Sous la plume d'un prêtre français ayant assisté à un miracle attribué à Jerzy Popieluszko, un récent livre publié chez Artège nous fait redécouvrir l'admirable figure de l'aumônier de Solidarnosc, mort en martyr en 1984 sous les coups des agents communistes.
Le 14 septembre 2012, le père Bernard Brien, 65 ans, se rend à l'hôpital de Créteil. Il doit administrer les derniers sacrements à un père de famille atteint d'un cancer, en état végétatif. Sa mort n’est qu'une question d'heures. Au chevet de l'agonisant, son épouse Chantal. Le père Brien s'approche et, sur la table de chevet, dépose une bougie, la croix de Jean-Paul II, le saint-chrême et l'image de Jerzy Popieluszko, prêtre polonais mort depuis près de trente ans. Le père Brien propose à Chantai de confier son époux à l'intercession de Popieluszko - béatifié en 2010 - et de réciter la prière pour sa canonisation. Intérieurement, le prêtre français interpelle le bienheureux polonais : « Écoute Jerzy, si tu dois faire quelque chose, c'est le jour ! ».
Une amitié entre un mort et un vivant
C'était le jour. À peine le père Brien ressorti de la chambre, le malade, inconscient jusque-là, ouvre les yeux, sourit et recouvre la parole. Lui qui devait rejoindre la tombe, rentre chez lui en bonne santé à la fin du mois. La guérison rapide de cet homme atteint d'un cancer fulgurant n'est pas expliquée médicalement. Depuis 2013, cette affaire merveilleuse est au cœur du procès de canonisation de Jerzy Popieluszko. Mieux, cette guérison est, de l'avis d'un évêque polonais, « la plus limpide, la plus évidente » parmi celles attribuées au bienheureux. Le Vatican doit bientôt statuer sur son caractère miraculeux, ce qui ouvrirait la voix de la canonisation de l'ancien aumônier de Solidarnosc.
Mais quel lien peut-il bien y avoir entre ce martyr polonais et un prêtre français ordonné à l'âge canonique de 65 ans ? Une coïncidence troublante, d'abord les deux hommes sont nés le même jour, le 14 septembre 1947. Le 14 septembre qui vit en 2012, rappelons-nous, la guérison du malade de Créteil.
Surtout, une profonde amitié spirituelle lie Bernard Brien et Jerzy Popieluszko. À peine ordonné, le français séjourne en Pologne. Il ne sait alors rien de l'histoire de Popieluszko, mais pénètre dans l’église où le bienheureux est enterré. Ce sera le déclic. Depuis, Brien prie sans cesse Popieluszko et, au fil de ses lectures, connaît la vie du martyr sur le bout des doigts. C'est de cette amitié surnaturelle qu'est née cette belle biographie.
« Le patrimoine spirituel qui a pour nom Pologne »
Le lecteur plonge alors dans la réalité douloureuse d'une Pologne opprimée sous le joug communiste. Issu d'une famille paysanne, Jerzy rejoint le séminaire de Varsovie à l'âge de 17 ans. Rien ne le détournera du sacerdoce, ni sa santé chancelante, ni les humiliations subies lors du service militaire ou faut-il plutôt parler d'embrigadement ? En Pologne communiste, le passage sous les drapeaux est une expérience traumatisante pour les séminaristes les instructeurs rivalisent d'imagination afin de les détourner de la foi et casser ces jeunes gens, parfois au sens littéral. Ordonné à 25 ans, Jerzy Popieluszko est très vite au contact de la classe ouvrière polonaise. Avec ses ouailles, au cœur de « l'Église du silence », son cœur bat au rythme du pontificat de Jean-Paul II, enfant du pays. Le Saint-Père visite sa terre natale en 1979 - un événement ! - et exhorte les Polonais à « accepter tout le patrimoine spirituel qui a pour nom "Pologne" », « ne jamais perdre confiance, ne pas [se] laisser abattre ou décourager ». Jerzy vivra concrètement cet appel à la résistance spirituelle en accompagnant les ouvriers grévistes de l’aciérie Huta Warszawa, en célébrant la messe dans l'usine, en prononçant, devant la foule, les fameux « Sermons pour la patrie ». Quand le syndicat libre Solidarnosc est créé à Gdansk en 1980, Jerzy en devient l'aumônier. Dans une Pologne en état de siège, où les persécutions s'abattent, la tâche est épuisante. « Il est impossible, de parler de justice là où le mot "Dieu " est éliminé officiellement de la vie de la patrie », s'écrie-t-il en 1984. Affirmations insupportables pour le régime athée, qui placera le prêtre sous surveillance et l'intimidera jour et nuit. Menaces de mort, insultes, courses-poursuites, harcèlements, perquisitions et arrestations sont désormais le quotidien de Popieluszko, jusqu'au 19 octobre 1984. Des agents de l'État communiste l'enlèvent, le battent et l'achèvent. Son cadavre défiguré sera découvert dans un lac. Le pays est sous le choc. Un demi-million de Polonais assiste aux obsèques de cet apôtre de la vérité. Lech Walesa, icône du syndicat libre, en a la voix tremblante : « Nous te disons adieu, Serviteur de Dieu, en promettant de ne pas nous incliner devant la violence Solidaires au service de la patrie, nous répondrons par la vérité au mensonge, et par le bien au mal ».
✍︎ Bernard Brien, Jerzy Popieluszko. La vérité contre le totalitarisme Artège, 144 pages.
Thibault Bertrand monde&vie 22 juillet 2016 n°927