Alésia, connaît pas ? Nul ne pourra plus le prétendre après avoir lu le livre que Yann Le Bohec a consacré à cette bataille célèbre, après laquelle nos ancêtres les Gaulois devinrent peu à peu gallo-romains.
Encore Alésia !… N'a-t-on pas déjà tout dit sur la fameuse bataille de ce début du mois d'octobre 1952 avant J.-C, qui opposa le chef arverne Vercingétorix aux armées romaines de César ? Il semble que non et le spécialiste de l'Antiquité Yann Le Bohec vient nous le prouver dans un admirable petit livre publié dans la collection L'Histoire en batailles des éditions Tallandier.
Dans un premier temps, l'historien prend en compte les derniers résultats des recherches archéologiques réalisées dans les années 1990 sur le Mont Auxois, résultats qui ont bouleversés une historiographie tributaire le plus souvent d'éléments datant de l'époque du Second Empire ! Depuis, bien évidemment, la recherche a progressé. À ce titre, l'Académie des Inscriptions et des Belles Lettres a réalisé récemment un énorme travail(1) salué par Le Bohec, mais dont l'épaisseur (plus de mille pages), en découragera beaucoup.
Spécialiste d'histoire militaire(2) Le Bohec réhabilite aussi l'histoire bataille, un genre complètement délaissé pendant des décennies par l'histoire marxiste. La particularité de son étude réside non seulement dans la prise en compte, somme toute traditionnelle, de la décision des autorités militaires et politiques, mais aussi dans la connaissance du simple soldat dont le rôle fut naturellement décisif. L’auteur rouvre et relit par ailleurs la fameuse Guerre des Gaules de César, en rappelant néanmoins que ce texte reste avant tout une écriture de propagande visant à entretenir la gloire et mettre en valeur l'action du conquérant romain.
Déjà le syndrome du gendarme
L’avantage de cet ouvrage est enfin de sortir d'une controverse, celle de la localisation des événements. Pendant longtemps, l'historiographie s'est trop attaché à savoir où avait eu lieu cette bataille fondatrice de la romanité en Gaule. Autre aspect largement étudié pendant trop longtemps, les techniques de siège ont, elles aussi, accaparé les chercheurs au point d'en oublier l'essentiel. Bref, Le Bohec, non sans humour, fuit la spécialisation afin de revenir au principal la bataille en elle-même, des origines du conflit aux conséquences de la victoire de César.
Ce n'est pas le moindre avantage de ce livre que de nous présenter les ressorts psychologiques qui présidèrent au conflit entre le chef gaulois et le proconsul romain. Il faut rappeler que les Gaulois avaient laissé un mauvais souvenir au peuple romain des origines. Dans les mémoires, les Gaules étaient synonymes de pillage et de misère. Ces peuples du Nord étaient, en quelque sorte, des « ennemis héréditaires. » Les hommes de l'époque, explique Le Bohec, « se trouvaient aussi pris dans un monde où le choix était simple, obéir ou commander on devine ce que préféraient les Romains. Par ailleurs, la guerre résulte d'un enchaînement après une conquête, une autre conquête, puis une autre, et ainsi de suite. Enfin, Rome dominait une grande partie du monde de son temps, et en avait conçu une attitude qui découlait de cette position le Sénat se sentait responsable de l'ordre du monde, c'est-à-dire du monde méditerranéen c 'était le syndrome du gendarme. » À l'heure des élections américaines, nous ne saurions que trop recommander la lecture de cet ouvrage…
1). M. Reddé & S.Von Schnurbein dir., Alésia. Fouille et recherches franco-allemandes sur les travaux militaires romains autour du Mont-Auxois (1991-1997). Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,! XXII, 3 vol., De Boccard,Paris,2001
2). Cf. notamment, du même auteur, L'armée romaine dans la Tourmente, aux éditions du Rocher consacré à la crise militaire du IIIe siècle.
Yann Le Bohec, Alésia, 52 avant J.-C., coll. L'Histoire en batailles, Editions Tallandier 221 p.
Christophe Mahieu monde&vie 10 novembre 2012 n°867