La doctrine sociale de l’Église s’appuie sur le principe de subsidiarité. C’est aussi vrai en matière de retraites.
L’actuel conflit autour du système de retraites fournit l'occasion de réfléchir à ce que pourrait être un système de retraites inspiré par la doctrine sociale de l'Église.
En remarque préliminaire, un tel système s'opposerait diamétralement aux conceptions développées par Jean-Paul Delevoye, notamment en matière de « gouvernance ». Dans les « préconisations » publiées au mois de juillet dernier, l'ex-haut-commissaire suggérait de créer une « Caisse nationale de retraite universelle » dont le « cadre du pilotage » serait « fixé par les lois financières adoptées par le gouvernement et votées par le Parlement ». Autrement dit, l'État contrôlerait un système de retraites encore plus centralisé qu'aujourd'hui.
De la subsidiarité…
La doctrine sociale de l'Église accorde au contraire une place centrale au principe de subsidiarité, qui favorise le « libre épanouissement des initiatives privées » et « conduit à donner la plus grande initiative possible aux sociétés de base, et [à] les mettre en état de se développer elles-mêmes plutôt que de se substituer à elles », écrivait le philosophe Marcel Clément dans un livre intitulé La doctrine sociale de l'Église est-elle applicable ?
En l'occurrence, ce n'est pas à l'État de gérer les retraites, mais aux « sociétés de base » constituées par les citoyens. À partir de ce principe, on peut envisager une organisation du système diamétralement opposée à celle de Delevoye et Macron. Au gigantesque système unificateur qu'ils envisagent, impossible à mettre en place en raison des différences inhérentes aux activités, déroulements de carrière, choix de vie et accidents de parcours, on préférera la création de caisses professionnelles, ou par branche d'activités. Chaque branche disposerait de son propre régime - différant notablement des actuels régimes spéciaux du secteur public, puisqu'ils seraient financés par les affiliés au régime et non par les contribuables.
La gestion de ces caisses devrait revenir à leurs propres affiliés. Il est anormal qu'aujourd'hui siègent aux conseils d'administration des régimes complémentaires des salariés du privé, par exemple, des syndicalistes affiliés à d'autres régimes. Il n'est d'ailleurs pas plus logique que cette gestion soit confiée aux organisations syndicales et patronales dites « représentatives ». Représentatives de quoi, quand le taux de syndicalisation n'atteint pas 6 % dans le secteur privé ? Les organisations syndicales - indispensables, mais qui auraient besoin d'être réformées -, devraient se recentrer sur la défense des intérêts des salariés. Au contraire, la gestion des retraites par de véritables représentants de leurs propres affiliés appellerait à la responsabilité.
à la capitalisation…
Une telle organisation se marie difficilement avec la répartition, outil qu'utilise l'Etat-Providence pour capter et redistribuer les cotisations, renforçant ainsi son pouvoir sur les retraités en situation d'obligés et incapables de rien contrôler. Elle ressortit à une logique de crédit : l'État me prélève aujourd'hui des sommes en échange d'un « droit » à venir (mais dont le montant n'est pas garanti, sauf dans les régimes du secteur public). Aujourd'hui, les pensions de retraite « pèsent » 325 milliards d'euros par an et représentent le quart (et le premier poste) de la dépense publique, alors que le budget de l'État est systématiquement déficitaire. Elles participent donc à creuser la dette publique.
Au contraire, la capitalisation, collective ou individuelle, est simplement une forme que prend l'épargne, découlant de la vertu de prévoyance. Il serait d'ailleurs envisageable d'exiger qu'une partie des réserves capitalisées par les caisses servent, par exemple, à financer les PME françaises.
Toutefois, la plupart de nos voisins ont opté pour un système mixte, répartition / capitalisation. Dans ce cas, l'État pourrait gérer un régime de base universel fonctionnant par répartition, les retraites complémentaires étant gérées par branches professionnelles, en capitalisation. Un tel schéma ne contredirait pas le principe de subsidiarité, selon lequel « il ne faut "assister" une communauté que lorsque l'on ne peut absolument pas l'aider à grandir par elle-même » (Marcel Clément). A ce titre, l'État serait fondé à financer (par l'impôt et au titre de la solidarité nationale) par exemple les pensions des mineurs de fond, dont le régime est en extinction (1 327 cotisants pour 241 130 pensionnés en 2019); ou à intervenir en cas d'accident sur une caisse - avec en contrepartie la mise en tutelle de celle-ci si cet accident découle d'une gestion irresponsable, comme cela se produit pour certaines municipalités.
Il ne s'agit ici, bien sûr, que de principes généraux. En matière de retraites, il faut toujours descendre au détail.
Hervé Bizien monde&vie 16 janvier 2020 n°981