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Le Système de l’Argent est de gauche ! (texte 2017)

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Entretien avec Paul-Marie Couteaux

Paul-Marie Couteaux, qui fut le conseiller de Philippe Séguin, est l’ancien président du SIEL. Hanté par la nécessité de l’union des droites, il a fait un bout de chemin avec Marine Le Pen et soutient aujourd'hui François Fillon.

Paul-Marie, vous êtes un vieux briscard de la politique. Qu'est-ce que le système selon vous ? Quand est-ce qu'il est né ?

Ce système, on peut l'appeler indifféremment « Le Système » comme on peut le désigner, du moins en France, par un autre mot-nébuleuse, « la Gauche » : on pourrait parler du « Système multiforme de la Gauche ». C'est vraiment un système puisque tous ses éléments s'épaulent, se nourrissent et se tiennent les uns les autres.

On ne sait par où le prendre ! Sans doute est-il d'abord moral, une morale neuve qui a envahi les dernières générations et qui est une sorte de « dictature de la liberté » - liberté au sens de l'existentialisme, qui postule que tout peut toujours changer, que tout est possible, etc. 1968 est l'année symbole d'un mouvement qui commence au début des années 60 et se poursuit dans les années 70, marquant la liquidation des cadres de la civilisation ancienne (la famille, les solidarités naturelles, la Nation, l'État…), et, sur le plan politique, la disqualification de ceux qui portaient l'ancien monde. 1974 est une autre date marquante, avec l'élection présidentielle qui vit le succès de Giscard d'Estaing, le grand reflux du gaullisme politique, et de tout ce qui se présentait comme appartenant au monde ancien. Je me souviens par exemple de la candidature de Jean Royer, maire de Tours, qui fut littéralement dans l'impossibilité de faire campagne. On a bien vu qu'il y avait un problème : celui qui portait le vieux monde ne pouvait pas faire campagne quand des femmes, par manière de « protestation », se promenaient nues dans ses meetings. Les forces de la gauche réunies autour de Mitterrand, manquent de peu l'élection, Giscard d'Estaing le modernisme, l'emporte mais il n'est déjà plus de droite : on assiste à une accélération du processus de dépassement de la morale traditionnelle (loi Veil), une intégration européenne plus rapide, un atlantisme sans complexe, un sans frontiérisme qui est à la fois festif et économique - voir l'accélération du rôle du Gatt (OMC aujourd'hui), le regroupement familial et le début d'une immigration non contrôlée, toutes choses qui commencent à pulvériser le cadre national.

Vous insistez sur la dimension politique du Système lorsqu'il naît, mais ce n'est pas la seule ?

Justement, tout se lie et « fait système ». Le fameux « Jouir sans entrave » de 68 ouvre la voie à un consumérisme qui ira croissant, et qui, traduit en politique, a toutes les apparences d'une bonne politique sociale - démultiplication des aides sociales, primes de toutes sortes, transferts sociaux de plus en plus massifs. C'est à ce moment que s'emballe corrélativement l'endettement public l'action du gouvernement se réduit peu à peu à la dépense, au prélèvement, et bien entendu à l'endettement public, lequel aboutit en bout de course à donner un énorme pouvoir aux banques. On parle beaucoup du côté social du Général de Gaulle, mais il n'est pas sûr que le Général de Gaulle ait voulu cette irruption du consumérisme. Il était social, oui, mais dans un autre sens la participation, clef de voûte de son programme social n'est pas du tout l’augmentation des salaires - le fameux « Chariot, des sous ! », dont il se moquait. Souvenez-vous que, pendant la grève des mineurs, en 1963, il en avait ordonné rien moins que la réquisition du Margaret Thatcher avant la lettre. À l'époque d'ailleurs, les salaires augmentaient beaucoup plus en Italie ou en Grande Bretagne qu'en France. C'est l'après 68 et notamment les gouvernements de Gauche qui font du social à outrance, et donc de la dette, plaçant peu à peu l'Etat entre les mains des banques - à partir de 1968 l'État n'emprunte plus seulement à la Banque de France mais recourt au marché financier international début d'une dangereuse spirale.

Quels rapports entre ce que vous décrivez et la Gauche, dont vous nous dites qu'elle est le Système ?

Le système de l'Argent se met en place à partir de la demande sociale, quand le Politique perd son autonomie et se trouve peu à peu envahi par le social : une bonne politique est une politique sociale, la seule morale - selon les canons du consumérisme, de la - jouissance, du "temps libre" auquel tient tant « Homo festivus ». Le processus se met en place dans les années 70, s'accélère dans les années 80, « les années fric » qui sont, avec Mitterrand, les années de la gauche triomphante - mais au fond c'est la même chose… Pour le commun des mortels, le fric c'est la droite. Erreur ! La manière de poser les problèmes politiques en termes matériels (hausse des salaires, transferts sociaux, endettement public et privé) c'est la gauche qui la promeut. Les illustrations en sont multiples : la libération de la femme consiste à permettre aux femmes de travailler, c'est-à-dire de mieux participer au grand jeu de la production et de la consommation. Autre exemple : la fameuse privatisation des Radios libres de 81-82 conduit à la privatisation de l'information dont tirent parti les puissances financières, ce qu'on ne voit que trop bien aujourd'hui. On peut dire, pour en venir à l'actualité brûlante que c'est cette machine-là, la prétendue "libération générale" la dépense et l'endettement publics, que Fillon veut renverser, ce qui n'est pas pardonnable pour les caciques du Système, qui en vivent.

