Depuis un mois fleurissent les tribunes pour dénoncer communautarisme musulman : 100 intellectuels contre le « séparatisme musulman » des banlieues, 300 contre le « nouvel antisémitisme » islamique et 30 imams qui dénoncent le terrorisme.
Un pavé dans la mare de la bien-pensance ! C'est ce qu'auront réussi les signataires du Manifeste « contre le nouvel antisémitisme » publié dans Le Parisien le 21 avril. Philippe Val y est accompagné de plus de 250 autres signataires de l'« appel des 300 » : Sarkozy, Delanoë, trois anciens Premiers ministres, une flopée de ministres, artistes, journalistes, de droite et de gauche, tout l'establishment a signé.
Il faut dire que le texte a utilisé, sans calcul, l'arme absolue de l'antisémitisme pour briser le tabou de l'islam-religion-de-paix-et-d'amour, du PADAMALGAM et autres incantations rituelles à chaque attentat. L'appel a en quelque sorte surfé sur la vague de colère et d'indignation qu'ont suscitée les meurtres particulièrement horribles de Sarah Halimi et de Mireille Knoll, deux vieilles dames tuées par leurs voisins musulmans, à un an de distance, dans le XIe arrondissement de Paris.
Deux affaires qui ne sont que la face émergée d'un iceberg que dénonce l'appel des 300 : l'antisémitisme de plus en plus visible de musulmans, d'une part, des islamo-gauchistes, ripoliné en antisionistes pour mieux défendre les « minorités opprimées » d'autre part. Il faut noter la transgression du texte, sa volonté clairement exprimée de s'affranchir de la chape de plomb du politiquement correct et de l'islamophobie, rempart contre toutes les dérives islamiques.
Car pour le reste, hélas, le constat est connu : depuis des années, menacés, harcelés, agressés, les juifs quittent en nombre certaines banlieues, notamment en Seine-Saint-Denis : Bondy, Romainville, La Courneuve, communes où la communauté juive était traditionnellement présente, l'ont vue fondre à vue d'œil. L'appel dénonce ainsi une « épuration ethnique à bas bruit » : « 10 % des citoyens juifs d'Île-de-France - c'est-à-dire environ 50 000 personnes - ont récemment été contraints de déménager », s'insurgent les signataires.
Tout au plus, mais ce n'est pas son sujet, oublie-t-il au passage qu'avant les juifs, le phénomène a touché les Français ou étrangers chrétiens ou athées, dans l'indifférence générale. Dans un renouvellement permanent, ces banlieues voient chaque vague migratoire chasser la précédente : Espagnols et Portugais poussés dehors par les Maghrébins, eux-mêmes cherchant à déménager à l'arrivée massive de subsahariens, comme le rappelle le géographe Christophe Guilluy.
Résultat : ces zones sont en permanence, et de plus en plus, des foyers de non-intégration, de désintégration nationale et de recomposition communautaire sur des bases ethniques et religieuses.
Ijtihâd : fermeture des portes
Un brassage permanent qu'aucun plan de rénovation ne vient enrayer et que l'appel n'évoque pas. Pour lui, le mal est dans radicalisation islamiste, qui s'appuie sur certains versets du coran. Et c'est là que le texte dérape dans le fantasme : il suffirait que les versets appelant à la violence contre les non-musulmans « soient frappés d'obsolescence » par les autorités religieuses sunnites, qui représentent l'immense majorité des fidèles de Mahomet en France.
Or, le sunnisme est tout simplement dépourvu d'un clergé, à l'exemple de celui qui encadre le catholicisme, clergé qui aurait légitimité à mener une telle réforme. Aucun mufti, ouléma, docteur en fiqh (jurisprudence islamique) n'aurait autorité pour déclarer telle sourate abrogée par telle autre. Ceci est déterminé par la chronologie du coran, qui stipule que les dernières sourates, celles de la période mecquoise, prévalent sur les premières, en général plus tolérantes, de la période médinoise. Ainsi, la célèbre sourate 9, verset n° 5, « Tuez les polythéistes là où vous les trouvez », a-t-elle été révélée 1 an et 5 mois avant le décès du Prophète. Pour un bon musulman, ce verset est donc un verset abrogeant et non un verset abrogeable ou abrogé.
