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Le rêve du guerrier

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« Rechercher la perfection de l'esprit du guerrier est la seule tâche  digne de notre existence temporelle et de notre âge d'homme. »
Carlos Castaneda, "La roue du temps"

Le malheur de nos sociétés modernes individualistes, c'est qu'elles n'ont plus de Guerriers, cette race d'hommes dont la noblesse se gagnait autrefois sur les champ de batailles dans la bravoure du corps et la discipline de l'esprit, ils étaient Hoplites, Samouraïs, Templiers, Chevaliers, Cosaques, Lansquenets... et ne défendaient pas seulement un sanctuaire mais aussi et surtout des valeurs humaines et civilisationnelles.
Tous ces hommes ont, à travers les époques et les territoires vécus, un dénominateur commun et qui domine leur fonction guerrière, c'est leur liberté de conscience, qui leur confère une haute valeur symbolique et politique. 
Car si le soldat est appelé à défendre un temps donné, les libertés et les territoires définis, en échange d'un salaire (une période ou une solde), et au péril de sa vie; le guerrier quant à lui est par nature engagé dans la guerre pour y vivre et défendre des valeurs auxquelles il sacrifie son existence. 
Il ne s'agit pas ici de hiérarchiser les qualités des uns et des autres, car les combats, où ils vivent tous deux la même peur et le même courage, sont pour leurs âmes et leurs corps une forge commune qui les obligent à l'excellence héroïque.
Mais le guerrier se distingue du soldat par un attachement mystique à sa liberté, préservant ainsi au maximum la pureté d'une éthique indépendante des alliances et intérêts politico-économiques du moment. C'est pourquoi ces hommes libres, parfois volontaires, vagabonds, ou mercenaires sont souvent plus attachés à leurs communautés d'esprit et de combat qu'aux gouvernements qu'ils servent un temps donné. Le service offert à leur pays et un contrat librement consenti auprès des gouvernements qui doivent mériter de leur engagement par une légitimité morale de la guerre et un respect de leur dignité d'Hommes libres..
Cette liberté, les Guerriers la payent souvent très chère, dans la rigueur des entraînements ou la fureur des combats, et leur courage force le respect même de leurs adversaires . Ils sont l'élite de l'armée mais ils obéissent d'abord au code de l'Honneur. Dans la guerre moderne les communautés des Guerriers ont souvent disparu dans l'anonymat des masses combattantes mécanisées des tranchées d'infanterie et dans les magmas des villes terrassées par les bombes aveugles, mais leur esprit et le souvenir de leurs exemples sont restés intacts dans la mémoire des Hommes engagés dans l'enfer des combats.
Les guerres modernes au XX°siècle, donnèrent naissance à de nouveaux corps militaires spécialisés, aviateurs, parachutistes, sous mariniers... qui puisent dans les traditions guerrières des chevaliers, lansquenets ou corsaires l'ancrage de leurs épopées glorieuses ... D'autres corps reconstitués vont hériter directement des traditions voire des noms des Guerriers du passé, comme celles des cavaleries du 1er Empire perpétuées dans le corps des blindés ou celles des lansquenets dans la Légion Étrangère. 
Tous les pays vont réagir de même et cultiver le souvenir symbolisé des teutoniques, des samouraïs ou des cosaques, pour donner aux nations en guerre des exemples de conduites vertueuses. 
Mais dans notre société industrielle mondialiste, l'exemple vertueux du Guerrier n'est plus depuis longtemps, la première source d'inspiration du pouvoir politique et une dichotomie contradictoire est apparu quant au  sens et la finalité d'un engagement armé. 
Hier les peuples étaient au coeur des enjeux belliqueux, à défendre ou à conquérir, ils étaient l'expression vivante et naturelle des territoires. Aujourd'hui, les peuples n'ont plus aucune importance dans la définition d'un conflit, si ce n'est dans les forces en présence analysées. Seuls comptent les intérêts géostratégiques et économiques, qui déshabillent un général pour habiller un dictateur, qui arment des rebelles ici pour les bombarder ailleurs, qui décident qui sont les mauvais terroristes et qui sont les gentils insurgés....  
Dans tout ce fatras hypocrite et fou, le guerrier, cet électron libre, soldat d'élite qui connaît la vérité du terrain, fidèle à son code de l'Honneur, peut alors devenir une menace pour un pouvoir corrompu qui sacrifie ses valeurs fondatrices aux intérêts politico-économiques du moment. L'Histoire fourmille de ces Guerriers qui, au nom de l'Honneur et du Courage ont défié le pouvoir jusqu'à le défaire parfois. 
Ainsi des tragédies françaises de 1940 et de 1962 où des soldats vont se lever en Guerriers contre leurs propres chefs, continuer le combat pour défendre la liberté et la parole donnée. Si le sort de l'Histoire les couvrira plus tard d'opprobres pour les uns, ou d'honneurs pour les autres, c'est un courage immense, incomparable à celui que réclame un assaut sous la mitraille, qui les unis dans leurs destins parfois déchirés d'Hommes libres.
Les historiens  peuvent  étudier ces moments glorieux ou douloureux de l'histoire des hommes, c'est même leur devoir de réviser sans cesse les événements du passé à l'aune des documents et témoignages nouveaux. Mais il est important à mon avis de considérer le souvenir mythique de ces aventures humaines comme un élément fondateur authentique et indépendant de la réalité complexe de l'Histoire. Car, si parfois les mythes historiques semés dans nos mémoires prêtent à sourire par leur naïveté narrative et leur impartialité glorificatrice, ils doivent cependant être considérés et respectés, plus pour la fonction stimulante qu'ils occupent dans l'expression de l'identité nationale, que pour le témoignage historique qu'ils rapportent. 
Les gestes des guerriers, qu'elles soient des défaites ou des victoires historiques, sont des souvenirs, magnifiés pour rester vivants dans les mémoires et offrir aux nations une orthopraxie vertueuse, fidèle au passé et exemple pour l'avenir.
Le rêve de Stenka Razine


