Possédés par de grands groupes administrés par des journalistes aux nuances idéologique voisines, en perte de crédibilité dans l’opinion. Les médias apparaissent gagnés par la crise.
Qui possède les médias, et qui servent-ils ? De nombreux groupes financiers, industriels, de luxe, de télécommunications sont actionnaires médias (Bolloré, Lagardère, LVMH, Dassault, Bouygues, PPR, Pierre Berge, Xavier Niel, Matthieu Pigasse. ).
Or « la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit ». Toute information concernant les déboires judiciaires de Serge Dassault sera reléguée en brève et en page 15 du Figaro si vous souhaitez en apprendre davantage sur l'empire criblé de dettes de l'homme d'affaires franco-maroco-israélien Patrick Drahi, ne lisez pas L'Express. Depuis quelques années, des patrons de télécommunications ont racheté plusieurs titres de presse historiques.
Drahi, également actionnaire de BFM, RMC, Libération, entretient des liens directs avec la garde rapprochée d'Emmanuel Macron, Jacques Attali, Grégoire Chertok ou encore le banquier Bernard Mourad. La couverture politique des médias de l'homme d'affaires est à cet égard instructive selon l'hebdomadaire Marianne, BFMTV aurait depuis novembre 2016 autant diffusé d'heures d'antenne sur les meetings de Macron que ceux de Fillon, Le Pen, Hamon et Mélenchon réunis. Le soutien des médias de Drahi à Emmanuel Macron s'apparente à un renvoi d'ascenseur pour l'aide apportée par le candidat d'En Marche ! au milliardaire franco-israélien lors de son rachat de SFR en 2014. À cette époque, Emmanuel Macron était secrétaire général adjoint de l'Elysée et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif.
« Ces gens-là ont un tout autre rapport à la presse qu'un Robert Hersant ou un Serge Dassault, qui ont pourtant longtemps fait pousser des cris d'orfraie à la gauche. Il ne s'agit plus de s'offrir un titre pour soutenir tel ou tel camp, on est passé à un autre âge de la propagande, plus insaisissable, plus dangereux par conséquent. Au sens large, il s'agit en effet d'imposer une vision libérale du monde, où la casse sociale la plus sordide se voit réenchantée en modernité ubérisée. » Cette analyse est portée par la journaliste Aude Lancelin, qui fut licenciée de L'Obs après en avoir été la directrice adjointe durant deux ans.
Les éditocrates et leurs patrons
À droite comme à gauche, la critique des médias se fait de plus en plus entendre. En plus d'une certaine censure émanant de ses propriétaires, les médias sont le réceptacle d'une autocensure qui provient de ses propres journalistes. Ceux-ci, issus des mêmes écoles, et de milieux sociaux similaires, se confinent à la bonne pensée conforme et autorisée. Les éditocrates se rencontrent tous les mois aux dîners du Siècle, en présence de politiques et d'industriels influents. Le documentaire Les Nouveaux Chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, adaptation du livre éponyme de Serge Halimi, décrit remarquablement le phénomène de reproduction sociale et de connivence intellectuelle qui existe entre les partis politiques en place et les grands éditorialistes dont l'opinion rythme l'actualité.
Cet entre-soi s'incarne parfaitement lors de la grand-messe parlementaire qu'est la journée du livre politique dont la 26e édition s'est déroulée dans la galerie des Fêtes de l'Assemblée nationale, samedi 4 mars, autour de la thématique de l'engagement. Parmi les journalistes présents, majoritairement des éditorialistes, Ariette Chabot de LCI, Françoise Fressoz du Monde, Laurent Joffrin de Libération, Renaud Dély de Marianne, ou encore Etienne Gernelle du Point. On recensait parmi les membres du jury décernant le prix des Députés des représentants du PS et de LR, mais aussi de petits partis comme l'UDI, le PRG, le GDR et EELV (parti dissous en 2016). Pas de représentants du Front national ou du Parti de gauche, en revanche.
Quant à la plus vieille incarnation de la gauche libérale libertaire, Pierre Berge - modestement présenté dans le programme de la journée comme « président de la Fondation Yves Saint-Laurent », et en aucune manière comme actionnaire majoritaire du groupe La Vie-Le Monde et président du conseil de surveillance du Monde SA et de la Société éditrice du Monde -, il a introduit les débats de l'après-midi, sous une « standing ovation » réclamée par l'organisatrice de l'événement.
L'émergence de nouveaux médias, notamment grâce au développement des réseaux sociaux, énerve les anciens organes de presse monopolistiques. La création des Décodeurs du Monde est à cet égard emblématique d'un vieux monde médiatique en faillite. Ce site de « fact checking », une pratique anglo-saxonne qui se veut absolument neutre et objective, prétend répertorier les sites d'informations et leur donner une note de fiabilité, afin que les lecteurs puissent savoir à qui faire confiance. Mais sous le vernis de l'objectivité, l'idéologie suinte de toutes parts. Des sites de divertissement comme Konbini ou Buzzfeed (où travaillaient certains nouveaux collaborateurs des Décodeurs) reçoivent la note maximale, quand certains blogs - comme Les Crises d'Olivier Berruyer - sont relégués au rang de sources non fiables. Quant aux sites d'information russes, Russia Today ou Sputnik, ils sont carrément considérés comme étant de la propagande pure et simple.
Plombés par leur discrédit dans la population - incapables d'anticiper, ni même d'imaginer possibles le non au référendum de 2005 le Brexit, ou l'élection de Trump - ainsi que par leur conformisme, les médias classiques semblent bel et bien voués à se réinventer en profondeur ou à trépasser.
Marie de l'Isle monde&vie 16 mars 2017 n°937