La gauche vient de perdre l'un de ses « héros » historiques, qui trahit le pays qui l'avait accueilli. Retour sur le parcours pas très clair du militant communiste Henri Alleg.
La gauche française est en deuil. Le 17 juillet est mort un citoyen modèle, auquel le président de la République, François Hollande, s'est empressé de rendre hommage dès le lendemain : « J'apprends la disparition de Henri Alleg. Son livre, La Question, publié en 1958 aux éditions de Minuit, alerta notre pays sur la réalité de la torture en Algérie. Toute sa vie, Henri Alleg lutta pour que la vérité soit dite. À travers l'ensemble de son œuvre - jusqu’à son dernier livre, Mémoire algérienne, paru en 2005 - il s'affirma comme un anticolonialiste ardent. Il fut un grand journaliste, d'abord à Alger Républicain, dont il assura la direction; puis à L'Humanité, dont il fut le secrétaire général et auquel il collabora jusqu’en 1980. Henri Alleg est constamment resté fidèle à ses principes et à ses convictions. » Fermez le ban !
La presse de gauche n’est pas non plus avare de louanges. L'un des meilleurs morceaux choisis des éloges funèbres publiées ces derniers jours a été mis en ligne sur le site Internet du journal Le Monde, signé de Charles Silvestre, ancien rédacteur en chef de l'Humanité, qui dresse le panégyrique du cher défunt. On y relève quelques informations, ou confirmations, que nous soulignerons.
Henri Alleg, de son vrai nom Harry Salem, est né en 1921 à Londres, de parents juifs russo-polonais, ce qui permet à Silvestre d'écrire qu'il était « un melting-pot à lui tout seul. britannique par sa naissance, il sera français par choix quand sa famille s'installe au nord de Paris, puis algérien par adoption après l'indépendance de 1962 ».
Il n'est pourtant pas complètement apatride, puisque ce Russo-Polonais d'origine adhère au Parti communiste, plus russe que français.
« L’envie de bourlinguer le saisit en 1939 au moment où débute la seconde guerre mondiale. Il songe à l'Amérique mais débarque à Alger », poursuit Silvestre. Cette « envie de bourlinguer » tombe à point nommé pour lui éviter de se battre contre les armées du IIIe Reich, comme le font alors des milliers de jeunes Français de son âge. Il est vrai qu'à l'époque, le pacte germano-soviétique ayant été signé le 23 août 1939 entre l'Allemagne de Hitler et l'URSS de Staline, ses amis du Parti communiste n'encouragent pas encore la lutte contre les nazis et refusent la « guerre impérialiste ». Maurice Thorez lui-même, Secrétaire général du PCF, donne à ses « troupes » l'exemple de la désertion.
À Alger, Alleg fait ses preuves et devient, en 1951, directeur du quotidien Alger républicain, un organe du Parti communiste algérien (PCA). En 1954, dès les débuts de la guerre d'Algérie, les communistes aident la rébellion. En 1955, sous le gouvernement d'Edgar Faure, le PCA est très logiquement dissous, Alger républicain interdit et Alleg « plonge dans la clandestinité », comme l'écrit Silvestre; une « clandestinité » cependant assez confortable pour lui permettre de continuer à envoyer des articles à L'Humanité, qui continue de paraître librement en France.
Torture ou paire de gifles ?
Le tournant dans la vie de Salem/Alleg, qui va faire de lui un « héros », a lieu deux ans plus tard, pendant la bataille d'Alger, gagnée par les parachutistes de la 10e division aéroportée contre les terroristes du FLN, dont les attentats aveugles ensanglantent Alger avec l'active complicité des militants du PCA. Au nombre de ces derniers figure un assistant de mathématiques à l'université d'Alger, Maurice Audin, que les paras arrêtent en juin 1957. Le lendemain, 12 juin, (à cette date, le Garde des Sceaux s'appelait encore François Mitterrand…), Alleg tombe dans la souricière tendue par les soldats au domicile du mathématicien.
Selon l'Armée, Audin se serait tué en tentant de s'évader; tandis que selon les communistes, il serait mort sous la torture. Alleg y est lui-même soumis - du moins le prétend-il - et racontera les sévices qu'il aurait subis dans un livre promis à devenir une arme de propagande efficace aux mains du FLN et de ses amis en France : La Question, publié en 1958. (Il n'y pousse pas le scrupule de conscience jusqu'à dénoncer les tortures abominables pratiquées par ses amis du FLN pour soumettre à sa loi les populations…)
À partir du récit de l'intéressé, Charles Silvestre l'évoque « recroquevillé contre le mur, à moitié groggy. Le para a fait le "boulot" gégène, étouffement par l'eau, brûlures… (…) Il répond calmement : "Vous pouvez revenir avec votre magnéto [générateur d'électricité], je vous attends je n’ai pas peur de vous." » Même pas peur !
La version des militaires est sensiblement différente. À en croire le général Massu, « en fait de tortures, Alleg a reçu une paire de gifles ». Et le commandant Roger Faulques, officier de renseignement du 1er régiment étranger de parachutistes pendant la bataille d'Alger, a affirmé : « Je ne l’ai vu qu'une seule fois, mais il m’a fourni à cette occasion des indications qui m’ont permis d'arrêter les membres du parti communiste algérien. »
Après l'indépendance, Salem/Alleg choisit de demeurer en Algérie, mais y reste à peine trois ans. Un article paru dans Alger républicain en avril 2011 rapporte qu'il quitta le pays en 1965 parce que le PCA lui avait « confié la mission de participer à l’extérieur au rassemblement des forces démocratiques pour soutenir le combat du peuple Algérien vers le progrès et le socialisme ». À en croire Silvestre, il rentra en France en 1965 après une interdiction de paraître qui frappa Alger républicain sous Boumediene…
Charles Silvestre souligne encore que le grand honnête homme « était resté longtemps, en dépit de tout, solidaire des pays socialistes » - « en dépit », par exemple, du Goulag ? - et qu'« en désaccord sur ce plan avec le Parti communiste français, il n’avait pas aimé non plus les "dérives social-démocrates" qui, à ses yeux, dénaturaient le marxisme ».
À quand la panthéonisation de ce véritable héros de gauche ?
Hervé Bizien monde&vie 30 juillet 2013 n°879