C'est le cas des Cosaques de Russie, que j'évoquais déjà dans deux articles passés (le lien ici : Articles précédents sur les cosaques ) et qui sont devenus symboliques de ces communautés guerrières et populaires car nées d'une volonté commune commune de vivre ensemble plus que d'un territoire fini ou d'une ethnie particulière. 
En effet, issus des peuples divers de la Grande Steppe, et formés en communautés guerrières, ces "cavaliers centaures", dans leur histoire, ont lutté parfois aux côtés d'une armée pour la combattre par la suite, voire se sont retrouvés dispersés dans des camps opposés (pendant la Révolution Bolchévique ou la 2ème Guerre mondiale par exemple). Ces engagements différents et contradictoires restent pour eux secondaires, car ils ont d'abord préféré obéir à leur éthique de l'Honneur et de la Liberté.
Ainsi de ce chef cosaque Stenka Razine (1630-1671) qui s'opposa en 1670 au centralisme technocratique tsariste et mena une rébellion pour libérer les provinces du joug de l'administration des boyards, mais sans toutefois remettre en cause la légitimité du Tsar.  
Au XVIIème siècle la Russie est entre les mains de nobles (boyards) et de l'Eglise orthodoxe et malgré la modernisation de l'Etat les paysans connaissent une misère accrue par les guerres ruineuses menées contre la Suède et la Pologne qui engendrent une série de taxes insupportables. Dans les territoires du Don les cosaqueries jusque la préservées par un statut particulier accueillent les paysans affamés et les fuyards qui veulent échapper à la conscription. C'est dans ce contexte que Stepan Timofeievitch Razine, va naître à Zimoveyskaya stanitsa, vers 1630. les rares témoignages rapportant sa vie disent que "c'était un homme grand et calme, solidement bâti, au visage loyal et fier. Son maintien était à la fois modeste et imposant" (voyageur hollandais Struys)
La contestation se transforma rapidement en soulèvement populaire et Razine rejoint par des paysans opprimés de diverses minorités, lève une armée de 7000 hommes et attaque l'Astrakhan qu'il transforme en république cosaque. Razine voulait unir les différentes cosaqueries et  créer une "Grande armée du Don, du Yaïk et du Zaporojie" composée de cosaques dont la valeur guerrière est aussi forte dans des combats d'infanterie, à cheval que sur mer. En 1670, Razine, qui dispose d'une armée de 20 000 hommes remonte la Volga vers Moscou, jusqu'à Simbirsk ou l'armée régulière mieux organisée et disciplinée stoppe les insurgés devant la ville fortifiée.

