"La parole publique, dans cet épisode, a perdu encore davantage de sa crédibilité."
© Hannah Assouline.
Emmanuel Macron pouvait-il encore ne pas suspendre la vaccination par le produit d’AstraZeneca à partir du moment où l’Allemagne choisissait de le faire ? Il était acculé. À tout le moins, il eût pu s’y préparer s’il n’avait, une fois de plus, cédé à la consternante illusion d’un « couple franco-allemand ».
Parfois, le sort semble s’acharner. Mais les mauvaises langues diront que la malchance, paradoxalement, ne relève pas du hasard et que les fléaux du ciel ne s’abattent que sur ceux qui n’ont pas pris soin de s’en protéger. Emmanuel Macron pouvait-il encore ne pas suspendre la vaccination par le produit d’AstraZeneca à partir du moment où l’Allemagne choisissait de le faire ? Il était acculé.
À tout le moins, il eût pu s’y préparer s’il n’avait, une fois de plus, cédé à la consternante illusion d’un « couple franco-allemand ». « Nous étions d’accord pour attendre l’avis de l’Agence européenne du médicament (AEM) avant toute suspension », s’insurgent les Français incrédules. Comme si Angela Merkel n’avait pas prouvé à chaque occasion que, au pied du mur, quand la politique intérieure ou les intérêts des citoyens allemands l’exigent, elle s’assied systématiquement sur ses engagements vis-à-vis de son voisin et féal (le bras de fer engagé sur l’avion et sur le char « du futur » prouve à quel point nos sympathiques alliés sont décidés à nous tailler des croupières sans le moindre état d’âme). Sur ce point-là également, l’épidémie du Covid-19 aura achevé de ringardiser les grandes envolées lyriques de 2017.
AstraZeneca
À l’heure où nous écrivons ces lignes, nul ne peut encore dire si l’AEM décidera finalement que la trentaine de cas de thrombose veineuse sur 5 millions de personnes vaccinées ne suffit pas à suspendre l’utilisation du vaccin AstraZeneca. Peu importe, il sera trop tard. Les doutes et les fantasmes seront ancrés dans les têtes et tous les discours institutionnels seront désormais inutiles. D’autant que la parole publique, dans cet épisode, a perdu encore davantage de sa crédibilité. Comment un Premier ministre peut-il benoîtement expliquer le dimanche soir que tout va bien et qu’il n’y a aucun problème avec le vaccin, pour être démenti le lendemain même par le président ? Au moins pouvait-il détailler la procédure, raconter le suivi des autorités sanitaires, les remontées d’incidents, pour ne pas donner l’impression qu’il avait tout simplement et une fois de plus pris les citoyens pour des abrutis.
Qui reconstruit la chronologie de ce fiasco reste tout bonnement consterné. Cela commence par les mille et une précautions administratives qui entourent les commandes de vaccins encadrées par la Commission européenne. Démarche louable pour éviter la guerre entre pays européens (l’UE est toujours plus douée pour jouer les arbitres entre pays membres que pour comprendre la notion de rapport de force à l’âge des grands empires), mais effarante dans sa mise en œuvre. L’Histoire retiendra que l’Europe, au moment de sombrer, travaillait encore à la rédaction du formulaire E-847 sur la bonne manière d’écoper et attendait l’homologation des seaux.
Deuxième épisode, la France, obsédée par les méchants complotistes qui nourriraient la défiance envers les vaccins et privée de toute efficacité logistique, met un temps infini à lancer la vaccination de masse. Là encore, la notion d’urgence semble totalement étrangère à une administration occupée à se couvrir. Traiter Boris Johnson d’irresponsable est plus facile que de « prendre son risque », selon l’expression dont se gargarisent les médias. Il est vrai que le Royaume-Uni dispose d’une arme qui nous est désormais inconnue : la maîtrise de ses décisions.
Arbitrage bénéfice/risque qui laisse pantois
Troisième épisode, enfin : le coup d’arrêt au vaccin AstraZeneca dans un arbitrage bénéfice/risque qui laisse pantois ; la pilule contraceptive multiplie par 7,6 le risque de thrombose cérébrale sans que personne ne songe à l’interdire. Comment comprendre cette panique ? Il semble que les citoyens des pays européens soient devenus incapables de dessiner un équilibre raisonnable entre intérêt individuel et bien commun qui rende acceptable une prise de risque infime. Nul doute que la vaccination contre la variole, dont les « ratés » étaient autrement plus nombreux, serait désormais impossible.
Reste à espérer que la si prudente Agence européenne du médicament évitera, en plus du reste, de s’enferrer dans l’idéologie et examinera rapidement le vaccin russe, dont la technique, proche de celle d’AstraZeneca, a l’avantage d’utiliser du génome d’adénovirus humain et non animal, ce qui pourrait, disent certains scientifiques, éviter les réactions observées sur ce dernier. Reste à espérer, à plus long terme, que l’Union européenne en général, et la France en particulier, prendra enfin conscience de la nécessité d’une indépendance industrielle sans laquelle il est impossible de répondre à la moindre crise. Cela fait beaucoup de vœux pieux.
Depuis le début de cette pandémie, nous assistons à la relégation historique de l’Europe, qui s’est consciencieusement privée de tous les outils de sa souveraineté. Notre responsabilité est immense. Sans une réaction collective, sans des décisions politiques majeures, nous préparons à nos enfants un monde dans lequel les grands enjeux se décideront sans eux, entre des empires dont les valeurs ne seront pas les nôtres, et pour qui la liberté et la dignité humaine sont accessoires. Si nous croyons en ces valeurs, si elles sont un peu plus qu’un alibi de plateau télé pour cultiver notre bonne conscience, il est de notre devoir de nous donner les moyens très concrets de les faire rayonner.
Source : https://www.marianne.net/