La Révolution est un bloc, disait Clemenceau. La contre-révolution, en revanche, n'en est pas un. Et ses premiers tenants, adversaires de l'absolutisme, placèrent d'abord leurs espoirs dans le début du mouvement de 89.
Dans les études historiques contemporaines, la contre-révolution a souvent été considérée et analysée comme un bloc sans distinction ni nuance : la pensée aristocratique des premiers mois de la Révolution, la politique des émigrés, la résistance vendéenne, les Maistre et autre Burke… Tous ces groupes et personnalités, aux dires des mandarins de l'Université, n'auraient formé qu'un seul ensemble caractérisé par leur opposition résolue au mouvement révolutionnaire. Or, rien n'est plus fausse que cette idée qui, comme souvent en histoire, révèle encore la promptitude des jugements hâtifs et une tendance exagérée à la simplification. Le dernier livre de Jacques de Saint-Victor, consacré à la première contre-révolution, est aussi là pour nous en convaincre.
Ils étaient quelque trois cents députés, élus de leur province, aristocrates opposés, non pas au roi, mais à la dérive de la monarchie absolue.
Leur objectif avait une part d'utopie : ils souhaitaient renouer avec l'antique et mythique constitution de la France, trahie par le « centralisme » des rois. Ces aristocrates noirs, comme on les appelait, souhaitaient moins créer que restaurer l'ordre féodal sorti des forêts de Germanie et dont l'idée s'est développée tout au long du XVIIIe siècle à travers la redécouverte des études historiques : « Pour les députés aristocrates, il ne fait aucun doute que les Capétiens s'appuyèrent sur le Clergé, le droit romain, le savoir latin des clercs puis les velléités d'indépendance des Communes et du Tiers pour "altérer" l'antique constitution qui limitait leur pouvoir. » Leur projet de monarchie mixte voulait rétablir un équilibre entre le roi, les aristocrates mais aussi le peuple.
Pour cette raison, en octobre 1789, ils ne s'opposèrent guère au changement de titulature, le passage du « roi de France » au « roi des Français », car c'était là un moyen d'affirmer les droits de la nation. Ce fut aussi un moyen d'affirmer que le roi ne possédait pas son pouvoir d'en haut, c'est-à-dire de Dieu, en une époque où l'idée de monarchie de droit divin était largement contestée. Et s'il ne vient pas d'en haut, le pouvoir vient d'en bas. Toute l'ambiguïté du discours de cette contre-révolution tient dans cette idée ni réactionnaire, ni révolutionnaire.
« L'opposition aristocrate propose la voie non révolutionnaire d'une réforme libérale de la monarchie absolue ou plutôt une révolution politique "à rebours", semblable à la démarche du parlement anglais de 1689 », écrit Saint-Victor. Une forme de restauration conservatrice, car il existe dans cette pensée bien des éléments conservateurs, comme le maintien de la fameuse division de la société en trois ordres.
L erreur de ces hommes et de beaucoup de clercs est de ne pas avoir vu l'extraordinaire machine révolutionnaire fauchant tout sur son passage, selon le principe du pur qui trouve un plus pur qui l'épure… La fracture est nette avec la constitution civile du clergé, qui sépare les aristocrates du projet révolutionnaire des premiers mois. Le mérite de Saint-Victor est de s'être plongé dans les archives du Vatican afin de mieux comprendre cette question épineuse, qui, pour l'auteur, aurait dû se régler politiquement par un accord entre le pape et les autorités comme le fit bien plus tard Napoléon. C'est ici peut-être la limite de ce livre qui ne prend pas assez en considération les conséquences du mouvement révolutionnaire, à la fois schismatique et hérétique. L'ouvrage n'en reste pas moins extrêmement instructif et éclairant.
Christophe Mahieu monde&vie 23 avril 2011 n°842
Jacques de Saint-Victor, La première contre-révolution (1789-1791). coll.Fondements politiques.
Édition Presses Universitaires de France, 798p, 30€