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Face aux experts et aux artifices, développer sa culture générale

Face aux experts et aux artifices, développer sa culture générale

Marion Maréchal, directrice de l’ISSEP, évoque l’importance de la culture générale :

[…] La culture générale n’est pas une simple accumulation de connaissances. Elle est la « tête bien faite », autrement dit, l’intelligence transversale capable de rassembler des informations, apte à puiser dans différentes matières sans être enfermée dans un domaine d’expertise et disposée à confronter le présent au passé pour en tirer des leçons, une analyse, un jugement.

Il ne s’agit ici pas de quantitatif mais de qualitatif. Il ne s’agit pas d’« avoir » mais bien d’« être ». La culture générale n’est pas faite pour briller en société, elle aide à penser, à vivre, elle façonne la personne et sa façon d’appréhender le monde. Qui a lu Balzac, qui a entendu Chopin, qui a admiré les statues du Bernin, qui a vibré au récit de la bataille de Patay ne perçoit pas les murmures du monde de la même manière.

A l’heure où la gouvernance et l’administration des choses ont remplacé le gouvernement des peuples, où le langage et la pratique managériale ont remplacé la Politique, il est important de rappeler que la capacité à conduire des Hommes émane moins de techniques toutes-faites de management que d’une bonne connaissance des tréfonds de l’âme humaine (à ce titre, la qualification désuète d’Humanités pour désigner la culture générale prenait tout son sens) et d’une réelle capacité de discernement. Le Général de Gaulle résumait parfaitement ces bénéfices dans son ouvrage Au fil de l’épée : « La véritable école du commandement est celle de la culture générale. Par elle, la pensée est mise à même de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire, (…) de s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote…

Dans un monde où les expertises sont rapidement obsolètes, où l’intelligence artificielle commence à concurrencer l’intelligence humaine, où les professionnels sont amenés à changer plusieurs fois, non pas de postes, mais de métiers, il est indispensable de comprendre rapidement, de savoir construire un raisonnement, de développer son esprit critique. Telle sont les véritables compétences attachées à la « mobilité » si souvent citée comme nouvel impératif dans le monde du travail.

Un futur dirigeant politique ne peut se dispenser de s’enraciner dans une culture et une histoire pour s’imprégner de l’inconscient du peuple, de sa mentalité et de ses moeurs en vue de lui donner un cap auquel il adhérera. Comme le disait André Charlier dans l’une de ses lettres adressée à ses élèves: « l’âme d’une maison, comme celle d’un peuple, est faite de beaucoup de fidélités silencieuses ». S’inscrire dans le temps long c’est accepter d’être le dépositaire de ces fidélités qui nous dépassent. C’est en comprendre la valeur et la fragilité, car la fraternité humaine est un sentiment que l’on ne peut imposer ou décréter. Il est le fruit mûr du temps et d’échanges séculaires qui façonnent la reconnaissance de soi en l’autre au point de se sentir responsable de lui.

Le politique qui s’amuse à déstructurer cette fraternité par méconnaissance, inadvertance ou pire, par lâcheté ou cynisme est terriblement coupable. S’attaquer à ce legs est la pire des trahisons car il constitue le socle de notre société et la condition de son harmonie.

Rechercher une culture générale est un exercice d’humilité.

Effleurer l’immensité des savoirs qui nous ont précédés permet de mesurer à quel point nous ne savons rien ou si peu. Cet exercice aide à se prémunir contre la grande vanité frappant chaque génération, qui consiste à se croire bien supérieure dans la morale et l’esprit à la précédente. Tous ces savoirs nous invitent à pratiquer la prudence, cette vertu que la philosophie grecque puis la doctrine chrétienne présentent comme cardinale. […]

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