De toute façon, la période de l'interprétation philosophique, théologique et jurisprudentielle, des textes est révolue depuis le XIIe siècle, selon ce que les musulmans appellent la « fermeture des portes de Vijtihâd (interprétation) ». Si les musulmans se divisent sur la manière dont se sont fermées ces portes, ils sont encore moins clairs sur la manière de les rouvrir. Une opération d'autant plus difficile que veillent les tenants de l'école rigoriste hanbalite, dont sont issus les wahhabites d'Arabie Saoudite.
Ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas un groupe de 300 « kouffars » (mécréants), aussi éminents soient-ils, qui aura le passe-partout pour rouvrir.
Par ailleurs, on imagine mal un aréopage comme celui des « 300 » dicter aux chrétiens comment réécrire ou interpréter la Bible, ou même intimer l'ordre au Pape de mettre notre texte sacré en conformité avec l'air du temps.
Imams indignés
En tout cas, les imams qui ont réagi à ce texte ont immédiatement évacué la question. Au nombre de 30, la qualité remplaçant probablement la quantité, les « imams indignés » tentent de dédouaner l'islam comme ils peuvent, face à l'attaque des 300 : « le Coran lui-même appelle au meurtre ? Cette idée funeste est d'une violence inouïe. Elle laisserait entendre que le musulman ne peut être pacifique que s'il s'éloigne de sa religion. » Idée funeste ? Elle est vraie ou elle est fausse avant d'être funeste ou bénéfique. Qu'en est-il du verset de la sourate 9 que nous venons de citer ? N'est-ce pas un appel au meurtre ? Il est vrai que le débat n'est pas clos entre ceux qui estiment que les musulmans peuvent vivre à l'occidentale sans perdre leur religion et ceux qui croient qu'une telle option fait de mauvais musulmans, car ils s’éloignent du texte sacré. Force est de constater que ce sont ces derniers, sous la pression des salafistes et autres Frères musulmans, qui donnent actuellement le ton parmi leurs coreligionnaires. Il est intéressant de relever que le premier signataire de l'appel des 30, que l'on pourrait nommer l'appel des imams indignés, n’est autre que Tareq Oubrou, qui officie à Bordeaux et qui est l'un des fondateurs des Frères musulmans en France. Commentant son appel dans la presse, il explique qu'« attribuer l'antisémitisme à l'islam est presque un blasphème ». Tout est dit.
Mais les « 30 » vont plus loin dans leur non-réponse à la question brûlante posée par les « 300 », puisqu'ils ne parlent pas de l'antisémitisme, se concentrant sur le terrorisme. Ce faisant, ils évacuent les comportements ordinaires et donc gênants d'une bonne part de leurs fidèles et jettent l'opprobre sur les plus pressés, ceux qui veulent imposer l'islamisation par l'horreur. Ils sont certainement sincères dans ce rejet de la méthode islamiste, mais leurs objectifs sont-ils si différents de ceux des terroristes ? Disons qu'ils intègrent le facteur temps.
Quand l'immigration devient un parti
Ces deux tribunes contraires donnent occasion à une troisième contre le « séparatisme islamiste ». Signée le 20 mars dernier dans les colonnes du Figaro, elle a regroupé une centaine de signataires de tous bords politiques. Pas de débat théologique dans cet appel, c'est le communautarisme qui est ici en cause, notamment la ségrégation géographique sur des bases ethniques et/ou religieuses, bref, la « conquête politique et culturelle de l'islamisme ». Un simple appel à la reconquête des territoires perdus de la République ? Pas que.
À peine évoqués par les « 300 », ce sont ici les islamo-gauchistes qui en prennent pour leur grade : stratégie de victimisation, racisme anti-blancs, dévoiement de la laïcité au nom d'accommodements plus ou moins raisonnables, ce sont le CCIF ? et le PIR, respectivement Collectif contre l'islamophobie en France et Parti des indigènes de la République, qui sont épinglés pour leur complicité active avec l'islamisme.
Si le diagnostic est bien posé, il reste incomplet, car statique : en ne parlant que de la situation actuelle déjà tragique, il omet les dynamiques que supposent la natalité et l'immigration dans le renforcement de cette tendance. Des points que n'omettent pourtant pas les communautaristes de tout poil, islamistes ou compagnons de route, qui tous plaident pour des frontières ouvertes à tous les vents migratoires.
Richard Dalleau monde&vie 10 mai 2018 n°955