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Avec Jean Raspail, suivre d’abord ses propres pas

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Les romans de Raspail sont indémodables. Récemment, Albin Michel a eu la bonne idée de rééditer deux incontournables de son oeuvre : Les Pikkendorff et L’Anneau du pêcheur.

Avec Sylvain Tesson, Jean Raspail partage le goût des chemins de traverse. Ces deux écrivains de Marine aiment à sillonner ces « chemins noirs », pistes en pointillés sur les cartes d'état-major. À Tesson les flèches des cathédrales, l'immense Asie, le Baïkal, le retour de la Bérézina et les routes cachées de la France profonde. À Raspail, les vastes Amériques, d'un bout à l'autre, les rapides québécois et les glaces filégiennes, mais aussi les confins imaginaires d'une Europe chevaleresque.

On voudrait parfois faire de Raspail un écrivain à thèse, le réduisant au Camp des saints. Ce serait oublier qu'il est d'abord un explorateur le voyage précède la plume. Le premier inspire l'autre, la seconde accompagne le premier et le fait vivre pour toujours. Il est de multiples façons de voyager. Dans l'espace bien sûr, mais aussi dans le temps et dans l'imaginaire, au royaume des allégories, de la tenue, de l'attitude, du panache.

Condensé de la vieille Europe

« Je suis d'abord mes propres pas », telle pourrait être la devise de Jean Raspail. Elle est en tout cas l'apophtegme illustrant le génie propre des Pikkendorff, famille fictive peuplant plusieurs de ses romans.

Jadis, les nations se piquaient d'origines troyennes : Rome était fille d'Enée, la Bretagne descendait de Brutus, la France de Francion, Venise d'Anténor. Chez les Pikkendorff, on se pique de partager le sang d'une fougueuse guerrière barbare de souche gothique : Zara. L'ancien titre du roman, Hurrah Zarah ! ( 1998), a été abandonné, Raspail ne voulant pas associer « le nom sacré de la première souveraine von Pikkendorff » à une chaîne de prêt-à-porter féminin. Disons-le : cette famille est bien plus flamboyante que celle des Rougon-Macquart. D'origine germanique, obstinément catholique et francophile, elle a envoyé ses cadets dans toute la vieille Europe et même au-delà. Leur arbre généalogique est une forêt enchanteresse.

D'une époque à l'autre, les Pikkendorff gardent en partage une indéniable tenue face à l'adversité et aux affres du temps. Leur patronyme est l'autre nom du panache. Blasonnant d'un faisceau de lances d'or sur fond de sinople et de gueules, les Pikkendorff ont des caractères éclatants et des destins romanesques. Branche allemande : Oktavius, l'oncle châtelain aux marionnettes; Karl, conjuré antihitlérien en 1944. Branche anglaise : James-Octavio, amiral; Charles-Octavio, colon rhodésien. Branche américaine : François « Big nose » Piquedot, coureur des bois en Nouvelle-France. Branche chilienne : Otto, uhlan et compagnon éphémère d'Antoine de Tounens. Branche française : Elena, chasseuse de sous-marins; Hugo, héros de Dien Bien Phu.

Chemins de traverse romains

Suivre d'abord leurs propres pas, c'est aussi le chemin qu'ont choisi les héritiers de l'antipape Pierre de la Lune, alias Benoît XIII. L'histoire rocambolesque de ce prélat, convaincu de son bon droit à être pontife romain à la fin de la crise avignonnaise, était bien connue des médiévistes et vaticanistes. Ce destin hors norme est d'abord entré en littérature en 1963 avec un roman de Christian Murciaux. Puis, sous la plume de Raspail, le personnage entre dans la légende. L’Anneau du pêcheur référence à la bague pontificale, paraît en 1995. Le voici réédité dans une élégante couverture bleue, frappée des armes du Saint-Siège faisant magnifiquement la paire avec la couverture bordeaux des Pikkendorff, ornée du blason familial... Avis aux amateurs de beaux livres.

Comme souvent chez l'auteur, on navigue entre deux récits. Les chapitres alternent entre fiction et narration historique. Histoire : l'ascension et la chute du pape aragonais, après le concile de Constance. Fiction : l'enquête du Saint-Siège sur les ultimes traces des « Benoît », héritiers de la lignée apostolique de Pierre de la Lune. Cette lignée s'est maintenue dans le secret, s'éteignant peu à peu en silence, tandis que leur dernier représentant pérégrine en 1993 entre Rodez, les Causses, le Lévézou et les ruines de la cathédrale occitane d'Aleth. Histoire et fiction se mêlent étrangement dans ce roman haletant et méditatif à la fois, que l'on ne se lasse pas de relire au coin du feu. Ici et ailleurs, fidélité, tenue, chemins de traverse.

Mainteneurs d'un état d'esprit, Zara, Elena, Ugo, Oktavius, Pedro de Lima et tous les Benoît sont un peu, à leur manière, des Patagons... Hurrah Raspail !

François La Choüe Monde&Vie 31 mars 2020

Jean Raspail. Les Pikkendorff. Albin Michel, 368 p.

L’Anneau du pêcheur. Albin Michel. 416 p.

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