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Europe : le temps joue pour le populisme 2/2

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Dans le Sud de l'Europe, l'Espagne n'a pas connu jusqu'ici de mouvements populistes les clivages gauche/droite et régionalistes/unitaires suffisent pour structurer le débat politique. Au Portugal, un « Parti national rénové » a entrepris de se positionner contre l'excès d'immigration (en reprenant les images de campagne de l’UDC suisse) sans qu'il soit encore possible d'apprécier quel succès il sera susceptible de remporter. En Grèce, l'Alarme orthodoxe (LAOS) a dépassé à deux reprises aux élections européennes de 2004 et aux élections législatives de 2007 le score de 4 %. En Grande-Bretagne, les faits majeurs sont l'émergence du Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), qui a atteint 16 % aux élections européennes de 2004, et la persistance du Parti national britannique (BNP) qui obtient régulièrement plus de 10 % des suffrages dans un certain nombre de circonscriptions et compte un élu au Conseil du grand Londres. Le BNP qui a réalisé en 2008, lors d'élections législatives partielles, des percées inquiétantes pour le parti travailliste, semble en mesure d'entrer au Parlement européen en juin 2009.

Le cas de l'Allemagne est bien évidemment à part. Les Republikaner qui avaient obtenu des sièges au Parlement européen en 1989 ont, comme toutes les formations réputées d’"extrême droite" été victimes de manipulations politiques, médiatiques et policières. Compte tenu de l'absence de vrai pluralisme en Allemagne fédérale, les courants dissidents semblent désormais s'exprimer à travers le Mouvement des citoyens libres, les Freie Wàhler, tenant d'un populisme paisible, à base d'enracinement local, de traditions folkloriques et de grande prudence verbale sur tout ce qui touche à l'immigration. Une liberté limitée donc mais qui a permis aux Freie Wàhler de rassembler 10 % des suffrages aux élections bavaroises de septembre 2008.

Un enracinement dans le temps

Ce rapide tour d'Europe montre que dans plusieurs pays ou quasi nations -, l'Autriche, la Flandre, en Italie du Nord, la Norvège, la Suisse, des formations populistes sont durablement installées entre 20 et 30 % des suffrages. Et ce malgré des embûches innombrables.

Dans d'autres pays et avec des scores susceptibles d'avoisiner les 15 % comme aux Pays-Bas et au Danemark -, les mouvements populistes sont en mesure de participer à des coalitions gouvernementales et même de peser sur leurs décisions en matière d'immigration.

Le populisme référendaire

Lorsque les peuples ont été consultés par référendum sur le projet d'Union européenne, ils ont souvent désavoué les élites politiques, médiatiques, économiques et syndicales :

- la Suisse et la Norvège ont refusé d'entrer dans l'Union européenne,

- la Suède et le Danemark ont refusé d'entrer dans l'euro,

- l’Irlande a obtenu des dérogations aux traités auxquels elle a fini par adhérer quoique le peuple les eût refusés dans un premier temps,

- la France et les Pays-Bas ont rejeté le traité constitutionnel européen,

- l’Irlande s'est prononcée contre la ratification du traité de Lisbonne.

Quant aux autres peuples, ils ont rarement été consultés directement...

7. Temps politique, temps historique

À travers la diversité de leurs orientations et de leurs méthodes, les mouvements populistes s'inscrivent tous en rupture avec les forces et les idées dominantes. Ils s'opposent aux puissants et à ceux qui servent les puissants. Une double dialectique se met alors en place :

- Du côté des pouvoirs, la stratégie de défense consiste à rechercher la marginalisation des populistes ou leur intégration au système à condition qu'ils abandonnent progressivement leurs thèmes forts.

- Du côté des partis populistes, la stratégie de conquête fait alterner affirmation sans concession des opinions dissidentes (au risque de camper dans une opposition stérile) et recherche de compromis pour tenter de peser sur l'exercice du pouvoir (au risque de s'affadir).

Ce dernier point est délicat car il ne peut guère y avoir de changements notables de politiques sans rupture réelle avec l'idéologie dominante : mondialiste, antiraciste, fiscaliste. L'impôt servant à imposer l'idéologie unique à travers des dépenses publiques mises au service du conformisme. Et c'est bien la profondeur des changements proposés par les populistes qui explique le tempo de leur progression vingt-cinq ans, pour la politique, c'est du temps long mais, pour l'histoire, c'est du temps court.

À titre de comparaison, il est intéressant de se pencher rétrospectivement sur le temps mis dans le passé par de grands courants idéologiques et politiques pour s'imposer. Ainsi la philosophie manchestérienne du libre échange a mis un demi-siècle à triompher en Grande-Bretagne avec la suppression des Corn Law en 1846 et de l'Acte de navigation en 1849. Et il lui fallut plus d'un siècle supplémentaire pour s'imposer au monde avec la création de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et la dérégulation financière. Jusqu'à la chute de Lehman Brothers.

Ainsi les courants nationaux et libéraux, étouffés par le retour du principe de légitimité au Congrès de Vienne en 1815, ne resurgirent au grand jour que trente ans plus tard lors des révolutions de 1848. Les mouvements nationaux mirent encore de longues années avant de déboucher ; si l'unité italienne se fit en 1860 et l'unité allemande en 1870, les pays d'Europe centrale et balkanique attendirent encore de longues années leur indépendance et l'Irlande ne devint un État souverain qu'en 1921.

