Nous n’assistons pas à la fin naturelle d’une grande civilisation humaine, mais à la naissance d’une civilisation inhumaine qui ne saurait s’établir que grâce d’une vaste, à une immense, à une universelle stérilisation valeurs de la vie. Car, on dépit de ce que j’écrivais tout à l’heure, il s’agit beaucoup moins de corruption que de pétrification. » (Georges Bernanos, La France contre les robots)
Bernanos est aussi un apôtre de l’écologie dans son combat contre la société mécanique, à l’image de Léon Bloy, Simone Weil, Gabriel Marcel, Nicolas Berdiaëff. Il s’insurge contre cette société déclinant vers un monde de « robots » : « dévorée par ses mécaniques comme une bête malade par ses poux ». Cette marche en avant de la technique mène la société vers la catastrophe. Il se retrouve ainsi comme d’autres écrivains comme Jean Giono, Genevoix, Jules Romains, Charles Peguy… La densité comme le nombre des machines, comme les techniques toujours plus sophistiquées ne sont pas sans conséquences sur la vie en société. Une certaine standardisation de celle-ci tend à discipliner de plus en plus l’individu à son rythme mécanique. La rapidité de l’évolution technologique amène des questionnements quant à l’assujettissement de l’homme à la machine. Est-ce que la fin de l’homme sera imposée par les machines ?
« Ils ont multipliés les machines et la multiplication des machines pose chaque jour de nouveaux problèmes plus difficiles à résoudre, dont chacun marque une étape vers le paradis exécrable où la liberté ne sera plus qu’une anomalie monstrueuse, un phénomène pathologique, où la liberté d’un seul individu devra être considérée comme une menace redoutable pour la collectivité tout entière ». Cet esclavage dans un horizon plus ou moins lointain demeure notre préoccupation essentielle, à la vue de ce qui se passe. L’homme au service de la machine où celle-ci au service de l’homme, reste bien la question. Tout le monde y répond rapidement et facilement mais les faits comme l’observation semblent contrarier la logique naturelle de la réponse…
« Heidegger y montre que l’essence de la technique n’est pas seulement, comme le croyaient ses prestigieux auditeurs, la provocation envers la nature, sa « mise en demeure » comme l’a dit Pierre Boutang : elle accomplit aussi l’exil de la philosophie grecque hors de son sol natal, achevant ainsi le mouvement d’éloignement des origines que représente la métaphysique. C’est, au sens propre, l’Occident, le déclin de la pensée grecque, du seul moment philosophique de l’histoire humaine. A l’inquiétude soulevée par ce lent processus peut seul répondre un recours mystérieux à « ce qui nous sauve », au risque d’une transcendance sacrée, à ce que Heidegger appelle encore « la piété de la pensée » … (Jean Védrines, « Bernanos contre les robots », avril 1998).
Seulement voilà, un autre souci survient dans l’oligarchie technicienne amenant cet état de fait : « petite aristocratie d’ingénieurs et de policiers… grâce au contrôle de toutes les sources de production de l’énergie, à la fois du Travail et des travailleurs… ». Loin de rejeter la technique dont les apports amènent un confort appréciable dans nos vies, il s’agit de contrôler comme de maîtriser celle-ci afin de ne pas glisser dans une facilité nous détruisant à plus ou moins longue échéance. C’est avec intelligence qu’il faut gérer celle-ci et non glisser dans une dépendance qui aboutira immanquablement à « l’abrutissement » de l’homme. Que deviendra l’homme dans ce monde ? « Un robot vivant sur un petit bout d’âme atrophiée de robot au cœur d’insecte plus laborieux et plus féroce que les fourmis ». Cette technique augmente « monstrueusement son pouvoir », lorsqu’on transforme la planète en un : « gigantesque laboratoire, dans le but de faire servir à son confort, à son bien-être, à son avarice et à ses plaisirs des forces naturelles redoutables qui ne sont nullement à la dimension de l’homme mais à celle du colossal univers, on devrait comprendre qu’on s’expose à jouer le rôle du curieux qui circule à tâtons parmi les câbles d’une centrale d’énergie électrique sur la porte de laquelle est écrit en grosses lettres : « Danger de mort » ». C’est toute la différence avec le retour aux temps primitifs à la manière de Ghandi ou Lanza del Vasto. La technique fait partie de l’évolution de la société humaine, tout est dans la philosophie que l’on y met, comme des barrières de la conscience : « Que fuyez-vous donc ainsi ? », s’écrie Bernanos : « Hélas ! c’est vous que vous fuyez, chacun de vous se fuit lui-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau ». La société actuelle est guidée par un mondialisme inondant l’humanité de besoins fictifs suscités à force de publicités incitatives : « n’est qu’une colossale entreprise en vue de distraire à tout prix, par des inventions mécaniques, une humanité trop récemment amputée pour ne pas souffrir de l’organe qu’elle a perdu. Sa machinerie la distrait – distrahere – la distraction devenue nécessité la pousse à multiplier sa machinerie, cercle infernal que rien ne semble devoir rompre jusqu’à ce que soit définitivement tarie cette vie intérieure qui faisait de l’homme un animal religieux ». C’est le sens de notre éthique, retrouver ce fameux chemin perdu de l’élévation que nous avons quitté par confort, en prenant celui de la perte des âmes pour le matérialisme. Ce chemin, que Régine Pernoud par ses travaux sur le monde médiéval comme ceux de Marie Madeleine Martin dans « Les doctrines sociales en France », prit une autre direction, changeant la mentalité comme la spécificité de notre peuple, se détournant du monde invisible au profit du visible matérialiste. Les « ingrédients » qui y aidèrent furent, l’apport massif de l’or d’Amérique, la déconsidération des hommes (les Amérindiens…) comme l’esclavage, la Réforme religieuse qui modifia l’essence même du but dans la vie sur terre. Comme le disait Paul Valery dans une citation que nous reprenons souvent, tellement elle inspire notre espérance : « La véritable tradition n’est pas de refaire ce que les autres ont fait mais de trouver l’esprit qui a fait ces grandes choses et qui en ferait de toutes autres en d’autres temps ». Alors oui disons-le, la misère morale est liée à un défaut de croyance, le totalitarisme est une « maladie de l’homme dé spiritualisé, comme le goitre est une maladie de l’homme dévitaminisé ». Les valeurs disparaissent comme le beau, le bien au profit de l’utile, souvent laid car dépourvue de grâce comme de recherche de beauté. La civilisation est malade, l’homme y est réduit, années après années, au rang d’objet, numéroté, conditionné comme enrégimenté dirait Proudhon : « Être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C’est, sous prétexte d’utilité publique, et au nom de l’intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, « concussionné, » pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale ! ».
à suivre…F. PORETTI-Winkler (http://boutique-royaliste.fr)