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Après une année de pandémie, plusieurs dirigeants, dont Emmanuel Macron et Angela Merkel, ont signé une tribune appelant à la mise en place d’un «nouveau traité international sur la préparation et la riposte aux pandémies». Nouvelle usine à gaz ou vraie nécessité de coopération multilatérale?
«Ce sont plutôt les logiques nationales qui ont primé» durant cette première année de pandémie, observe Philippe Moreau-Defarge, ancien diplomate et spécialiste des relations internationales, auteur d’Une histoire mondiale de la paix (Éd. Odile Jacob, 2020). Pourtant vingt-six chefs d’État et de gouvernement –dont Emmanuel Macron, Angela Merkel et Boris Johnson– ont signé le 29 mars une tribune dans Le Monde appelant à la mise en place d’un nouveau traité international afin de riposter aux pandémies.
Contenant les lapalissades les plus abondamment répétées depuis un an, le texte souhaite avec grandiloquence «un leadership mondial pour bâtir un système de santé mondial», une action qui devra être guidée par «la solidarité, la justice, la transparence, l’inclusion et l’équité». L’initiative pourrait faire sourire, alors qu’une guerre des vaccins fait rage entre Britanniques et Européens.
Une tribune politicienne
Alors que la cote de popularité d’Emmanuel Macron a baissé de quatre points en mars, d’après un sondage IFOP pour le JDD, à 3 % d’opinions favorables contre 60% défavorables, le locataire de l’Élysée doit redresser la barre à treize mois de l’élection présidentielle. Selon Philippe Moreau-Defarges, ce texte répond donc avant tout à des fins politiques, pour le Président de la République qui devrait s’adresser aux Français dans les prochains jours tandis que la chancelière allemande, en fin de mandat, a récemment présenté ses excuses pour avoir annoncé un confinement pascal:
«Emmanuel Macron et Angela Merkel sont dans une position nationale difficile. Il faut qu’ils se trouvent une nouvelle légitimité. Évidemment, la lutte contre les pandémies peut être un moyen de conquérir cette nouvelle légitimité. Toute tribune d’un chef d’État obéit toujours à une situation. Elle ne se réduit pas à son objectif à long terme mais fixe des objectifs à court terme, strictement nationaux ou même électoraux.»
Cette posture internationale pourrait l’aider à s’affirmer sur la scène nationale, estime le géopoliticien, à l’image de son discours de la Sorbonne en 2017 qui a planté sa stature de partisan d’une Europe forte. Il s’était ensuite heurté au refus d’approfondissement des institutions bruxelloises par son homologue allemande.
«L’addition des faiblesses ne fait pas une force»
Une première mouture appelant à «bâtir un multilatéralisme plus solidaire face au Covid» avait été déjà publiée le 3 février dans Le Monde par les dirigeants français et allemands accompagnés de l’UE et de l’ONU. Si ce terme de multilatéralisme est régulièrement invoqué par les chefs d’État européens, le bilan critique de la pandémie montre que ce sont bien les intérêts nationaux qui ont pris le dessus, considère pourtant Philippe Moreau-Defarge:
«Depuis un an, c’est l’intérêt national qui prime totalement. Face à ces pandémies et ces crises, l’une des premières réactions, c’est la volonté de défendre l’intérêt national. Mais au-delà, il y a eu aussi une logique de compétition. Il faut être le meilleur, il faut être le premier à avoir vacciné sa population, être le premier à avoir instauré des règles sanitaires efficaces», constate l’ancien diplomate.
Les organisations internationales telles que l’OMS ont surtout été «un lieu d’affrontements politiques entre les États-Unis et la Chine» et l’Union européenne a été vilipendée pour sa lenteur bureaucratique dans la course mondiale aux vaccins. Pourtant, l’argument phare des signataires européens, asiatiques, africains et sud-américains est toujours le même: «Aucun gouvernement ni aucun organisme multilatéral ne peut, seul, faire face à cette menace.» Mais est-il réellement pertinent?
Michel Geoffroy, essayiste et auteur de La nouvelle guerre des mondes (Éd. Via Romana, 2020), ne mâche pas ses mots pour cet «héritage d’un temps passé», considérant que «l’addition des faiblesses ne fait pas une force, cela crée des faiblesses plus grandes». L’opposition frontale entre Emmanuel Macron et Donald Trump à ce sujet lors de la tenue de l’assemblée générale de l’ONU en 2019 l’a particulièrement marqué. À la tribune, le Président français avait appelé lyriquement au «courage de bâtir la paix», continuant à «s’accrocher au multilatéralisme», selon Michel Geoffroy, face à un Donald Trump farouchement attaché à «l’intérêt national» et aux rapports de forces bilatéraux.
«On observait un décalage assez fort au sein des Occidentaux entre les Européens –qui ne pèsent rien sur le plan mondial et qui continuent de s’accrocher à ce mythe du multilatéralisme– et puis les grandes puissances qui n’ont pas besoin de ça.»
Les dirigeants de membres clés du G20 (États-Unis, Russie, Chine, Japon, Inde et Brésil) ne figurent d’ailleurs pas parmi les signataires de la tribune.
En revanche, pour l’ancien diplomate, il est clair que l’ensemble des grandes problématiques planétaires, comme les pandémies, «nécessitent du multilatéralisme, c’est-à-dire un minimum de règles communes, de pratiques communes». Le mécanisme Covax de l’OMS, destiné à fournir des vaccins aux pays les plus démunis, en fait ainsi partie.
Et celui-ci d’ajouter que «les pandémies étaient une non-actualité à l’époque pour l’OMS». Le traité initial de l’institution créée en 1948 prévoyait une «coopération interétatique mais très peu de mécanismes supranationaux» afin de permettre aux «médecins et experts de travailler ensemble».
Source : https://fr.sputniknews.com/