Stenka Razine sur une tchaïka (Peinture de V. Surikov 1910)

Cette défaite militaire ne découragea pas Razine qui propagea alors ses idées vers les provinces les plus pauvres séduites par les idées de libération et d'égalité proposées à toute la Moscovie. Dés lors c'est l'embrasement général mais incontrôlé, la région de la Volga et l'Est de l'Ukraine se soulèvent  les actions se multiplient, désorganisées et sans commandement véritable, attaquant sans discernement tous les symboles du pouvoir, aussi bien les administrations fiscales que les couvents religieux. La révolte échappe au contrôle de Stenka Razine, et ses troupes s'épuisent autant que son prestige auprès des populations, Les massacres et les mises à sac se succèdent et Razine est excommunié en 1671. 
Le doute puis la contestation firent leurs apparitions au sein même des campements des cosaques du Don, et la chevauchée de Stenka, après sa capture à Kaganlyk, se terminera à Moscou où il fut torturé, pendu et équarri sur la Place Rouge .
La révolte de Stenka Razine n'est pas un fait divers dans l'histoire des Cosaques, elle sera suivi de revendications multiples et d'autres soulèvements interviendront pour réclamer les libertés cosaques comme celui de Pougatchev en 1773.
La rébellion de Stenka Razine est restée vivante dans l'imaginaire russe, dénigrée par les uns et sublimée par les autres, elles s'est peu à peu idéalisée, transmise passionnément à travers de nombreuses chansons populaires, et son histoire a été considérée par le régime soviétique comme un acte pré révolutionnaire. 
Du souvenir idéalisé de Stenka Razine on retient surtout deux anecdotes cruelles, mais devenues symboles de l'engagement du guerrier pour la liberté et de la valeur accordé à sa communauté: 
Lors de sa remontée de la Volga, les cosaques qui l'entourent sont jaloux de l'amour que Stenka Razine porte à sa jeune et belle compagne perse et craignent qu'il ne les délaisse au plus fort des combats pour la protéger. Pour leur prouver son indéfectible attachement à sa communauté guerrière, Razine s'empare alors de sa compagne et la jette dans la Volga tumultueuse et glacée: 
"Ô Volga, Volga, mère très chère
Volga, grand fleuve de Russie
Il vous reste à recevoir le présent
D'un cosaque du Don !"  
La deuxième anecdote chantée, concerne un rêve prémonitoire annonçant à Stenka Razine sa défaite et son exécution prochaines. Cette histoire a donné naissance à l'une des plus célèbres chansons populaires cosaques, "Ой, то не вечер", (Oy da ne vecher) connue également sous le nom de "Rêve de Stephan Razin". Chanté par de nombreux interprètes cette chanson incarne l'accomplissement du devoir quel qu’en soit le prix et l'acceptation du sacrifice à sa patrie, comme l'exprimeront dans leurs pensées et dans leurs actes de nombreux autres Guerriers, comme en France le Commandant Pierre Guillaume qui disait :
"Mon âme à Dieu, mon corps à ma Patrie, mon Honneur à moi"

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