Vous évoquez François Fillon... Vous le soutenez - on dit que c'est vous qui avez eu l'idée de la manif du 5 mars au Trocadéro. Vous le connaissez bien ?

Je l'ai connu en 1992 lors de la campagne du NON à Maastricht. Il était jeune député gaulliste, hostile aux accords de Maastricht, assez symbolique de la résistance d'une certaine France aux canons modernistes.

Aujourd'hui, il prend tout le système à revers - je pense justement à l'idée de limiter les déficit, de désendetter l'État et la puissance publique, mais je pense surtout à l'aspect international du système, construit autour de l'impérium de Washington, le désarmement des nations, la division de l'Europe en deux parties irréconciliables, ce que Fillon déjoue en voulant réintroduire la Russie dans le jeu peut-être son grand crime pour le Système. On peut dire que, l'air de rien, il prend tout le système à « angle droit » - et c'est pourquoi, devant le tir de barrage monté un peu de toutes pièces autour de peccadilles, il m'a semblé que l'idée d'une grande manifestation était la seule possible face aux féodaux de tous poils, magistratures, cléricatures, médias, face à tout ce qui compose le système que la gauche tient encore quasi exclusivement (on a vu leur liaison lors de « l'affaire Pénélope »), il fallait que le peuple entre en scène - c'est la vieille alliance du Roi et du peuple contre les féodaux, qui a fait toute l'histoire de la France…

Ce qui va se passer maintenant est d'autant plus intéressant que François Fillon a été expulsé du système. Pour la première fois depuis le Général de Gaulle, un Président de la République peut en être plus ou moins délivré.

Vous dites au fond que le Système ne marche plus et que cela rend nerveux ses ayant-droits ?

Le système ne marche plus à cause d'un endettement structurel et généralisé. Il est fondé sur la protection sociale (qui permet les transferts sociaux), mais le coût en devient tellement élevé que l'endettement grippe toute initiative, paralyse l'État, décourage l'avenir, c'est-à-dire les investisseurs aussi bien que les jeunes - et tout fuit à l'étranger. Tout ce qui était facile dans les années 70-80 prend fin. Le peuple s'est engagé dans le système de l'argent, mais ce n'est pas lui le plus fort. Et c'est lorsqu'il en prend conscience, que les protestations s'amplifient… L'élection de 2002 et Jean-Marie Le Pen au Second tour, le NON lors du référendum de 2005 ont été des événements significatifs : le peuple comprend que le système de l'argent ne fonctionne pas que pour lui et que la mondialisation reprend tout ce qu'il a pu gagner.

C'est la fin du système ?

Attendez, pas si vite ! Alors que le Système marche de moins en moins pour la satisfaction populaire, il domine par ses thèmes, ses hommes, sa presse, ses radios, sa télé, - toute l'information est entre les mains de grands groupes privés. La Gauche garde ses places fortes, et se raidit : la disqualification judiciaire ne touche que les candidats de droite, Sarkozy, Fillon, Le Pen.

La Gauche possède tout. Cela vient de loin : ce qui a permis de formuler la grande matrice de la gauche, c'est le thème du progrès indéfini, c'est le discours de Perrault et la victoire des Modernes sur les Anciens (ou les Classiques) à la toute fin du XVIIe Depuis, Les Anciens -, face aux Modernes, ne sont plus que dans la réaction : voir Chateaubriand par exemple, ou la grande réaction gaullienne, qui ne se comprend qu'à travers l'accident de 40. Ce qui fait système, ce sont plusieurs éléments qui partent tous d'une matrice morale simple le Progrès, la modernité, font que « tout est possible » : c'est cette croyance de base qui est enfin grippée, car les arbres ne montent pas au ciel. Mais, à cette échelle, on voit que le renversement prendra du temps.

Que peut-on opposer au Système ?

Aujourd'hui apparemment peu de chose, à cause d'une désidéologisation totale de la droite. Que peut-on opposer au bloc idéologique de la Gauche ? Il reste les hommes. À New-York, quand j'étais un proche collaborateur de Boutros Ghali pour l'ONU, j'ai compris que l'histoire n'est pas à la disposition des prévisionnistes. Elle est tragique, elle se fait par les hommes. Souvent tout repose sur un homme - j'avais longtemps cru le contraire. C'est tout mon intérêt actuel pour François Fillon, un grand solitaire qui, chose rare, a escaladé seul les Grandes Jorasses, et qui est à l'œuvre seul aujourd'hui. Tout tient à lui. C'est un passionné, c'est une boule de feu, mais il a réussi à s'immerger dans les mers froides de la Pohtique sans perdre cette passion.

Propos recueillis par l'abbé Guillaume de Tanouarn

monde&vie 16 mars 2017 n°937

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