Le socialisme se construisit intellectuellement dans la première moitié du XIXe siècle ; il n'accéda au pouvoir sous sa forme révolutionnaire qu'en 1917 en Russie ; en France, sous une forme réformiste, le cheminement ne fut pas plus rapide. Cabet, auteur du Voyage en Icarie, en 1842 ne put se faire élire à la Constituante en 1848 ; le premier député socialiste français fut élu en 1881 ; les socialistes gagnèrent ensuite 12 députés en 1885, 20 en 1889, 50 en 1893 ; lorsque Millerand, adepte de la conquête du pouvoir par la voie réformiste, entra au gouvernement en 1894, il fut désavoué et les socialistes durent attendre 1936 pour obtenir un président du Conseil.

Qu'ils soient libéraux, socialistes ou nationaux, tous ces mouvements qui, à un moment ou un autre, ont combattu l'ordre établi ont eu leurs héros et leurs victimes, leurs glorifiés et leurs persécutés, leurs réformistes et leurs révolutionnaires, leurs modérés et leurs extrémistes et, dans le langage de leurs adversaires ou de leurs rivaux, leurs "traîtres" et leurs "terroristes". Plus près de nous, le Wilsonisme, ancêtre du mondialisme contemporain, a mis près d'un siècle à s'imposer à la planète. Et le mouvement des droits civiques, matrice de l'antiracisme contemporain et de la discrimination positive, attendit quarante-cinq ans entre la proclamation, devant la Maison Blanche, du "rêve" de Martin Luther King et l'élection de Barack Obama comme président des États-Unis.

8. La crise économique : un accélérateur pour le populisme ?

La crise financière et économique que le monde traverse depuis le 15 septembre 2008, date de la faillite de Lehman Brothers, n'en est probablement qu'à ses débuts. Il s'agit en effet d'une crise due à des déséquilibres fondamentaux excès de crédit, excès de consommation, excès de création monétaire.

Ces déséquilibres touchent tous les pays développés : les États-Unis en premier lieu, bien sûr, mais aussi la Grande-Bretagne et beaucoup de pays de la zone euro. Ces déséquilibres sont la conséquence du libre-échangisme mondial : ce dogme idéologique est à la source de la baisse des revenus du travail pour les classes moyennes et les classes populaires dans les pays développés : il est aussi à l'origine des déséquilibres grandissants des balances des paiements courants, les importations l'emportant systématiquement sur les exportations.

Or la réponse apportée à la crise par les gouvernants plus de déficit public, plus de création monétaire va encore aggraver les déséquilibres. Et cette politique des puissants est approuvée par leurs prébendiers une quasi-unanimité règne dans les cénacles ministériels comme dans les salles de rédaction. Voilà de quoi légitimer encore un peu plus les discours populistes.

Dans la revue Krisis de février 2008, le sociologue Guy Hermet, observe que « les partis populistes sont […] en train de changer de nature. De transitoires et produits par une situation de crise passagère qu'ils étaient, ils deviennent permanents, parce que la crise de la mondialisation va durer des décennies. Cette normalisation relative s'est du reste déjà produite en Norvège et au Danemark. L'Italie en offre également un exemple ».

La politologue britannique Margaret Canovan distingue plusieurs formes d'expression du peuple à travers le populisme united people (le « peuple souverain »), common people (le « peuple classe »), ordinary people (le « peuple de base »), ethnic people (le « peuple nation »). Chacune de ces expressions du populisme peut trouver les moyens de se renforcer à travers la crise.

L’ordinary people, le « peuple de base », a toutes les raisons d'accroître sa défiance à l'égard des élites politiques, médiatiques et financières : élites qui n'ont pas vu venir la crise et qui la gèrent par l'agitation dans l’urgence et l'affolement. Attitudes qui ont peu de chance de permettre d'éviter la récession, la baisse des revenus et la montée du chômage. Ni sans doute un super krach monétaire.

Le common people, le « peuple classe », a, lui, des raisons de se révolter contre l’hiyperclasse mondiale dont il découvre les méfaits et les fantastiques avantages auto-octroyés. Dans le New York Times du 26 novembre 2006, l'homme le plus riche du monde, Warren Buffet, avait cyniquement déclaré « Il y a une guerre des classes, c'est un fait, mais c'est ma classe, la classe des riches, qui la mène et nous sommes en train de gagner la guerre. » La crise a mis sur le devant de la scène l'arrogance et l'irresponsabilité des plus riches, légitimant une réaction de méfiance de tous les autres.

L’united people, le « peuple souverain », n'a, lui, pas de raison d'accepter que les États-Unis d'Amérique, à l'origine de la crise, continuent de dicter leur loi au reste du monde. Il peut légitimement réclamer un retour vers un développement autocentré et un protectionnisme raisonnable à l'échelle de grands ensembles régionaux.

L'ethnic people, le « peuple nation », peut trouver dans la crise économique un argument supplémentaire - et décisif - contre une immigration qui peut se révéler nuisible en termes de comptes sociaux comme d'emplois.

Les élites ne le savent pas encore. Ou si elles le savent, elles feignent de l'ignorer mais la crise économique et financière met à mal le modèle mondialiste du libre-échange généralisé. Elle souligne les failles des choix des puissants et des discours qui les promeuvent. La sortie de crise ne pourra se faire que par un changement du référentiel idéologique. Et ce sont bien les populistes qui, malgré leurs faiblesses et leurs imperfections mais à travers leur diversité, portent en germe le modèle de rechange !

Jean-Yves LE GALLOU*

* Communication à la XXIVe université annuelle du Club de l'Horloge sur « Le populisme : une solution pour l'Europe en crise ». Jean-Yves Le Gallou est le créateur de la Fondation Polemia, <www.polemia.com> qui a notamment édité deux passionnants argumentaires, La Tyrannie médiatique (15 €) et Immigration : le leurre de l'intégration (20 €), en vente à Polemia, 60 ter rue Jean-Jacques Rousseau, 92500 Rueil-Malmaison.

Écrits de Paris N° 718 Mars 2009

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