La disparition du troisième président de la Ve République est un événement à deux faces. La mort d’un homme qui a joué un rôle important dans l’histoire de notre pays, un homme dont la dignité personnelle et l’intégrité morale étaient à la hauteur de la fonction malgré les attaques d’une rare bassesse qui ont cherché à l’atteindre, un homme qui avait une famille et des amis dont il faut saluer aujourd’hui la douleur, cette mort mérite le plus grand respect. Valery Giscard d’Estaing était un homme politique. Il est donc nécessaire de formuler un jugement sur le bilan de son action, et celui-ci ne peut être que sévère. Le troisième président est la première marche de la descente aux enfers de notre pays. Son mandat présente déjà tous les symptômes de la gouvernance suicidaire que subit la France depuis 1974.
Avec une arrogance sans mesure, une fois élu, le nouveau président avait osé parler d’une ère nouvelle, proclamé le changement et le rajeunissement de la France. Qui ne comprenait alors que la page qu’il fallait tourner, celle du conservatisme et de la vieillesse, c’était celle du gaullisme ? Pour celui qui avait été ministre du Général, puis de Georges Pompidou, cette déclaration relevait à la fois de l’ingratitude et de la présomption. Le progrès faisait son entrée comme rengaine de la politique française : chacun des successeurs ira de son changement, et de son rajeunissement, même Mitterrand avec un toupet à la hauteur du personnage. Il y a quelque raison de penser que le mot “progrès” est dans notre pays le synonyme-écran de décadence. Le brillant ministre des finances, polytechnicien et énarque, et bien sûr inspecteur des finances, incarna à la perfection ces hauts fonctionnaires devenus politiciens de profession, bardés de diplômes et de certitudes, qui commettent avec la plus parfaite assurance les pires bourdes dans la gestion de notre pays. C’est ainsi que son “plan de stabilisation”, lancé en septembre 1963, contribua à dégrader le climat social du pays et à favoriser la montée de la gauche. De même, son emprunt de 1973, imité de celui d’Antoine Pinay, fut une ruine pour le Trésor français. Non seulement son taux d’intérêt, soit 7 %, dépassait tout entendement, mais l’emprunt vit sa valeur croître à cause de la dévaluation du franc et de la croissance du prix de l’or. Finalement, pour 6,5 milliards de francs empruntés pour quinze ans, l’État français dut rembourser plus de 90 milliards de francs ! Il faut malheureusement dater de sa présidence, le déficit chronique des finances publiques, et l’augmentation continue des prélèvements obligatoires ( de 33% à 39,5% du PIB ) évidemment aggravés par l’accession de la gauche au pouvoir qui, après lui, prétendit faire passer notre pays de l’ombre à la lumière.
Faute en effet d’avoir répondu aux exigences économiques et sociales du pays, Giscard inaugura la mauvaise habitude de compenser dans le domaine sociétal. Il facilitera le divorce et dépénalisera l’avortement. La loi Veil sur l’avortement sera votée grâce aux députés de gauche, et lui fera perdre 300 000 à 400 000 voix qu’il ne retrouva jamais. C’est également de son septennat que date le regroupement familial pour les immigrés. Conscient du problème posé par l’immigration dans un contexte alarmant pour l’emploi, il limite alors l’immigration de travail, mais l’assouplit de manière absurde pour favoriser la vie de famille. Il tentera de revenir sur cette décision malheureuse qu’il disait encore récemment regretter. Mais le Conseil d’Etat consacrera le droit au regroupement familial, le . Par ailleurs, cette mesure s’inscrit parfaitement dans la doxa idéologique de l’Union Européenne dont Giscard fut le chantre jusqu’à la rédaction du projet de constitution que les Français rejetèrent. En somme, si l’on ajoute le regroupement familial à l’avortement, et qu’on couronne le tout par une Europe fédérale, on a la recette de la disparition de notre nation : merci Giscard !
Il a été le premier de ces hommes politiques élus à droite et qui s’empressent de reconnaître la supériorité intellectuelle et morale de la gauche, en raison d’un surprenant complexe, et aussi le premier de ceux dont l’ambition trouve décidément la France trop étroite à leur goût. Le glissement de Chirac vers la gauche, et ses mandats émasculés, l’ouverture plus surprenante de Sarkozy à gauche, cette sorte de loi implicite du cliquet qui veut que la gauche annule les réformes “de droite”, mais la prétendue droite jamais celles de gauche sont dans l’esprit giscardien. La volonté de moderniser le pays, et celle de le noyer dans l’Europe sont plus que jamais présentes avec l’inspecteur des finances qui occupe actuellement l’Elysée. Ce dernier ne manquera pas de lui rendre hommage dans l’espoir de fidéliser l’électorat louis-philippard qui est leur point de jonction. Giscard d’Estaing est le premier degré de la chute, de l’effacement encore limité de notre pays. Ses successeurs précipiteront le mouvement à partir de 1981.
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