Devant l'histoire, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, maître d'œuvre du procès de Jeanne d'Arc, est l'archétype du traître. Il est pourtant représentatif de l'Université de Paris, qui épousa le parti anglais pendant la guerre de Cent ans.
Le pape Martin V salua chez lui « l'honnêteté des mœurs, la prudence des affaires spirituelles et l'habileté dans les temporelles. » Il faut dire que l'évêque Pierre Cauchon n'avait point démérité, puisqu'il joua un rôle décisif dans l'obligation pour les clercs du royaume de payer une double décime, c'est-à-dire un double impôt au roi et au pape… Ce n'est pas la moindre des qualités de la biographie de Jean Favier que de resituer en son temps celui qui reste dans notre tradition nationale comme le traître absolu, le responsable du bûcher de Rouen en l'année 1431…
Il existe deux moyens d'écrire une biographie la première, la plus répandue, consiste à raconter la vie d'un personnage en commençant, dès les premières pages, par l'origine de ses parents ainsi que par sa naissance. Le livre se termine généralement par la mort, éventuellement l'héritage ou l'influence… L'autre méthode vise à décrire une époque dans laquelle s'inscrit la vie d'un homme ou d'une femme. Le plus souvent, cette méthode relativise le rôle du héros ou du maudit, selon les cas. Jean Favier a opté pour cette deuxième solution, si bien que sa biographie consacrée à Pierre Cauchon est avant tout une description de la vie universitaire parisienne et de cette époque troublée, marquée à la fois par les séquelles du Grand schisme d'Occident et, surtout, par les affrontements politiques entre France et Angleterre, Armagnacs et Bourguignons.
« Plus que les autres mais comme eux, l'évêque de Beauvais émerge en 1431 du néant, ce qui laisserait penser que les Anglais ont sorti de leur boîte à malices un homme de paille qui n'attendait que cette occasion pour exister. » Rien n'est évidemment plus faux que cette sentence. Sans juger l'homme, l'historien médiéviste redonne à Pierre Cauchon sa place dans l'histoire d'un royaume à deux têtes et d'une chrétienté elle-même divisée entre Grégoire XII et Benoît XIII. Favier décrit ainsi sa mission pour la paix des papes en 1407; sa participation en 1413 aux États-Généraux qui visent à réorganiser un royaume exsangue; son rôle au sein d'une délégation au Concile de Constance accouchant de la fin du Grand schisme d'Occident et de l’élection de Martin V. On sait moins que l'évêque participa au fameux traité de Troyes de 1420 et à la trahison d'Isabeau de Bavière… Les représentants de l'Université étaient les conseillers des princes qui, dans cette période de trouble et de désordres, avaient besoin d'un avis éclairé. Pour Cauchon, tout allait au fond pour le mieux : en cette époque de décadence, il souhaitait rétablir l’ordre et avait pris le parti des Bourguignons et du duc de Bedford. Mais tout devint plus compliqué le jour où Jeanne prit Orléans, au mois d'avril 1429 Cauchon est touché de plein fouet par l’entreprise « nationale » de cette jeune fille qui se dit envoyée de Dieu. L'anecdote retiendra qu'au moment où Jeanne entre à Orléans, Cauchon, lui, est à Reims, où quelques semaines plus tard Charles VII sera couronné et sacré…
Médiocre théologien, juriste de petite envergure, Cauchon est meilleur diplomate, assez fin pour se poser la question du jugement thomiste : si Jeanne a raison, il sait qu'il est dans l’erreur et donc en état de péché depuis trente ans. Sinon, Jeanne est hérétique. L'arbre tombe du côté où il penche : Cauchon se joue du droit, fait des compromis de bas étage entre l'Université et l'inquisition pour monter un procès joué d'avance : « Il est difficile de dire à quel titre il intervient, mué qu'il apparaît en représentant d'une Université où il n'est ni docteur ni régent et où il n est plus depuis longtemps recteur. »
Tout, dans ce procès, fut inédit : jamais un prisonnier de guerre n'avait été jugé le la sorte; jamais un roi n'avait payé un inquisiteur pour juger une hérétique; quant au fait de « Venir de Dieu », « cela n’est condamné, ni par un canon conciliaire ni par une décrétale. »… Au fond, le grand absent du procès est paradoxalement ce conflit qui oppose Charles VII et Jean de Lancastre. Pierre Cauchon possède une place centrale dans le conseil royal de ce dernier : de fait, « Cauchon n'est pas, comme on l’a trop souvent montré, l'homme de paille que l’Anglais a chargé de la besogne. Cette besogne et cette procédure, il les a construites. C'est dire que les jeux sont faits. »
Jean Favier, Pierre Cauchon, Comment on devient le juge de Jeanne d'Arc, Fayard, 725 pages, 27 €
Pierre mathieu monde&vie 11 décembre 2010 n° 836