Par la rédaction de Front populaire
133 000 personnes ont manifesté aujourd’hui dans tout le pays contre la loi dite de « sécurité globale ». Dans le viseur des opposants, l’article 24 notamment, pénalisant la diffusion de l’image du visage d'un policier ou d'un gendarme en intervention. A Paris, comme il fallait s’y attendre, la manifestation a dégénéré.
Le syndicat de police alliance avait prévenu ce samedi qu’il y aurait de la casse, jugeant « irresponsable » le niveau de sécurisation de la manifestation parisienne contre la proposition de loi dite de « sécurité globale ». « Mobiliser 2000 membres des forces de l'ordre pour sécuriser une telle manifestation où l'on attend environ 40.000 personnes, c'est irresponsable pour la sécurité des manifestants et pour celle des policiers », jugeait ce matin Frédéric Lagache, son délégué général, avant d’expliquer que « les autorités s'attendaient à des infiltrations de gilets jaunes radicaux, voire des black blocs lors de cette manifestation à haut risque prévue de République à Bastille ».
Pas besoin d’être grand clerc effectivement pour imaginer ce qui allait se passer aujourd’hui : la manifestation parisienne a effectivement dégénéré en fin de journée et de cortège du côté de la place de la Bastille. La préfecture de police a dénombré 23 policiers blessés dans ses rangs, auxquels s’ajoutent 14 blessés chez les gendarmes et un total de 46 interpellations chez les manifestants parisiens en fin de soirée pour faits de violence, dégradations ou port d’armes prohibé. Comment aurait-il pu en être autrement, dans un contexte social extrêmement tendu en France ces derniers mois, voire dernières années si l’on pense à la colère des Gilets jaunes ?
46 000 personnes ont donc défilé à Paris selon le ministère de l’Intérieur. Partout en France, des manifestations ont eu lieu, dans environ soixante-dix villes. Au total, toujours selon l’Intérieur, 133 000 personnes ont battu le pavé ce samedi en France. Pour les participants, il s’agissait de contester la proposition de loi dite de « sécurité globale ». Dans le viseur des opposants : trois articles principalement. L’article 21 sur la transmission en direct d’images des caméras de policiers au poste de commandement du service concerné et leur exploitation, l’article 22 sur la généralisation de la surveillance par drones et le désormais fameux article 24 prévoyant la possibilité de pénaliser d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende la diffusion de « l'image du visage ou tout autre élément d'identification » d'un policier ou d'un gendarme en intervention, si l'intention du diffuseur est jugée malveillante (notamment sur les réseaux sociaux).
Cet article cristallise toutes les oppositions au projet de loi, qui intervient dans un contexte de forte remise en question de l‘usage de la force par les forces de l’ordre que beaucoup estiment de plus en plus disproportionné dans l’hexagone. Il intervient aussi dans un contexte de violences policières décriées, dont certaines images ont récemment fait le tour des réseaux : le passage à tabac par trois fonctionnaires de police de Michel Zecler, un producteur noir de musique à Paris.
L’opposition à la loi de sécurité globale ne vient pas que d’associations ou partis classés à gauche, ou dits « progressistes ». Dans le camp souverainiste, des voix s’élèvent également. Anne-Sophie Chazaud, qui s’exprime régulièrement dans nos colonnes est montée au créneau. Partant du passage à tabac du producteur de musique, elle note sur sa page Facebook : « ces images sont de fait absolument inadmissibles et témoignent de ce que je dénonce, au risque souvent d’un désaccord réprobateur et moralisateur sur ma droite, comme étant la dérive de notre police nationale notamment depuis l’arrivée au pouvoir de la macronie ».
Elle poursuit : « je rappelle que j’ai immédiatement et sans la moindre hésitation attiré l’attention sur les dangers liberticides intolérables (mais également démagogiques en direction d’une droite suffisamment stupide pour ne pas comprendre l’usage politique que le pouvoir pourrait ensuite en faire contre elle-même) du fameux article 24 de la loi félonne dite de « sécurité globale ».
Et l’essayiste de conclure : « Je ne crois pas en la thèse indigéniste stupide d’un racisme systémique au sein de nos forces de l’ordre. Je maintiens en revanche que notre police, autrefois si républicaine et dont on nous enviait dans le monde entier le savoir-faire en matière de maintien de l’ordre, a été méthodiquement dé-républicanisée (…) par des mois de gestion violente, répressive et sanguinaire de l’opposition sociale et politique ». Peut-être est-ce d’ailleurs pour cette raison que le préfet de police de Paris, Didier Lallement, avait demandé avant la manifestation à ses policiers de « tenir la ligne républicaine ».
Illustration supplémentaire du malaise : l’hallucinant feuilleton autour du vote de l’article 24 à l’Assemblée nationale. Au sein même de la majorité présidentielle : seuls 103 députés LREM sur 271 ont voté pour. Et alors que le vote est passé, le Premier ministre propose la création d’une « commission indépendante » pour faire évoluer l’article 24. Résultat : colère de plusieurs parlementaires, dont celle du président de l'Assemblée nationale lui-même, Richard Ferrand (LREM). Dans Le Figaro, la présidente déléguée du groupe LREM à l'Assemblée, Aurore Bergé, s'irrite également : « Le Parlement et la majorité parlementaire ne sont pas des paillassons sur lesquels on s'essuie. Nous serons condamnés à suivre l'avis de cette commission qui s'imposera à nous immédiatement. »
Le premier ministre a depuis tenté de rassurer en expliquant que cette commission n’avait pas vocation à faire le travail du Parlement, mais qu’elle devait servir à « nourrir la réflexion » du gouvernement.
A moins d’un an et demi de l’échéance présidentielle de 2022, il est intéressant d’observer que la question sécuritaire divise la macronie. Pour autant, le président de la République semble quant à lui droit dans ses bottes, manifestement prêt à assumer ce qui ressemble à une dérive autoritaire du pouvoir. Car comme le rappelle Anne-Sophie Chazaud : « Emmanuel Macron, aujourd’hui si choqué parce qu’un jeune homme (…), issu de la diversité, subit cette violence que l’on nous a vendue pendant des mois comme étant légitime, n’a jamais eu un mot ni éprouvé le moindre choc face à tous les Gilets jaunes éborgnés, estropiés, violentés de manière souvent arbitraire et abjecte ».
Source : site de Front populaire