Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste, revient dans Marianne sur les conséquences pour l’Éducation nationale des réformes de Giscard :
[…] Giscard a pris pour ministre de l’Éducation René Haby. C’était l’ancien DGESCO (direction générale de l’enseignement scolaire) des années 1960 — il faisait partie de cette bande de libéraux atlantistes et pan-européanistes qui comme Giscard lui-même ont miné la politique gaullienne — et fait échouer le référendum de 1969.
Le DGESCO, c’est le bras armé du ministre de l’Éducation — surtout quand le ministre n’y connaît rien, comme Pierre Sudreau, nommé rue de Grenelle en 1962. C’est durant ces années-là que René Haby commence à s’illustrer, en décidant, via une pseudo-commission, que le français étudié en classe serait dorénavant celui qui se parle, et non celui qui s’écrit. Le modernisme est plein de ces sortes de pièges. Il fallait pourtant être sérieusement crétin pour ignorer que le français, justement, est par essence une langue écrite — « le bon usage écrivait Vaugelas, est la langue qui se parle dans la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps ». Le français est une langue difficile : supprimez-en la difficulté, les règles complexes, les niveaux de langue, et vous aurez le baragouin actuel. De cette décision fondatrice de René Haby résultent les désordres linguistiques contemporains — et la promotion d’Aya Nakamura en ambassadrice du beau style…
C’est donc cet honnête destructeur de la maison France que Giscard choisit comme ministre de l’Éducation à son entrée en fonction. Et Haby ne chôme pas : le 11 juillet 1975 (les mauvais coups législatifs se portent toujours pendant l’été), il décrète le « collège unique ».
Petit rappel pour ceux qui n’y étaient pas. Dès la fin du Primaire, vous étiez distribués en diverses sections — depuis les CCPN où étaient casés les élèves en grande difficulté, les CPA qui orientaient précocement vers les métiers manuels, les collèges à filière courte et sans latin, les lycées enfin. C’est cette distinction, qui faisait sens, pédagogiquement parlant — d’autant que des passerelles existaient qui permettaient de passer dans une filière ou une autre —, que Haby fait sauter.
Au grand dam des syndicats de l’époque. La toute-puissante Fédération de l’Éducation Nationale se dresse sur ses ergots. Il y a dans ses rangs essentiellement des gens de gauche ; mais formés dans les années 1940-1950, ils savent bien qu’un brassage général descendra impitoyablement le niveau, puisque les professeurs seront forcés de s’aligner, en classe, sur les plus faibles.
Cela ne suffisait pas à nos mondialistes libéraux. Au mois d’avril suivant, ils décrètent le regroupement familial : les immigrés qui travaillaient en France depuis les années 1960 ont donc le droit de faire entrer en masse leurs familles restées de l’autre côté de la Méditerranée — l’Algérie principalement.
La combinaison soudaine de ces deux phénomènes, en irriguant le champ scolaire avec des gosses qui parlaient un français très approximatif, et en les mêlant à des petits Français de niveaux fort hétérogènes, a donné le désastre que l’on sait.
Les pédagogistes, cantonnés jusqu’alors dans des revues confidentielles, se sont sentis pousser des ailes. Justifiés. Ils ont imposé peu à peu des méthodes « démocratiques » d’apprentissage du lire / écrire. Fin du B-A-BA, et irruption des méthodes semi-globales. À proprement parler, il s’agit de la méthode idéo-visuelle : un arbre, le mot arbre, et le tour est joué. Fin de la discrimination orthographique et des liens syntaxiques. Ce qui donne aujourd’hui de jolies phrases du genre « les arbres, il les plantes ». Il les plantes vertes, sans doute.
La loi Jospin, qui est le début officiel de l’apocalypse scolaire, est sortie en 1989 de ces bonnes mauvaises intentions — quand les pédagogistes sont enfin entrés au ministère et ont conseillé Jospin. Cette loi (promulguée elle aussi en juillet) est le dernier clou du cercueil ouvert par le tandem Haby / Giscard.
Quand je pense que ce dernier a été admis à l’Académie française, temple de la défense du bon français, pour l’ensemble de son œuvre — dont je ne dirai pas ce que je pense, parce que je n’ai jamais eu le fantasme, moi, de coucher avec Lady Di…
Giscard, c’est le libéralisme appuyé, au niveau scolaire, sur les libertaires qui voulaient « une société sans école ». Ma foi, ils y sont parvenus : ce qui reste d’école n’est plus qu’une garderie nationale, et seuls les élèves issus des classes les plus huppées s’en sortent. Parce que grâce au collège unique, au regroupement familial, à René Haby et à Giscard d’Estaing, quand vous êtes né dans la rue, désormais, vous y restez.
En plus de quatre décennies de lucidité privée et parfois publique (ses regrets sur le regroupement familial), VGE n’a rien réussi à réparer des dégâts qu’il a causés en quelques années.