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Pour un féminisme raisonnable

Voici une mise au point magistrale sur les contradictions du féminisme actuel

Entretien avec Alain de Benoist

Peut-on dire que la girondine Olympe de Gouges est la sainte patronne du féminisme ?

La sainte patronne, c'est beaucoup dire, mais le souvenir d'Olympe de Gouges a une double valeur symbolique, d’abord parce qu'elle fut la première, en 1791 à tenter de faire reconnaître des « droits de la femme et de la citoyenne », ensuite parce que, loin d'être approuvée par les révolutionnaires, elle finit guillotinée deux ans plus tard. Cela dit, il ne faut pas tomber dans l’anachronisme.

Si Olympe de Gouges, qui était probablement la fille adultérine du marquis Lefranc de Pompignan, est montée sur l'échafaud, c'est beaucoup plus en raison de ses idées politiques que de son féminisme. Favorable à la suppression du mariage religieux, elle plaidait aussi pour la création de maternités. Sa grande idée était que l'infériorisation des femmes les avait contraintes à user de ruse et de dissimulation, ce qui explique qu'elles aient dans l'histoire « fait plus de mal que de bien ».

Sans doute a-t-elle été une pionnière du féminisme, mais ce n’est pas de sa postérité qu’est issu le féminisme moderne. Celui-ci apparaît en fait surtout dans les pays du nord de l'Europe, ainsi qu'aux États-Unis. Les historiens n'ont d'ailleurs pas manqué d'en souligner l’origine « protestante », mais l'analyse est sans doute un peu courte, car c'est dès l’Antiquité que l’on constate que les femmes jouissent dans les pays celtiques et germaniques de libertés et de droits nettement plus importants que dans les pays méditerranéens.

On répète souvent le mot de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ». Cela signifie-t-il que, pour elle, la féminité est pure construction sociale ?

Il faut d'abord rappeler que, dès le début, le féminisme contemporain s'est scindé entre un féminisme différentialiste ou identitaire et un féminisme universaliste ou égalitaire. Le premier privilégie avant tout la défense, la promotion ou la revalorisation du féminin, tandis que le second croit servir la cause des femmes en se bornant à défendre un sujet universel et abstrait, qui serait fondamentalement porteur de droits. Dans un cas, il s’agit de s'identifier aux hommes (« les femmes sont des hommes comme les autres »), dans l'autre de faire entendre une voix différente. Le féminisme égalitaire fonde le droit des femmes sur leur universalité, le féminisme identitaire sur leur spécificité.

À la base du féminisme égalitaire, on retrouve cette idée que l'égalité est à concevoir dans le sens de la mêmeté, que l’égalité ne sera vraiment acquise entre les hommes et les femmes que lorsque rien ne les distinguera plus vraiment. C'est dans cette optique que se situe Simone de Beauvoir qui, en bonne sartrienne, a besoin de privilégier les « constructions sociales » sur la physiologie : si l’on naît femme, alors on ne parviendra jamais à la mêmeté. Dans Le deuxième sexe elle appelle d'ailleurs à se situer « par-delà la différenciation sexuelle ». On est très loin d'Olympe de Gouges, pour qui la nation « n’est que la réunion de la femme et de l'homme ».

En France, le féminisme différentialiste a notamment été représenté par la psychanalyste Luce Irigaray ou plus récemment par Camille Froidevaux-Metterie. Dans ses ouvrages, Luce Irigaray plaide pour la reconnaissance d'un Autre féminin et souligne que l'homme est un être sexué et non un « sujet universel » abstrait. Au reproche de tomber dans l’« essentialisme », elle n'a pas de mal à rétorquer que vouloir « tout faire comme les hommes » c’est évidemment prendre les hommes pour modèle, et donc intérioriser sans même s en rendre compte la supériorité du modèle masculin. D'où une « ontologie féminine » qui a le grand avantage de ne pas remettre en cause la différence des sexes, mais qui peut aussi dériver vers l'idée d'un devenir femme séparé, voire vers la guerre des sexes « une femme a autant besoin d'un homme qu'un poisson d'une bicyclette »). L'actuelle campagne « balance ton porc » va dans ce sens.

Le féminisme contre l'identité de la femme

Il y a, à travers la théorie du « gender », des féministes encore plus radicales…

L'idéologie du genre, dont la théoricienne la plus connue est Judith Butler, reprend ce credo du féminisme égalitaire selon lequel les femmes doivent « concevoir leur identité sur le mode de la liberté et non sur le mode de l'appartenance » (Danièle Sallenave), c'est-à-dire ne surtout pas concevoir leur identité en tant que femmes. Mais elle va beaucoup plus loin, puisqu’elle ne dissimule pas son intention de « déconstruire » les catégories du féminin et du masculin. Les tenants du gender soutiennent que les orientations sexuelles ne dépendent en aucune façon du sexe biologique, mais se construisent librement à partir de rien, ce qui est une contre-vérité manifeste, d'inspiration individualiste et libérale. S'il n'y a plus de femmes ni d'hommes, mais une infinité de « genres » possibles, on est en droit de se demander en quoi l'idéologie du genre relève encore du féminisme. Son but est apparemment de promouvoir le neutre (par le biais du « transsexualisme »,de l’« intersectionnalité », du style queer etc.). Défense de l'androgynat et non plus des femmes.

Existe-t-il selon vous un féminisme raisonnable ?

Bien sûr. On est dans un féminisme raisonnable dès qu’on affirme qu'intrinsèquement parlant un homme ne vaut pas plus qu'une femme. Mais pas moins non plus !

Sur ce sujet, lire Alain de Benoist, Les démons du bien, éd. Pierre-Guillaume de Roux 2013.

Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn monde&vie 30 novembre 2017 n°948

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