaux avaient joué à fond la carte du retrait. Or, d'une part ces apprentis sorciers se sont rendus compte eux-mêmes qu'ils ne retiraient aucun bénéfice de leur victoire référendaire. Ainsi, le parti UKIP, fer de lance de la campagne se retrouve aujourd'hui réduit à l'état de groupuscule. D'autre part, les vainqueurs d'un jour ne se sont montrés capables de rien proposer.
De la sorte, en France, en dehors de la secte rassemblée autour d'un Asselineau, personne n'ose plus se réclamer ouvertement du Frexit. Même un Dupont-Aignan dont tout le parcours conduisait, et conduit encore, à une rupture de type britannique, se voit désormais contraint à des discours d'évitement et de faux-fuyants.
La propagande officielle, y compris celle du gouvernement actuel, alimente du reste la confusion : on continue de faire semblant de confondre l'Europe et ses institutions. Or, les sondages les plus eurosceptiques démentent cette identification abusive : les Français se hérissent souvent devant la technocratie de la Commission, imposée en réalité par l'Europe des États, mais ils restent en grande majorité favorables à l'idée européenne.
Procédure aberrante, le référendum de 2016 a largement illustré, par l'imbroglio inextricable qui en résulte, la fatigue des gouvernements d'opinion et le discrédit des institutions démocratiques les plus respectées jusqu'ici.
JG Malliarakis