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La loi salique : une mystification

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Si la parité peine à progresser, c'est parce que la France a toujours refusé le pouvoir aux femmes ? En raison d'une loi du Ve siècle, léguée par les Francs saliens, qui a écarté la gent féminine de la succession au trône ? Elire une femme à la présidence de la République mettrait donc fin à 1500 ans d'ostracisme ? Faux, faux et faux ! Des vérités sont à rétablir d'urgence.

Une femme au pouvoir, ce serait nouveau, prometteur ou renversant. Et ce serait justice après des siècles d'obscurantisme et de patriarcat misogyne... Et bien non, car invoquer la loi salique pour expliquer la faible représentation féminine dans le corps politique aujourd'hui revient à accréditer un mensonge colossal. Et à effacer d'un trait reines et régentes qui exercèrent réellement le pouvoir sur nos terres, sans craindre la comparaison avec leurs homologues masculins.

Las ! la légende de la loi salique, une création du XVe siècle, soit mille ans après les premiers Francs saliens, a prospéré. Elle alimente encore aujourd'hui l'analyse politique et le discours sur la parité : « Cette situation s'explique [...] par des raisons historiques : la loi salique a écarté les femmes de la succession au trône de France » (Corinne Deloy, Les Femmes en politique, Fondation pour l'innovation politique) ; « Mon hypothèse est que fonctionne encore la loi salique, cette loi française, d'abord française, qui interdit la transmission de la couronne à une femme » (Geneviève Fraisse, colloque La Démocratie « à la française » ou les femmes indésirables).

Un texte conçu à des fins purement militaires

Au moyen d'une scrupuleuse enquête, Eliane Viennot, professeur à l'université de Saint-Etienne et présidente de la Société internationale pour l'étude des femmes de l'Ancien Régime, vient heureusement claquer le museau aux lieux communs. Son ouvrage, La France, les Femmes et le Pouvoir - L'invention de la loi salique (Ve - XVIe siècle), paru en octobre chez Perrin, met pour la première fois en perspective, sur le long terme, l'existence d'un partage du pouvoir entre hommes et femmes.

Car, soulève-t-elle d'entrée, « dans un contexte où la doxa présentait la rupture révolutionnaire comme un "grand commencement" (certes difficile) pour les femmes, c'est bien plutôt les preuves de leurs pouvoirs au cours de la période précédente et l'ambiguïté (pour le moins) de la Révolution qui paraissent devoir être mises en lumière. [...] Non seulement nos ancêtres durant près de dix siècles n'ont pas connu de règle écartant les femmes du pouvoir, non seulement ils n'ont jamais vu d'inconvénient majeur à mettre l'une d'elles à leur tête, mais ils l'ont fait longtemps après l'invention de la "loi salique" [...]. À l'aune de cette histoire fort longue, les trois derniers siècles apparaissent comme une anomalie. »

Suivons l'historienne dans son procès en réhabilitation. La « loi salique » a bel et bien existé. Elle fait partie de l'un des « codes barbares », dont les peuples germaniques (férus de droit, inventeurs des assemblées égalitaires d'hommes libres et bâtisseurs de royaumes) se dotèrent de concert à la fin du Ve siècle, c'est-à-dire peu après leur installation en Europe de l'Ouest sur les ruines de l'Empire romain.

Burgondes, Bavarois, Wisigoths, Lombards, Francs ripuaires, Alamans et les fameux Francs saliens (sis entre Meuse et Escaut) couchèrent donc sur parchemin des ensembles de procédures pénales et civiles. Autrement dit, des textes relevant du droit privé, qui n'ont jamais rien eu à faire, et la nuance est importante, avec une constitution politique.

L'article de loi qui servit plus tard à bâtir la fable de l'exclusion des femmes du trône de France traite des « alleux », terme qui désigne les biens propres. Voici ce qu'il indique : « concernant la terre salique, qu'aucune portion de l'héritage n'aille aux femmes, mais que toute la terre aille au sexe masculin. »

Chez les Francs, la femme valait deux hommes !

Non seulement il n'est pas question ici d'une quelconque transmission du pouvoir, mais l'adjectif « salique » ne désigne qu'une portion de l'héritage, celui de la terre ancestrale. Or, au Ve siècle, les premières terres « ancestrales » des Francs saliens à l'ouest du Rhin étaient des tenures militaires, concédées par le fisc impérial aux soldats frontaliers pour leur service armé, et donc, C.Q.F.D., réservées aux hommes. Conclusion sur le premier épisode de l'affaire, selon la formule d'Eliane Viennot : la « masculinité » invoquée dans l'article  « n'est pas germanique mais militaire ».

A l'occasion, l'historienne trouve bon de rappeler que les Francs eurent « sûrement une société plus égalitaire que celles qui suivirent », avec des coutumes qui favorisaient largement les femmes. « Non seulement, rappelle Jean-Pierre Poly (Le Chemin des amours barbares, Perrin), le sexe féminin n'est pas exclu de la succession descendante, mais lorsque les biens remontent, il est privilégié : la succession échoit à la femme la plus proche, la mère suivie de ses enfants, frères et sœurs du défunt, puis la tante maternelle, fille de la grand-mère... »

Pour autre exemple, le « prix de la vie » (« le wergeld ») d'une femme, tel qu'il était alors réglementé, était toujours le double de celui d'un homme. Pour illustration encore, ces figures de reines des premières dynasties, qui furent épouses influentes - le rôle de Clotilde dans la conversion de Clovis au christianisme est attesté -, mères souveraines dans la minorité de leurs enfants - fracassantes Brunehilde et Frédégonde mais conformes à leur époque sans tendresse -, ou veuves héritières du royaume, comme Nanthilde, Bathilde, Bertrade, première reine carolingienne, ou Judith de Bavière, qui exercèrent seules le pouvoir suprême.

Quelques siècles plus tard, l'âge des seigneurs et des dames ouvre la merveilleuse époque des lignages, quand se développent la mystique du sang et de l'héritage familial, portés par les femmes, et celle de l'amour courtois. Georges Duby s'était attaché à mettre en lumière la puissance féminine d'alors, qu'on pense simplement à Héloïse, Aliénor d'Aquitaine ou Marie de France, dans les trois tomes de ses Dames du XIIe siècle : « Au terme de l'enquête, écrivait-il, [elles] m'apparaissent plus fortes que je n'imaginais, si fortes que les hommes s'efforçaient de les affaiblir par les angoisses du péché. »

Un faux en écriture pour conforter les Valois

En effet, peut-être par un renversement de tendance, tout n'ira plus aussi bien pour les dames par la suite. La thèse que développe Eliane Viennot porte sur le rôle de la clergie, à partir du XIIIe siècle, comme véritable ennemie des femmes. La clergie, à ne pas confondre avec l'Église, désigne les savants, les clercs des universités, cohortes masculines en constante recherche d'ascension sociale et d'influence. Cette internationale d'intellectuels, abreuvée à des pères de l'Église violemment misogynes, imbue de son savoir, se met peu à peu au service des États - en clair, elle envahit les « administrations centrales » pour y imposer sa loi.

La collusion entre le discours qu'elle diffuse pour saper l'ordre féodal et l'image de la femme à son seul profit - par tous les moyens de communication alors disponibles : disputatio publiques, pamphlets, romans... - et le pouvoir acquis par les ordres mendiants, bras armé de l'Inquisition, conduira aux bûchers des sorcières.

Puis sa stratégie d'écrasement s'étendra à tous les rivaux gênants : « bonnes femmes » pratiquant la médecine et l'obstétrique, religieuses et monastères féminins trop indépendants, Juifs, Templiers qui étaient aussi les banquiers de la Couronne, sans oublier de réécrire l'histoire en occultant les reines de France ou en les traînant dans la boue - amnésie ou opprobres qui perdureront dans l'enseignement de la République...

Cette prise de pouvoir de la clergie n'est pas spécifique à la France, mais à partir du moment où le royaume capétien fait ouvrir au XIIe siècle l'Université de Paris, notre pays devient pour plusieurs centaines d'années le centre de gravité de ce nouvel ordre technocratique.

C'est dans ce contexte qu'un membre de la clergie, Jean de Montreuil, produit, en 1408 ou 1409, le faux en écriture : la loi salique nouvelle version. Elle lui permet de conforter la légitimité des Valois - contestée depuis qu'ils se sont emparé du trône au détriment de Jeanne de France, fillette de 5 ans et unique héritière en droite ligne de la Couronne. Et d'écarter juridiquement les femmes du pouvoir. En changeant simplement, dans le texte original, le mot « terre », par le mot « royaume » pour signifier que la disposition avait bien un sens politique. Puis, pour finir, d'imposer aux souverains une loi qui leur préexiste, sur laquelle ils n'ont donc pas prise.

À partir de cette date lien n'arrêtera plus la légende en marche, même si son officialisation prendra encore du temps. Car la grande noblesse conservera, à la fois un mépris indicible pour la clergie et son estime pour ses femmes et ses reines. Comment aurait pu être acceptée, sans cela, la présence au pouvoir des Blanche de Castille, Anne de France, Louise de Savoie ou Catherine de Médicis ?

L'ironie de l'histoire est que l'on doit à la Révolution française d'avoir, pour la première fois, avec sa première Constitution, paraphé la « loi salique » du XVe siècle. Un enregistrement que les monarques successifs avaient pris garde d'éviter. Et d'avoir écarté les femmes de la vie publique pour cent cinquante ans, en en faisant civilement des citoyennes mais en oubliant leurs droits politiques.

Eléonore Pasquet Le Choc du Mois Janvier 2007

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